Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Jordan Bardella, l'homme avec qui on sera amené à négocier demain

Le 29 juin 2024 à 8h45

Modifié 29 juin 2024 à 8h45

Jordan Bardella est né certainement sous une bonne étoile pour tous les succès qu’il a accumulés depuis son intronisation en novembre 2022 comme président du Rassemblement National. Jamais ce parti n’a eu autant d’impact sur la société française que depuis qu’il en détient les rênes.

Hier honni, ce parti d’extrême-droite est devenu plus fréquentable auprès de la population, et d’une grande partie de la classe politique françaises qui l’avait pourtant combattu pendant longtemps. Bardella lui-même, ne s’attendait peut-être pas à tant de succès massifs, dont le plus récent est le résultat des récentes élections européennes.

Sa formation, le Rassemblement National RN, a en effet récolté 31,5% des suffrages faisant d’elle la première force politique du pays, reléguant ainsi les autres partis loin derrière. La décision surprise du Président français Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée Nationale, et d’appeler à de nouvelles élections législatives, a été l’autre bonne nouvelle pour Bardella. Il ne pouvait espérer meilleure occasion pour obtenir une majorité qui lui permettrait de gouverner le pays. Ce qui était un simple rêve est en train de devenir une réalité pour ce jeune d’à peine trente ans.

Bardella est né et a grandi en Seine-Saint-Denis où 30% de la population est issue de l’immigration. Peu porté sur les études, il décroche son baccalauréat ES puis s’inscrit à l’université pour des études de géographie qu’il abandonne rapidement pour se consacrer à la politique. En 2012, alors qu’il est âgé tout juste de 16 ans, il adhère au Front National de Jean-Marie Le Pen. Encore mineur, sa maman, divorcée et avec qui il vivait, est réticente à cette adhésion mais se porte garante pour occuper l’adolescent. Lui voulait donner tout simplement un coup de main aux élections présidentielles pour le chef du FN Jean-Marie Le Pen qu’il admirait tant.

C’est à la Seine-Saint-Denis où il connaîtra les rouages et les activités organisationnelles du Front National, et se lie d’amitié avec nombreux de ses responsables et adhérents et de jeunes de son âge. C’est là aussi où il fait ses premières armes, guidées par sa seule ambition de grimper les échelons. On ne lui connait pas de participations à des rixes où des confrontations violentes. Bardella c’est la politique brute, l’action au service d’un idéal, l’organisation et la discipline pour plaire à ses supérieurs.

Sa première implication dans une affaire qui a défrayé la chronique date de 2014 avec son ami Maxence Buttey, adhérent comme lui au parti. Buttey qui s’est converti à l’Islam en informa Bardella, devenu secrétaire départemental, qui lui conseilla d’assumer publiquement sa foi pour couper court aux rumeurs. Après avoir exécuté cet ordre, le parti accusa Buttey de prosélytisme et fut expulsé du parti. Cette affaire a eu un fort écho en France, et attira l’attention des médias. Tous les projecteurs furent braqués sur cette fédération gérée par Bardella qui en prend toute la lumière à lui tout seul.

Dans un livre récemment paru sous le titre Le grand remplaçant, la face cachée de Jordan Bardella, du journaliste Pierre-Stéphane Fort, celui-ci revient sur cet incident qui a défrayé la chronique en son époque. Il contacta Buttey qui lui confirma la responsabilité de Bardella dans son exclusion du parti. "Il m’a demandé de révéler ma conversion, et m’a dit c’est mieux que tu dises tout. Mon exclusion lui a permis de se mettre en lumière et de faire parler de lui parce qu’il était en ce moment inconnu. Il avait compris l’avantage qu’il pouvait tirer de la situation, et il a saisi l’opportunité pour briller. Il a toujours été stratège et parfois manipulateur".

Pour mieux cerner la vraie personnalité de Bardella, le journaliste P. S. Fort n’hésita pas à contacter l’ancien numéro deux du RN Florian Philippot. Ce dernier a intégré le Parti en 2011, avant que Marine Le Pen le nomme directeur stratégique de sa compagne présidentielle de 2012. Fils d’enseignants il a poursuivi des études solides à l’HEC et l’ENA, tout l’opposé de Bardella. Comme lui, il est devenu le bras droit de la dame de fer du parti, Marine. Trop idéologue pour un parti populiste et familial, Philippot quitta le RN pour fonder son propre parti les Patriotes.

C’est Philippot, devenu vice-président du parti qui repéra le premier le jeune Bardella. Il a vu en lui un potentiel que le parti pouvait exploiter pour faire connaitre cette banlieue devenue la hantise de l’extrême-droite. Bardella incarnait pour lui la figure qui pourrait jouer un rôle dans la dédiabolisation du RN auprès des jeunes. Philippot se rappelle toujours d’une scène entre eux. Après un meeting, Bardella l’interpelle pour critiquer ces réunions où on ne traite que les questions d’intégration. Il faut, lui dit-il, offrir aux gens d’autres rêves et parler de leurs problèmes au quotidien comme le transport ou le logement.

