Mehmet Simsek

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La sage prévention des crises

Le 19 septembre 2013 à 8h43

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

  ANKARA – Indépendamment de la divergence des différents États dans l’élaboration des politiques, tous partagent cette même responsabilité consistant à garantir la stabilité financière. Ceci implique une coordination véritable et efficace des politiques, ainsi qu’un cadre global de gouvernance macro-prudentielle, à la fois sur le plan domestique et international.  

Le fait est que le prix à payer pour la prévention des crises financières s’avère bien inférieur aux coûts que celles-ci impliquent une fois déclarées. Les crises financières sont après tout directement liées à l’importance des baisses de production et des hausses du chômage ; aspect tout aussi important, elles altèrent par ailleurs souvent gravement la cohésion sociale.

Cinq années après la survenance de la catastrophe, les retombées de la crise financière et la récession engendrée par l’effondrement de la banque américaine d’investissement Lehman Brothers perdurent. Dans de nombreux pays développés, le PIB réel demeure aujourd’hui encore inférieur au niveau d’avant-crise. Les taux de chômage et déficits budgétaires sont par ailleurs plus élevés, tandis que les ratios dette publique / PIB s’élèvent à des niveaux records.

Les politiques macro-prudentiellesne sauraient constituer un substitut aux politiques macroéconomiques saines ; elles sont néanmoins essentielles à la prévention des bulles d’actifs et autres distorsions sur les marchés financiers, et réduisent par conséquent le risque de chocs négatifs à la fois pour les marchés et pour l’économie réelle.

La crise financière turque de 2001a par exemple principalement découlé de l’absence de cadre de réglementation et de supervision efficace à l’endroit du secteur bancaire. Cette crise a conduit à un bond de 30 points de pourcentage du ratio de la dette publique. Le PIB réel a connu une contraction de 5,7%, et le taux de chômage une augmentation de 4,9 points de pourcentage.

Depuis, les efforts de la Turquie se sont axés sur la stabilité financière et les réformes structurelles, qui ont permis de renforcer la performance économique et d’accroître la résilience du pays face aux chocs. Au cours de la crise financière mondiale, la Turquie n’a en effet pas eu à dépenser un centime de l’argent du contribuable en direction de la recapitalisation ou de la réhabilitation des banques. Le coût des sauvetages bancaires effectués au cours de la crise turque auto-infligée survenue il y a 12 ans s’était en revanche élevé à près de 25% du PIB.

Grâce aux solides fondamentaux de la Turquie ainsi qu’au cadre macro-prudentiel en place en 2008, la crise financière mondiale n’a engendré aucun impact durable pour l’économie turque. La reprise s’est révélée rapide et solide, la croissance du PIB réel ayant tourné autour de 9% en 2010-2011. Le taux de chômage en Turquie connaît actuellement son niveau le plus bas depuis dix ans, le ratio de la dette publique s’élevant quant à lui bien en-dessous de son niveau d’avant-crise.

L’expérience turque démontre combien l’élaboration d’un cadre macro-prudentiel doit prendre en compte les liens financiers à la fois domestiques et internationaux. Il s’agirait avant tout pour le cadre international de neutraliser les risques et les effets d’entraînement générés par les institutions financières les plus importantes sur le plan systémique. Le développement et la mise en œuvre des normes bancaires de Bâle III sont indispensables à la mise en place de marges de capital contra-cycliques, ainsi qu’à une meilleure absorption des pertes de la part de ces institutions.

En termes de mesures intérieures, l’architecture institutionnelle d’un pays se révèle un élément clé dans la garantie d’une stabilité financière ainsi que d’une coordination et d’une coopération efficaces en matière de politiques. La Turquie a mis en place un Comité de stabilité financière ayant pour tâche de superviser l’application efficace et opportune des politiques intéressant directement le secteur financier, ainsi qu’un Conseil de coordination économique chargé de l’identification et de l’évaluation des problématiques affectant la stabilité économique dans son ensemble. Ces deux organes travaillent à optimiser l’élaboration et la mise en place opérationnelle des politiques macro-prudentielles.

Le plan de ciblage de l’inflation mis en œuvre par la Banque centrale turque a par exemple été revu afin qu’y soient incorporées les considérations de stabilité financière, un nouveau cadre de politique monétaire étant en vigueur depuis la fin de l’année 2010. Cette politique monétaire repose désormais sur une boîte à outils plus complète, faisant notamment intervenir le taux directeur, la fourchette de taux d’intérêt, les ratios de réserves nécessaires, ainsi que le mécanisme d’option de réserves.

L’Agence turque de régulation et de supervision des banques (BRSA) ainsi qu’un certain nombre d’autres autorités recourent elles aussi à des mesures de nature macro-prudentielle. En 2011, la BRSA a par exemple adopté une réglementation à ratio prêt-valeur des emprunts hypothécaires, afin de limiter l’expansion rapide du crédit entraînée par la croissance des prêts à la consommation. Deux ans plus tôt, en 2009, la BRSA avait adopté une autre mesure importante excluant pour les ménages la possibilité d’emprunter en devise étrangère, les préservant ainsi des effets de volatilité liés aux taux de change.

S’agissant du secteur bancaire, un certain nombre de tests de résistance sont effectués depuis 2004, un ratio cible d’adéquation du capital à hauteur de 12% étant en place depuis 2006. Même lors de la crise, les ratios bancaires d’adéquation du capital s’élevaient au-dessus de l’exigence de 8% énoncée par Bâle II, la répartition des profits des banques faisant par ailleurs l’objet d’une surveillance étroite de la part de la BRSA depuis 2008. D’importants fonds de réserve sont ainsi apparus sur les bilans des banques, le rendement des capitaux propres demeurant élevés.

La Turquie a également revu ses lois fiscales afin de pénaliser l’excès d’emprunt externe de la part des sociétés non financières, ainsi que d’introduire un certain nombre d’incitations significatives destinées à encourager l’épargne à long terme des ménages.

Malgré la mise en place de ces mesures, la situation demeure préoccupante. Face à l’explosion de la crise mondiale, les principales économies développées ont mis en œuvre des politiques monétaires non conventionnelles, ce qui a fait apparaître des flux de capitaux considérables en direction des économies émergentes, abaissant les coûts de l’emprunt et facilitant l’accès au crédit. Bien que les bilans du secteur public des États à marché émergent soient plus solides que jamais – le faible niveau de déficits et de dette s’accompagnant de larges réserves de change – l’endettement des ménages et des entreprises s’est accentué. Ceci a accru la vulnérabilité de nombreux marchés émergents en cas d’inversement brutal des flux de capitaux.

Ceci se vérifie particulièrement dans le cas des pays émergents qui, comme la Turquie, présentent un important déficit de la balance courante. Le déficit extérieur de la Turquie correspondant à 6% du PIB, les autorités ont choisi d’adopter un cadre macro-prudentiel combinant politiques d’atténuation de la volatilité des taux de change à très court terme et mesures destinées à accroître l’épargne domestique ainsi qu’à promouvoir la compétitivité internationale du secteur réel à long terme. Il y a là un modèle dont les autres économies émergentes auraient tout intérêt à s’inspirer.

Traduit de l'anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2013
 

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