Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

La France s’apprête à vous accueillir les bras ouverts

Le 27 janvier 2024 à 10h21

Modifié 27 janvier 2024 à 19h50

Le Conseil constitutionnel français vient d’invalider une grande partie des articles du projet de loi sur l’immigration qui lui a été soumis. Il a annulé ceux relatifs au durcissement de l’accès aux prestations sociales, ou à l’instauration de quotas migratoires par le Parlement. De même, il a abrogé l’allongement de la durée de résidence pour les non-Européens pour bénéficier de certaines prestations sociales, comme pour les critères relatifs au regroupement familial. Bien d’autres articles ont également été jugés non constitutionnels.

Après l’adoption de la réforme sur les retraites, celle sur l’immigration a déchaîné aussi les passions et les controverses en France et bien au-delà. Ce projet de loi, conçu et promu par la droite et son extrême, voulait changer le visage de ce pays, longtemps vu comme le berceau des droits de l’Homme et des citoyens. On savait que cette réforme allait créer des désordres au sein de la majorité et de l’opposition, comme entre les institutions du pays chargées de respecter le droit.

Le projet avait été présenté au Conseil des ministres en février dernier par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, épaulé par Éric Dupont-Moretti, garde des Sceaux, et Olivier Dussopt, ancien ministre du Travail. Il fallait trois grands ministres du gouvernement d’Emmanuel Macron pour porter collectivement ce projet, dont aucun ne voulait prendre la lourde responsabilité à lui seul. Depuis l’automne 2022, il a traversé un parcours chaotique pour son adoption, et rien ne s’est passé comme prévu initialement.

Macron estimait que le projet était assez équilibré pour être avalisé. Son ministre de l’Intérieur vantait le durcissement des expulsions des immigrés clandestins, quand son collègue du Travail proposait un nouveau titre de séjour pour régulariser les sans-papiers travaillant dans des métiers en tension comme le bâtiment ou la restauration. L’examen du texte a commencé au sein de la Commission des lois au Sénat en mars dernier. Dominée par la droite, cette institution a ajouté des articles encore plus contraignants, rendant le projet final difficilement acceptable au regard de la Constitution.

Le ministre de l’Intérieur Darmanin s’est trouvé bien seul face à une droite décidée à faire monter les enchères. Les Républicains avaient avancé leurs propositions extrémistes, faisant des régularisations des clandestins un tabou. Au début, Ils ont dénoncé ce projet gouvernemental, trop mou à leurs yeux, et qui n’est qu’un appel d’air qui va pousser à plus d’immigration. Ils ont même menacé de faire tomber le gouvernement si le projet de loi restait en l’état.

Macron a pensé un moment à en faire plusieurs textes de lois et à le "saucissonner", comme on dit, pour le faire adopter. Cette entreprise risquait d’engluer toute la réforme dans des démarches et des négociations interminables. Il y renonça et chargea son ministre de l’Intérieur de poursuivre les négociations avec le Sénat. Les concertations entre les deux restaient discrètes, et la droite majoritaire au Sénat demeurait inflexible face à un gouvernement affaibli. Par petites tranches, les sénateurs soumettaient, article après article, le gouvernement Macron à des concessions interminables.

Un texte totalement durci

Le texte final négocié passe alors de 27 articles à 86 et retrouve son parcours parlementaire. Quand il arrive à l’Assemblée nationale, le projet est totalement durci, mais le gouvernement se trouve en face d’une motion de rejet adoptée par cette institution. C’est une lourde défaite politique pour la majorité, et un camouflet pour le ministre de l’Intérieur qui présenta sa démission, vite refusée par Macron qui n’avait nullement besoin d’une déstabilisation supplémentaire.

Macron chargea alors sa Première ministre Elisabeth Borne, déjà sur le départ, d’un dernier combat pour trouver un compromis et une sortie à cet imbroglio. Elle engagea des tractations avec la droite, alors que son gouvernement était en état de faiblesse totale. Elle enchaîna elle aussi encore plus de concessions pour arracher un compromis, quitte à obtenir une mouture inspirée totalement de la droite, avant d’être remplacée par Gabriel Attal.

Le conclave de députés créé à cet effet, réuni dans une Commission mixte paritaire (CMP), reprend le projet de loi et produit un texte qui met encore plus l’accent sur le durcissement des conditions d’accueil des étrangers, avec l’appui intéressé et naturel de l’extrême-droite qui y trouve l’occasion de promouvoir sa politique anti-immigrés. Les partis de gauche crient alors à la compromission, et dénoncent un texte régressif et inhumain, loin d’être en harmonie avec la loi fondamentale du pays.

Malgré ces critiques, la loi est adoptée par les voix de la droite et une partie de la Macronie. Cependant, 59 des députés du rang gouvernemental ont fait défaut, et certains ministres ont même annoncé leur démission. Face à cette crise qui a failli dissoudre la majorité, le président Macron, comme les partis de gauche, saisissent le Conseil Constitutionnel pour statuer sur la conformité du texte de loi à la Constitution du pays.

