Katharina Pistor

Professeur de droit à la faculté de droit de l’université Columbia 

La débâcle du plafond sur la dette américaine

Le 28 octobre 2013 à 14h26

Modifié 9 avril 2021 à 19h44

  NEW YORK – Lorsque la crise de la dette souveraine de la Grèce menaçait la survie de l'euro, les responsables américains avaient appelé leurs homologues européens pour exprimer leur effarement face à leur incapacité à résoudre le problème. Aujourd’hui, la situation a changé : c’est au tour des dirigeants américains de recevoir ces appels. La menace la plus récente d'un défaut sur la dette américaine a été évitée, mais seulement de manière temporaire. Une autre bataille se profile pour le début de l’année prochaine, lorsque le plafond sur la dette du gouvernement américain devra être à nouveau relevé.  

En Europe, l'absence d'une union politique – considérée comme une condition nécessaire pour partager des titres de créance et, par conséquent, donner à l'euro sur des bases véritablement saines – est largement reconnue comme l'origine de la crise du continent. Cependant, la crise américaine suggère que l'union politique n'est pas une panacée pour la gestion de la dette souveraine. Pendant des semaines, les républicains de la Chambre des représentants ont menacé de fermer le gouvernement – l’empêchant ainsi d'étendre son pouvoir d'emprunt au-delà de la date limite du 17 octobre – en représailles aux lois qui ont été promulguées par le Congrès dans son ensemble et confirmées par la Cour suprême.

Dans la zone euro, la principale source de désaccord a été la façon dont les dettes ayant un besoin de refinancement ont été contractées – c’est à dire, est-ce qu’elles enfreignaient les limites d'endettement fixées ou non. Aux États-Unis, la pomme de discorde a porté sur l'objectif des fonds en question. La différence est finalement mineure et ne devrait pas permettre d’éclipser ce qui est véritablement en jeu : l'auto-gouvernance démocratique à une ère de dette publique élevée.

En 1773, les dénommés Sons of Liberty ont organisé le Boston Tea Party sous le slogan «Pas de taxation sans représentation». Et les fondateurs de l'Amérique considéraient clairement que le contrôle législatif sur le budget représente un pilier essentiel de la gouvernance démocratique.

La fiscalité reste la principale source de recettes publiques dans les pays les plus développés. Néanmoins, le rôle du financement par la dette n'a cessé de croître – et, en corollaire, la nécessité de refinancer la dette ancienne lorsque le total des dépenses, y compris le service de la dette, dépasse le total des recettes.

Un large accès à des marchés de capitaux internationaux profonds et liquides a permis aux décideurs de contourner certains des aspects les plus difficiles de la gouvernance démocratique. Au lieu de s'attaquer à des questions épineuses concernant la façon d'allouer des ressources limitées, les gouvernements démocratiques semblent croire qu'ils peuvent tout avoir : des impôts bas et un financement par la dette suffisant pour financer des guerres ou des programmes plaisant aux électeurs. L’accroissement du fardeau de la dette suggère que cette forme de politique à bon marché a vécu.

Toutefois, le problème est plus profond que cela. Une dépendance excessive au financement par la dette a miné certains principes fondamentaux de la démocratie, dès lors que le financement du gouvernement a de moins en moins été déterminé par les cycles électoraux et la délibération politique, et de plus en plus par les calendriers de remboursement de la dette. En période de croissance économique, le financement par la dette permet d'échapper facilement aux choix difficiles. Quand l'économie chancelle, cependant, les créanciers – et ceux qui sont prêts à entretenir la perspective d'un défaut – peuvent imposer leur volonté à tout le monde.

Ce pouvoir découle de la nature même de la dette. Les taxes sont des quasi-fonds propres que le gouvernement détient sur les attentes financières de ses citoyens. Obtenir le consentement de la majorité des citoyens en faveur d’une augmentation des impôts peut s’avérer une tâche difficile politiquement, qui est devenue encore plus difficile alors que la mobilité des capitaux a réduit l'assiette fiscale et déclenché une course vers le bas des taux d’imposition.

La dette, en revanche, est un engagement contractuel à rembourser les créanciers qui sont largement inconscients de la façon dont l'argent est dépensé. En contractant une dette, les états échangent un élément de souveraineté – la possibilité de changer de cap au fil du temps en réponse aux demandes de l'électorat – contre la capacité à financer des dépenses sans être obligés de naviguer dans le champ de mines politique que représente une augmentation des impôts.

La création d'institutions viables pour gérer la dette publique dans une démocratie est difficile. Les mécanismes proposés actuellement sont des plafonds sur la dette constitutionnels, statutaires ou fondés sur des traités, qui sont exprimés en tant que pourcentage du PIB ou, comme aux États-Unis, en termes nominaux.

Les plafonds sur la dette basés sur des traités sont largement inefficaces, comme on l’a vu avec l'expérience européenne. Les limites d'endettement constitutionnelles doivent encore être testées en situation d'urgence, quand un nouveau financement est nécessaire rapidement. Et, comme le démontre la récente impasse aux États-Unis, les minorités politiques détenant un droit de veto effectif peuvent abuser des plafonds légaux en période de ralentissement économique, lorsque la dépendance au financement par la dette externe augmente.

En effet, dans la mesure où la dépendance au financement par la dette réduit l'autonomie du gouvernement, la probabilité d’abus du plafond sur la dette à des fins partisanes augmente. Le problème est que les démocraties doivent encore apprendre comment gérer efficacement la dette. Bien qu’une union politique puisse stabiliser l'euro, elle n’encouragera ni ne renforcera pas la démocratie tant que les dirigeants européens abordent cet échec critique.

Même la plus vieille démocratie continue du monde n'est pas à l'abri d’une érosion de l'autonomie gouvernementale. Des engagements de ne jamais augmenter les impôts ont provoqué une dépendance des Etats-Unis par rapport au financement par la dette – et, ce qui est encore plus inquiétant, à ceux qui sont prêts à s'opposer à son refinancement.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

© Project Syndicate 1995–2013

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