Le Maroc a raté le rendez-vous de Paris

Le 14 janvier 2015 à 12h12

Modifié 10 avril 2021 à 4h26

Le Maroc a fait le choix de se faire représenter par son ministre des Affaires étrangères aux cérémonies du 11 janvier 2015 à Paris contre le terrorisme. Surtout, il n’a pas jugé judicieux de prendre part, aux côtés de plus de cinquante chefs d’Etat et de gouvernent à la marche organisée, qui de par son ampleur entrera dans l’histoire.  

Le motif officiel invoqué tient dans «la présence de caricatures blasphématoires représentants le prophète, prière et salut sur lui».

Je ne crois pas ce choix «intelligent» comme le soutiennent certaines voix, qui y voient un choix de «cohérence et de continuité» avec les positions politiques et diplomatiques du Maroc sur le sujet du blasphème.

L’embarras dans lequel la position marocaine aurait plongé les dirigeants arabes présents serait même dit-on, à l’avantage du Maroc. Ce qui reste à démontrer, et dans tous les cas, dépend de l’objectif poursuivi. Conforter les conformismes de bon aloi au risque de laisser se creuser les malentendus; ou faire preuve d’audace et de pédagogie pour précisément contribuer à faire évoluer les représentations des uns et des autres.

Mon sentiment demeure que le Maroc aurait pu se distinguer autrement que par la politique de la chaise vide.

C’est pourquoi je vois au contraire dans le choix du Maroc une erreur d’appréciation voire la marque d’un manque de discernement.

 

A cela quatre motifs:

 

- Paris était le 11 janvier 2015 non la capitale de la seule France (avec laquelle nous sommes certes en délicatesse) mais bien la capitale du monde qui a dit non au terrorisme islamiste. Le Maroc a, en ce domaine, quelques arguments et positions diplomatiques de premières lignes à faire valoir. Dernier en date, son engagement résolu aux côtés de la coalition contre le terrorisme au Proche-Orient qui atteste d’un positionnement audacieux par lequel le Maroc se pose en acteur international dans la lutte contre le terrorisme.

De ce point de vue, sa présence à la marche eût conforté des positions qui à l‘évidence débordent le caractère contingent de la crise que traverse la relation franco- marocaine. 

 

- Participer à la marche de Paris n’emporte aucune caution des actes susceptibles d’être commis par 3 millions de manifestants, fussent-ils attentatoires à l’Islam!

Le Maroc a déjà pris position sur ces sujets pour n’avoir rien à démontrer.

Il est un fait que les limites du tolérable pour les consciences occidentales ne sont manifestement pas les mêmes que dans les pays musulmans. En occident, on considère que la liberté d’expression ne saurait être limitée par la liberté de croyance. Quand le tolérable dans les pays occidentaux s’arrête au seuil de l’antisémitisme, du révisionnisme ou de l’incitation à la haine ….

Chez nous le blasphème existe et est tenu pour un délit. La liberté doit s’exercer dans «le respect des religions et des convictions».

Pour être plus juste, le blasphème est à notre religion ce que l’incitation à la violence à l’égard, non pas d’une religion, mais des personnes qui la pratiquent,  est en occident aux «religions séculières». Dans un cas, c’est le citoyen que protège la démocratie et non sa croyance; dans le nôtre c’est les deux, du moins dans les intentions.

C’est là que se situe le malentendu entre l’occident et les pays musulmans, mais bien souvent aussi à l’intérieur des sociétés occidentales, entre musulmans et non musulmans. Aussi, c’est autour de ce débat qu’une parole forte, informée et claire aurait pris toute sa valeur et sa portée qu’un simple communiqué.

-Participer à la marche ne signifiait nullement souscrire au mot d’ordre «je suis Charlie», au sens strict du terme. Autrement dit, se retrouver prisonnier d’une conception laïciste (et très française) de la liberté d’expression qui ne connaît de limites que celles fixées par la loi.

Sur ce plan, je vois mal bien des chefs d’Etat et de gouvernement présents, endosser pareille acception. C’est à l’évidence bien l’esprit qui a réuni cet aréopage que la lettre à proprement parler. Un esprit qui autorise la nuance et refuse le nivellement des consciences que ce mot d’ordre tend à imposer.

La tradition laïciste (et non pas laïque) qu’incarne la ligne éditoriale de Charlie-Hebdo a son histoire propre. On peut apprécier, fustiger ou y être indifférent. Mais on ne peut en aucune manière la tenir pour étalon de la démocratie. En un mot, on peut être attaché à la liberté d’expression sans ériger Charlie Hebdo en modèle du genre.

-Enfin et surtout, et c’est là l’enjeu majeur. Etre autrement présent à Paris était l’occasion, de faire valoir à l’adresse du monde, de manière offensive et non sans une certaine autorité, la conception ouverte, tolérante de l’islam que défend le Maroc et qui est devenu un axe essentiel de sa politique étrangère.

Netanyahou s’est adressé aux côtés du Président Hollande à ses coreligionnaires dans une synagogue à Paris. J’aurais bien vu Mohamed VI délivrer un message fort et simple aux millions de musulmans et de non musulmans qui ont vécu ou suivi cet événement majeur.

 

Au lieu de saisir ce rendez-vous, le Maroc a préféré se replier sur une position frileuse et conservatrice qui tranche avec l’audace dont il a su faire montre sur des sujets du même ordre. D’une certaine manière, on s’est donné bonne conscience au lieu de chercher à peser sur des consciences en quête de pédagogie tant les configurations sont complexes.

Ce faisant, on a assurément perdu une occasion de conforter notre rôle et nos ambitions sur la scène internationale. A moins que la raison diplomatique ait ses raisons, que la raison commune ignore. Auquel cas, il lui appartient de se montrer plus convaincante.

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