Cette saisine du Conseil Constitutionnel ne s’est pas non plus déroulée paisiblement. La Première ministre Borne a reconnu la fragilité du texte adopté et la gauche, pour sa part, a aussi pointé l’inconstitutionnalité d’une trentaine d’articles. Les députés de gauche, révoltés de voir le pays des droits de l’Homme légiférer pour un tel texte, saisissent le Conseil le 22 décembre dernier pour contester la totalité du projet et le nombre record d’articles contraires aux principes constitutionnels.

Se remettre au Conseil constitutionnel est un recours toujours peu apprécié pour se débarrasser d’une question politiquement embarrassante, mais reste cependant nécessaire pour dire la Loi. Pour le Conseil, le Parlement est censé adopter des lois conformes aux législations nationales, et non lui faire assumer l’incurie des parlementaires et du gouvernement. À l’occasion de la nouvelle année 2024, le socialiste Laurent Fabius, président du Conseil, reprochait à la classe politique ce comportement. Pour lui, le gouvernement reconnaissait que le texte de loi comportait des dispositions contraires à la Constitution, et cherchait à questionner les limites de la jurisprudence constitutionnelle en créant des tensions inutiles.

"Sauvegarder le destin de la France"

En réalité, ce qu’on reproche à cette loi, c’est une trentaine d’articles jugés contraires à la loi fondamentale, comme le conditionnement de l’accès à certaines prestations sociales, à la durée de résidence, ou aux règles relatives au regroupement familial. Le droit à la protection sur le territoire français a été réduit comme peau de chagrin, favorisant ainsi l’inégalité de traitement dans un pays qui, paradoxalement, se réclame comme démocratie et patrie des droits de l’Homme.

Pour ne citer que le volet des étudiants étrangers, ceux-ci doivent, selon le texte proposé, justifier du caractère réel et sérieux de leurs études, et payer une caution qui ne peut être récupérée qu'au moment de leur départ définitif. Comment, dans ce cas, la France compte-t-elle encore attirer les talents utiles à son développement et à son rayonnement ? Le projet voulait aussi instaurer des quotas migratoires, des conditions au regroupement familial, la réduction de certaines prestations sociales, une connaissance de la langue et une formation civique pour tout nouveau venu.

Celui-ci sera également appelé à signer un contrat d’intégration républicaine, où figurent le respect de la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre homme et femme, ainsi que la reconnaissance de la devise et des symboles de la République.  Ces exigences ne s’arrêtent pas là. En cas de rejet d’un de ces principes, les préfectures peuvent retirer le titre de séjour et procéder à l'expulsion.

Le projet de loi initial énumérait à l’excès les motifs de refus de délivrance, ou de retrait de la carte de séjour. Une fraude documentaire, une infraction contre les élus ou les agents publics, peuvent avoir de graves conséquences pour un étranger. La menace à l’ordre public peut constituer également un autre motif. Les députés cherchaient délibérément à renforcer l’arsenal juridique et les motifs pour se débarrasser, à peu de frais, de tout étranger indésirable sur le sol français, et même de ceux se prévalant des liens familiaux dans le pays.

À présent que le Conseil constitutionnel a vidé de sa substance ce projet de loi, il ne reste plus au gouvernement français qu'à l’adopter comme tel, ou à le rejeter en entier. D’ores et déjà, la droite et l’extrême-droite ont vivement critiqué la position du Conseil. Le chef du Rassemblement national, Jordan Bardella, a dénoncé un coup de force des juges avec le soutien de Macron. Cette loi est mort-née, et la solution, selon lui, est l’organisation d’un référendum sur l’immigration. Le patron des Républicains, Éric Ciotti, a appelé pour sa part à une réforme constitutionnelle, plus que jamais indispensable pour sauvegarder le destin de la France, selon ses dires.

Vue d’ici, cette loi a divisé encore plus la France en raison de son manquement criard aux principes des droits humains comme internationalement reconnus. Elle est le reflet et l’expression d’une focalisation excessive sur la problématique migratoire, en lieu et place des questions économiques et sociales qui intéressent le plus les citoyens français. Toute cette polémique provoquée va de pair avec le déclassement international de la France, au niveau politique comme au niveau économique, et où sa voix porte de moins en moins.

Les flux migratoires touchent la plupart des nations, y compris notre pays. Toute politique de contrôle des migrants devrait prendre en compte leurs droits inaliénables à la protection et au respect de leur vie personnelle et familiale. Le sort réservé à ces derniers ne devrait donc jamais être un enjeu politique ou électoral pour gagner en popularité ou affaiblir un adversaire politique. Tous les pays qui ont de fortes communautés en France suivent de près l’évolution de cette question et observent attentivement comment les autorités françaises comptent procéder pour bien traiter leurs citoyens vivant en France.

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