Richard S. Grossman

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Le libre-échange éternel

Le 6 janvier 2014 à 11h04

Modifié 17 novembre 2021 à 10h37

NEWTON, MASSACHUSETTS – Le 7 décembre dernier, les représentants des 159 États membres de l’Organisation mondiale du commerce sont parvenus à s’entendre sur le premier accord commercial multilatéral depuis la création de l’OMC il y a 19 ans. Bien que cet accord de facilitation des échanges – baptisée «paquet de Bali» en référence à l’île indonésienne sur laquelle s’est tenue la réunion – n’appréhende pas les problématiques commerciales les plus pressantes dans la relation Nord-Sud, il constitue bel et bien le franchissement d’une étape économique et politique importante.  

Ce paquet de Bali a pour vocation de faire en sorte que les membres de l’OMC s’orientent vers un abaissement des barrières non tarifaires au commerce – en établissant par exemple un certain nombre de réglementations douanières plus transparentes, ainsi qu’en allégeant la documentation administrative associée aux échanges commerciaux. Bien que ces changements puissent s’apparenter à de menus détails, l’impact de cet accord – censé enrichir de 1.000 milliards de dollars la production mondiale, et créer quelque 21 millions d’emplois à travers le monde – n’en demeure pas moins substantiel.

Certaines critiques reprochent à cet accord d’échouer à répondre aux objectifs énoncés dans le cadre du Programme de Doha pour le développement mis en avant par l’OMC en 2001. Il convient néanmoins de rappeler que ces objectifs – parmi lesquels un meilleur accès en matière d’agriculture, de secteur manufacturier et de services, une clarification des règles commerciales internationales, ou encore une avancée dans l’appréhension des problématiques environnementales existantes – se révélaient excessivement ambitieux. La conclusion du modeste paquet de Doha s’est elle-même avérée un exercice délicat, ayant nécessité une journée de négociations supplémentaire pour parvenir à un accord sur des questions contentieuses telles que les subventions agricoles indiennes et l’embargo américain de Cuba.

La libéralisation des échanges commerciaux connaît pour autant aujourd’hui un essor significatif. Il suffit d’observer l’envergure et la portée impressionnante des accords commerciaux multilatéraux faisant actuellement l’objet de négociations – Partenariat transpacifique, Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, ou encore Accord sur le commerce des services.

Les avancées actuellement accomplies en direction de cette libéralisation soulignent l’amélioration dont ont fait l’objet les politiques commerciales au cours des cent dernières années, et notamment aux États-Unis. Le XIXe siècle fut caractérisé par le niveau élevé des tarifs douaniers, à la fois aux États-Unis et en Europe. Au cours de ces dernières décennies, les taux tarifaires européens connurent néanmoins un abaissement substantiel, principalement en réponse à l’abrogation unilatérale des Corn Laws au Royaume-Uni, qui imposaient des droits élevés sur les importations de céréales. Les États-Unis, en revanche, continuèrent de facturer des tarifs bien supérieurs.

À la différence de l’expérience européenne, la politique partisane façonna les politiques commerciales américaines avant la Seconde Guerre mondiale, les républicains ayant tendance à augmenter les tarifs douaniers, et les démocrates à les abaisser. L’un des plus hauts sommets atteints en la matière le furent en 1922, lorsque le gouvernement républicain décida d’adopter la loi intitulée Fordney-McCumber Tariff Act, qui augmenta de 64% le tarif moyen à l’importation.

Cette décision suscita une fervente opposition – de même qu’une importante contre-attaque – chez les partenaires commerciaux de l’Amérique. Entre 1925 et 1929, quelque 33 révisions tarifaires furent effectuées au sein de 26 pays européens, et pas moins de 17 en Amérique latine. Les conférences internationales de Bruxelles en 1920, de Portoroz en 1921 et de Gènes en 1922 – de même que la Conférence économique mondiale de la Société des Nations de Genève en 1927 – s’efforcèrent de promouvoir une trêve des tarifs douaniers, mais en vain.

En 1930, le président américain Herbert Hoover, aux côtés d’un Congrès contrôlé par les républicains, mit en œuvre le Smoot-Hawley Tariff Act, poussant au plus haut la guerre des tarifs. Bien que les augmentations tarifaires de la loi Smoot-Hawley se soient révélées modérées par rapport à celles de Fordney-McCumber, le timing entourant ces premières orienta la situation vers ce que l’on peut qualifier de fiasco des politiques commerciales. Selon la Société des Nations, Smoot-Hawley provoqua «une explosion des prises de décisions tarifaires au sein des autres États, au moins en partie à titre de représailles», une montée en flèche de ces droits s’observant quasi-immédiatement au Canada, à Cuba, en France, en Italie, au Mexique et en Espagne.

Ainsi, bien que Smoot-Hawley n’ait pas constitué une cause directe de la Grande Dépression, comme beaucoup l’ont pourtant affirmé, cette loi contribua bel et bien à une décomposition du commerce international, au moment même où le monde pouvait le moins se le permettre. Les deux tiers du déclin des importations totales observé entre 1929 et 1933 ne s’expliquèrent en effet qu’en partie par la baisse des revenus, et par conséquent de la demande d’importation ; la philosophie de riposte dont furent empreintes les mesures commerciales et politiques de taux de change joua également un rôle majeur dans l’effondrement commercial mondial.

Même lorsque les échanges commerciaux internationaux commencèrent enfin à réapparaître au lendemain de la dépression, ils restèrent fragmentés, se développant principalement au sein de régions et de blocs commerciaux déterminés. Ce n’est qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale – lorsque l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le fameux GAAT, auquel succèdera l’OMC en 1995) commença à entamer le processus de libéralisation des échanges commerciaux multilatéraux – que l’héritage destructeur de Smoot-Hawley put enfin être surmonté.

Bien évidemment, un certain nombre de pressions protectionnistes se sont depuis manifestées ici et là. Au cours de la campagne présidentielle américaine de 1992, Ross Perot déclara par exemple qu’une ratification de l’Accord de libre-échange nord-américain provoquerait un « gigantesque bruit d’aspiration, » à mesure du déplacement des emplois américains vers le Mexique, ainsi que de la diminution des salaires des travailleurs américains. Le fait est que beaucoup d’États ont instauré un certain nombre de barrières mineures – pas si insignifiantes que cela – aux échanges commerciaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Pour autant, la tendance générale demeure celle d’une ouverture de plus en plus importante. L’époque d’après-guerre que nous connaissons correspond en effet à la plus longue période de libéralisation commerciale continue de l’histoire – constat particulièrement intéressant, dans la mesure où notre monde sort à peine du pire ralentissement économique observé depuis la Grande Dépression. Nos dirigeants politiques semblent aujourd’hui bel et bien réticents à recourir à la hausse des tarifs douaniers.

Nul ne saurait parler d’une réussite totale du rassemblement de Bali, le programme de Doha élaboré par l’OMC demeurant par ailleurs en grande partie inachevé. Néanmoins, le fait que les États, en période de croissance économique pourtant fragile, continuent de promouvoir la libéralisation du commerce – de manière certes progressive – suggère combien le libre-échange a vocation à perdurer.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2014

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