Rabah Arezki

Ancien économiste en chef pour la région Mena à la Banque Mondiale

Tarik M. Yousef

Directeur du Middle East Council on Global Affairs où il est également senior fellow.

La grande transformation de l'Arabie saoudite

Le 4 juillet 2023 à 16h04

Modifié 4 juillet 2023 à 16h54

Une expérience de transformation économique et sociale sans précédent se joue actuellement en Arabie saoudite, dont les résultats pourraient avoir des conséquences profondes dans tout le monde arabe.

DJEDDAH/DOHA - Le principal objectif du plan Vision 2030, promu par le royaume, est de libérer l’économie de sa dépendance aux énergies fossiles. Le changement de pied intervient au moment opportun : les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de 45% d’ici 2030 et atteindre la neutralité d’ici 2050 pour respecter l’accord de Paris et la limitation du réchauffement mondial à 1,5° Celsius au-dessus des niveaux préindustriels.

Mais on ne saurait surestimer la difficulté d’un tel défi. L’Arabie saoudite tire l’essentiel de sa richesse de ses immenses réserves pétrolières (le pays est le premier exportateur mondial de brut) et le risque de voir ces actifs bloqués est existentiel.

L’Arabie saoudite n’est pas le premier pétro-État du Moyen-Orient qui tente de s’extraire des hydrocarbures. Depuis plusieurs décennies, d’autres économies arabes ont entrepris de semblables efforts de diversification, sans guère de succès pourtant, à l’exception de Dubaï, qui s’est réinventée en centre logistique, destination touristique et centre financier offshore, afin de contrebalancer l’épuisement de ses réserves pétrolières. Mais le modèle de la cité-État, qui a connu ailleurs des succès indéniables, n’en est pas moins difficilement généralisable, raison pour laquelle les responsables politiques de la région et au-delà porteront sur le programme de développement de l’Arabie saoudite, un pays de presque 37 millions d’habitants, un regard particulièrement attentif.

Faire aussi bien que Dubaï : le défi est considérable, mais le dirigeant saoudien, le prince héritier Mohammed Ben Salman, plus connu par ses initiales -MBS- ne veut rien moins que déployer ses immenses ressources pour accélérer la transformation socio-économique du royaume. Des efforts considérables ont été entrepris pour placer le pays au premier plan de la production d’énergie verte (y compris d’hydrogène), de l’industrie minière, de la logistique et des infrastructures, des sports, de la musique, du tourisme, des services numériques, de la finance et de l’entreprenariat. Le gouvernement cherche aussi à accroître la part des femmes dans la main-d’œuvre, leur ayant pour ce faire accordé le droit de conduire, limitant les pouvoirs de la police des mœurs et imposant des pénalités aux entreprises recourant à la main-d’œuvre étrangère.

Dans le même temps, MBS a fait savoir, sans la moindre ambiguïté, qu’il n’était pas question de réformes politiques. L’assassinat de Jamal Khashoggi, en 2018, a choqué le monde entier et la répression des forces de sécurité sur la dissidence a fait taire les critiques du régime.

L’ambitieuse expérience économique de l’Arabie saoudite doit pourtant être prise au sérieux. L’Aramco, le géant pétrolier dont l’État saoudien est toujours actionnaire majoritaire, a enregistré pour l’année 2022 un bénéfice record de 161,1 milliards de dollars et les recettes ont été investies dans le pays et dans le monde par l’intermédiaire du Fonds d’investissement public, le fonds souverain du royaume. À l’intérieur, les pétrodollars financent une longue liste de méga-projets pour améliorer les transports, repenser le développement urbain, diversifier le secteur énergétique et développer le tourisme. Neom, cité futuriste décarbonée, bâtie sur la mer Rouge, incarne l’audace de ces entreprises.

L’Arabie saoudite a aussi augmenté sa taxe sur la valeur ajoutée, qui est passée de 5% à 15%, apportant aux deniers publics une nouvelle ressource. C’est une initiative importante dans un pays dont les citoyens ont longtemps profité d’aides financières et d’allocations en échange de leur assentiment à la direction politique. Les résultats se font déjà sentir. Alors que les pétrodollars, historiquement, comptaient pour environ 90 % du budget, le produit hors secteur pétrolier a fourni 32% des recettes budgétaires en 2022 .

En outre, l’enthousiasme envers le plan Vision 2030 est sensible, notamment chez les jeunes. L’enquête menée auprès de la jeunesse arabe par l’agence de relations publiques des EAU ASDA’A BCW montre que les jeunes saoudiens ont confiance dans la direction qu’emprunte leur pays. Dans une région où sont répandues les inquiétudes concernant la corruption et la défiance vis-à-vis des pouvoirs publics, l’union derrière un objectif de politique générale est pour le moins inhabituelle. Dans de nombreux États arabes, les gouvernements ne sont pas parvenus à galvaniser leur population autour d’un but commun depuis les beaux jours du nationalisme arabe avec sa politique de développement conduite par le secteur public, dont les hérauts étaient des dirigeants de l’étoffe d’un Gamal Abdel Nasser en Égypte.

Mais il y a une différence d’importance entre l’actuelle expérience saoudienne et l’ère qui a suivi les indépendances : Vision 2030 est tourné vers la libéralisation et la volonté d’attirer les investissements étrangers, et non plus vers les nationalisations et la redistribution. À cet égard, l’introduction en Bourse d’Aramco, en 2019, est emblématique.

De même, les réformes du marché du travail avancent à un rythme soutenu, le but étant d’encourager les Saoudiens à participer plus activement au secteur privé. Si l’emploi dans la fonction publique -partie intégrante du contrat social -demeure élevé, il s’est légèrement tassé depuis 2019, et les contrats de travail se sont assouplis. Une autre réforme vise à faire venir de l’étranger plus de main-d’œuvre qualifiée en renforçant la mobilité dans l’emploi des expatriés. D’autres initiatives destinées à ouvrir l’économie, notamment la création de zones économiques spéciales, doivent contribuer à faire du royaume un important carrefour logistique.

L’expérience saoudienne n’est pas sans risque. L’argent ne peut tout acheter et ne remplace pas les capacités institutionnelles ni l’expertise de la planification stratégique. En outre, l’usage abondant de cabinets de consultants, malgré un vaste vivier de talents locaux, pourrait s’avérer un problème si l’argent vient à manquer. Par ailleurs, les méga-projets peuvent se révéler des folies sans suite, et les réformes destinées à renforcer l’efficience ne pas produire les effets escomptés.

La situation de l’Arabie saoudite en un point du globe où les tensions sont vives pourrait aussi constituer une menace à sa transformation. L’accord récent qui a permis le rétablissement des liens diplomatiques avec Téhéran, les efforts déployés pour parvenir au Soudan à un cessez-le-feu et la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe sont un virage à 180° par rapport à la politique étrangère plus agressive du milieu des années 2010, et montrent que MBS est conscient que son succès sur le plan intérieur dépend, pour partie, de la stabilité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et orientale.

Reste à voir si le Royaume, avec ses immenses ressources, une confiance renouvelée et sa volonté d’accélérer l’histoire, pourra transformer la vision en réalité. S’il y parvient, la région, indubitablement, s’en portera mieux.

©Project Syndicate 1995–2023

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