Carl Bildt

Ex Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la Suède

La stratégie du retour de l'Europe

Le 7 janvier 2015 à 10h14

Modifié 9 avril 2021 à 20h26

STOCKHOLM/MADRID – Lorsque le pape François Ier s'est adressé au Parlement Européen en novembre dernier, il a comparé l'Union européenne à une grand-mère: agréable et pleine d'expérience, mais dénuée de la vitalité et de l'énergie qu'elle a pu montrer jadis. Le pape a soutenu qu'il était grand temps que les dirigeants européens se défassent de leur manque de dynamisme, qu'ils reconnaissent les défis stratégiques auxquels l'Europe est confrontée et qu'ils conçoivent des mesures claires pour y faire face.  

Malheureusement le portrait dressé par le pape est juste à certains égards. Mais malgré sa lassitude apparente, l'Europe conserve des atouts importants. Elle est une plaque tournante de haut niveau pour la réflexion et l'innovation. Elle abrite certaines des régions et des industries les plus compétitives du monde et (fait peut-être encore plus impressionnant), elle représente une communauté et un marché regroupant un demi-milliard de personnes.

Mais le monde est en train de changer: la région Asie-Pacifique a de plus en plus d'influence dans les événements mondiaux, économiques et autres. L'Accord de partenariat trans-pacifique, par lequel les États-Unis et 11 autres pays doivent créer une zone de libre-échange méga-régionale, va très probablement accélérer ce changement (ce qui va encore se confirmer si la Chine finit par les rejoindre). Bien que le Partenariat trans-pacifique (PTP) contienne de nombreux obstacles à surmonter avant qu'un accord ne soit finalisé, il ne faut pas sous-estimer sa capacité à augmenter la puissance économique de l'Asie.

L'Europe doit s'employer à renforcer sa position dans le nouvel ordre mondial, en commençant par relancer ses propres relations commerciales et ses investissements avec les États-Unis. Le problème est que malgré l'avancée des négociations du PTP, les pourparlers du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI) entre l'UE et les États-Unis sont si profondément embourbés dans des controverses internes que l'ensemble du projet risque d'être sabordé.

Les chefs d'entreprises des deux côtés de l'Atlantique sont convaincus qu'un accord PTCI réussi apporterait des avantages économiques substantiels: une opinion étayée par de nombreuses études. Pourtant des questions triviales (par exemple, l'utilisation de poulet traité au chlore et le règlement de différends avec les investisseurs) continuent de dominer le débat.

Le désengagement des États-Unis au profit de l'Europe

L'objectif du PTCI est d'exploiter la puissance de l'économie transatlantique, qui reste de loin le plus grand et le plus riche marché du monde, représentant les trois-quarts de l'activité financière mondiale et plus de la moitié du commerce mondial. (Si le PTCI était ouvert à d'autres économies, comme la Turquie, le Mexique et le Canada, les avantages seraient encore plus grands.)

Il existe toutefois un argument encore plus convaincant que les avantages de parvenir à un accord: les conséquences potentiellement catastrophiques d'un échec. Pour commencer, une rupture des pourparlers du PTCI fournirait des arguments considérables aux membres du Royaume-Uni qui prônent le retrait de l'UE. Inversement, si le PTCI était mis en œuvre, il serait malavisé (et donc peu probable) que le Royaume-Uni sorte de l'UE.

Par ailleurs, le sentiment que des querelles internes à l'UE ont conduit à gâcher une opportunité stratégique risquerait probablement de conduire les États-Unis à accélérer leur désengagement en faveur du continent. Et le président russe Vladimir Poutine pourrait toujours considérer l'échec de l'Union européenne comme une opportunité majeure d'exercer plus d'influence sur certaines régions de l'Europe.

Tout cela contribue à un risque stratégique hautement fondamental: si le PTCI s'arrête ou s'effondre, tandis que le PTP va de l'avant et réussit, alors l'équilibre mondial va pencher fortement en faveur de l'Asie et l'Europe aura peu d'options, le cas échéant, pour retrouver une influence économique et géopolitique.

Lorsque le PTCI a tout d'abord été proposé, l'Europe semblait reconnaître sa valeur. En effet, c'est l'UE qui a poussé les États-Unis, qui doutaient alors de l'engagement de l'Europe, à lancer le processus de négociations en juin 2013.

Eviter un désastre stratégique

L'ambition était d'achever les négociations en un seul et même mouvement. Personne ne voulait devoir supporter des pourparlers prolongés, ni les lourdeurs politiques qui en découlent.

Mais les dirigeants de l'UE ont abandonné le fond du projet, confirmant ainsi en apparence les craintes américaines. Les négociateurs commerciaux ont eu du mal à progresser, tandis que les groupes anti-mondialisation ont pris le contrôle du discours public, en présentant le PTCI comme une menace pour tous les organes de l'Europe, depuis la démocratie jusqu'à ses services de santé.

Cet exposé est dangereusement inexact et les dirigeants de l'UE doivent l'empêcher de gagner plus de terrain en en faisant un argument stratégique pour l'accord. Et ils doivent ranimer leur engagement à conclure les négociations avec succès en 2015.

Cela ne veut pas dire que la résolution des questions en suspens dans les négociations du PTCI sera simple. Mais établir un accord commercial, en particulier celui qui implique tant de questions réglementaires est toujours difficile, car il faut tenir compte de la complexité et de la variabilité des économies modernes. Le fait est que les défis inhérents à l'achèvement du PTCI ne sont pas plus difficiles à résoudre que ceux auxquels les dirigeants européens ont dû faire face au cours des dernières années de crise.

Quand vont reprendre les négociations du PTCI le mois prochain, les dirigeants européens devront faire pression pour entraîner un véritable progrès, avec l'objectif de parvenir à un accord d'ici la fin de l'année. La bonne nouvelle, c'est que les récentes élections de mi-mandat aux États-Unis pourraient bien augmenter leurs chances. Le président Barack Obama pourrait obtenir à présent du Congrès le «pouvoir de négociation accélérée». Si cela devait effectivement se produire, le Congrès pourrait tout simplement approuver ou rejeter tout accord négocié, plutôt que devoir le passer en revue.

La période des élections présidentielles américaines commence et d'autres problèmes de cette nouvelle année pourraient facilement revenir en tête de l'ordre du jour de l'UE. C'est pourquoi les dirigeants européens n'ont pas de temps à perdre. Ils doivent saisir les opportunités économiques et éviter un désastre stratégique.

© Project Syndicate 1995–2015

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