La remarque était judicieuse de la part de l’homme de terrain qui est Bardella à l’intellectuel qu’est Philippot. Ce dernier versait généralement dans des diatribes contre l’Islam et la lutte contre la mondialisation sauvage, thèmes très loin des préoccupations des citoyens. Bardella, lui, parlait de leur quotidien dans un langage simple, tout en apprenant de Philippot ses démarches intellectuelle et organisationnelle de la vie politique. Pour beaucoup de militants, Bardella est devenu un bébé Philippot, qui mime les gestes de son aîné, et répète à satiété ses éléments de langage appris par cœur. Pour Bardella, maintenant qu’il a acquis l’essentiel, il est temps de s’approcher davantage de Marine Le Pen.

Philippot s’apercevra un peu tard que Bardella a bien joué son rôle pour apprendre le métier et, indirectement, aider à l’évincer de son poste de vice-président pour s’approcher davantage de Marine. Il dira ultérieurement de lui que Bardella a du flair de détecter le sens du vent au bon moment, qu’il cherche à être bien avec tout le monde pour maximiser sa propre carrière. Mais, ajoute-t-il, la France n’a pas besoin de ce genre de politicien, elle a besoin plutôt de rocs et d’hommes politiques solides.

Lui est un politicien, même un bon politicien, renchérit Philippot quand il évoque Bardella. Certes il n’a pas encore défini un cap cohérent qui embrasse un projet politique pour la France. Demain, quand il sera en responsabilité à la tête du pays, on est parti pour naviguer au fil de l’eau, commente-t-il, ajoutant que Bardella a une manière de faire la politique qui ne me convient pas, qui consiste à s’adapter à l’état de l’opinion et aux forces dominantes du moment. Il a une vision trop électoraliste et opportuniste, mais pas de vision de conviction pour la France.

On sent qu’il y a toujours de la rancune entre ces deux responsables de l’extrême-droite française, surtout quand on a été évincé par celui qu’on a aidé et promu, et en qui on voyait le dauphin et le fidèle adjoint. Philippot l’a appris à ses dépens. Il ne devait pas ignorer qu’il arrive que l’élève dépasse le maître et qu’il est légitime de s’approcher du centre du pouvoir. C’est valable en France comme partout ailleurs. Rien ne peut garantir que demain, en tenant les rênes du pouvoir, Bardella ne se débarrassera pas lui aussi de Marine Le Pen, si elle lui fait trop d'ombre.

Il faut reconnaitre à Bardella une qualité qui se résume dans son habilité animalière à faire face à tous les obstacles politiques et aux autres pesanteurs sociales qui s’érigent devant lui. Il a rempli toutes les cases sans trop de casse pour se frayer un chemin politique qui lui est propre. Qu’en sera-t-il demain quand il aura une majorité à l’Assemblée et sera le Premier-ministre de la France ? Celui qui est venu d’un quartier populaire, sans bagage universitaire conséquent, a su s’adapter à la dynastie Le Pen, en se mettant même en couple avec la nièce de Marine, et en adoptant leurs codes et leur style pour se frayer un chemin au sein de cette famille fermée. Tous ces efforts lui ont permis de décrocher le titre du président du parti qui va lui permettre demain d’être le chef du gouvernement français.

Marine pour sa part ne cache pas son admiration pour ce jeune prodige qu’est Bardella. Elle a participé à son encadrement et sa formation, en mettant à sa disposition des communicants de qualité pour le former alors qu’il n’avait que vingt-deux ans. L’un d’eux dira au journaliste P.S. Fort qui enquêtait sur Bardella, qu’au début je n’aimais pas ce qu’il dégageait, je n’aimais pas son allure verticale. Il était une coquille vide, ne lit ni livre ni presse et ne s’informe pas. Il débitait bêtement les éléments de langage de Marine. Les communicants l’ont pris en main, pour lui apprendre la formulation et l’art de la répartie, ainsi que la tenue corporelle pour dominer son audience.

Marine Le Pen lui voue toujours une grande admiration pour tous ces efforts, et Bardella, pour sa part, le lui rend bien, pour le moment. Elle affirma une fois que sur son téléphone, elle avait mis sur la photo du profil de Bardella, l’image d’un lionceau pour symboliser ce proche collaborateur qui est devenu presque de la famille. Maintenant qu’il est devenu président du parti, j’ai collé l’image d’un lion, je pense qu’il est devenu un animal politique, dit-elle non sans fierté.

Pour elle, désormais l’un des rôles du RN c’est de faire émerger une élite populaire de jeunes qui n’ont pas fait Sciences Po ou l’ENA. Philippot, son ancien adjoint, devrait apprécier cette saillie. Il est vrai qu’avec Bardella à sa tête, le parti ratisse maintenant large. Méfiante, Marine a d’ores et déjà officialisé le ticket pour les élections présidentielles de 2027, elle à l’Élysée et Bardella à Matignon. Mais au sein de ce parti d’extrême-droite la compétition entre ces deux ambitions dévorantes est aussi extrême. Bardella finira un jour par se dire que c’est lui qui apporte les voix et qui mobilise le plus, pourquoi donc ne pas prendre lui-même les rênes du parti et mettre Marine au placard ?

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