Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Haut Karabakh, l’autre déboire de Macron

Le 11 octobre 2023 à 13h25

Modifié 11 octobre 2023 à 13h25

Il n’y a pas qu’au Maghreb et au Sahel que la France perd pied. Lors du récent sommet de la Communauté politique européenne (CPE), tenu à Grenade, en Espagne, le 6 octobre 2023, le président français Emmanuel Macron a souligné devant ses pairs européens l’absence du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. Il a mis face à eux le conflit du Haut Karabakh, leur demandant d’être unis sur cette question, ce qui est loin d’être acquis.

Quelques jours auparavant, le 2 octobre, sa ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, qui se trouvait en Ukraine avec ses homologues de l’Union européenne, se rendait seule en Arménie pour témoigner la solidarité de Paris avec ce pays. Ses autres collègues semblaient moins enthousiasmés à lui emboîter le pas. A leurs yeux, le Haut Karabakh n’est pas si stratégique que ce qu’il est pour Paris. Leur priorité reste pour le moment la guerre en cours entre la Russie et l’Ukraine et à laquelle il faut faire face.

Pour comprendre le conflit du Haut Karabakh, il faut revenir à l’époque soviétique lorsqu’en 1921 fut créée la république socialiste d’Azerbaïdjan en tant qu’entité autonome au sein de l’URSS. En 1923, Moscou transfère le Haut Karabakh à l’Arménie. Avec la dislocation de l’Union soviétique et du bloc de l’Est en 1991, et les indépendances de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, ce territoire devient alors un sujet de discorde entre ces deux nations.

Dès les indépendances de ces deux pays, le conflit éclate entre eux en 1994 et un cessez-le-feu est rapidement conclu. En 2020 le conflit reprend, suivi d’un nouvel armistice. Malgré cette trêve, l’Azerbaïdjan continue de revendiquer le territoire comme sien, aidé en cela par des pays comme la Turquie et l’Iran. D’autres marquent leur neutralité, comme la Russie ou les Etats-Unis, en attentant de voir l’évolution des forces sur le terrain.

Historiquement, la France se méfie du déploiement des Turcs dans cette région. Elle s’est fait inviter en 1992 comme partie prenante du Groupe de Minsk, issu de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) afin de trouver une solution pacifique au conflit. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, Paris s’est également invité, aux côtés de Washington et de Moscou, dans la recherche d’une solution négociée basée sur le dialogue entre les deux belligérants.

La mésentente entre la Turquie et la France ne se limite pas au Haut Karabakh

Depuis le début de ce conflit, l’ONU est saisie de cette crise dans la perspective de lui trouver une sortie honorable. Outre les trois permanents, France, Etats-Unis et Russie, qui sont directement impliqués, d’autres partenaires comme la Turquie, l’Iran ou Israël suivent de près son évolution ; chacun d’entre eux cherchant à défendre ses propres intérêts dans la région. Comme à l’accoutumée, les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité appellent les parties à la cessation des hostilités et à la désescalade, sans pouvoir imposer une solution définitive.

Si le conflit n’a jamais pu être résolu, c’est parce que l’Arménie a toujours été encouragée par les pays européens, notamment la France, à ne rien céder à l’Azerbaïdjan, allié objectif de la Turquie. Paris, pour sa part, accuse Ankara de fournir à Bakou le soutien militaire qui lui a permis sa récente victoire et la reprise du Haut Karabakh par les forces armées azerbaïdjanaises. Pourtant, la Turquie a toujours appelé à un règlement pacifique, en y ajoutant le respect de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan.

La mésentente entre la Turquie et la France ne s’arrête pas au Haut Karabakh. Certes, cette question a aggravé les tensions entre les deux pays, qui s’opposent sur bien d’autres dossiers, comme en Méditerranée orientale, en Syrie et sur la question kurde, pour ne citer que ceux-là. Le refus de Paris de voir la Turquie intégrer l’Union européenne, puis sa reconnaissance officielle en 2001 du génocide arménien que la France attribue à l’empire ottoman, ont fini par envenimer leurs relations bilatérales.

Lors des escalades de 2020 au Haut Karabakh, Ankara avait ouvertement critiqué la position française, perçue comme favorable à l’Arménie et accusant Paris de partialité. Ce mécontentement turc a également impacté les relations entre la Turquie et la France au sein de l’OTAN dont les deux pays sont membres. Leurs différences d’approches sur les questions régionales et stratégiques ont souvent été mises en évidence au sein de l’organisation atlantique.

La Russie, qui est la plus proche du conflit, a su de son côté maintenir de bonnes relations aussi bien avec l’Arménie qu’avec l’Azerbaïdjan, tout en acceptant que la France joue sa propre partition dans la région. Moscou s’est constitué comme un médiateur pour rapprocher les points de vue à titre bilatéral, n’hésitant pas à collaborer avec les autres partenaires, comme les Américains et les Français, au niveau multilatéral. En procédant de la sorte, Moscou protège ses intérêts stratégiques dans la région et garantit la neutralité de ces pays dans la guerre qu’elle mène en Ukraine.

Le conflit du Haut Karabakh dure maintenant depuis plus de trois décennies. La communauté internationale reconnaît cette région comme partie intégrante de l’Azerbaïdjan en dépit du fait qu’il soit autonome et que des populations arméniennes y vivent. La France voulait que ce différend perdure, prétextant le droit international et prônant des négociations politiques interminables. Cette approche rappelle le même comportement au Maghreb concernant l’affaire du Sahara entre le Maroc et l’Algérie : maintenir à feu doux les antagonismes pour sauvegarder ses intérêts le plus longtemps possible.

La France et l’Europe passives, selon la presse française

Paris trouve parmi ses élites d’intellectuels et de journalistes ceux qui soutiennent cette démarche et regrettent le comportement des Américains qui, à leurs yeux, sont focalisés sur l’Ukraine au détriment du Haut Karabakh. La presse française dans son ensemble déplore cette attitude passive de la France et de l’Europe. Ainsi pouvait-on lire cette semaine sous la plume de Natacha Polony dans le magazine Marianne que "l’on se réveille tard et que le monde nous a habitués à ce qu’advienne pire que le pire".

Devant ce cuisant échec au Haut Karabakh, la diplomatie française n’a trouvé rien de mieux que d’évoquer les risques de génocide contre les populations arméniennes en rappelant les douloureux événements passés. La réunion du Conseil de sécurité, convoqué par la France le 21 septembre dernier, s’est tenue juste après la déclaration de l’Azerbaïdjan de sa victoire totale et de la récupération de son territoire national.

Le ministre arménien des Affaires étrangères a tenté vainement, avec l’appui d’une France désabusée, de jouer les prolongations en demandant l’envoi des forces de maintien de la paix pour assurer le cessez-le-feu. Son homologue azerbaïdjanais affirmait pour sa part que son pays avait atteint tous ses objectifs et qu’il était désormais prêt à un dialogue serein avec l’Arménie. Une page douloureuse de cette région semble définitivement tournée.

Cet échec français au Haut Karabakh s’ajoute à l’effritement d’influence au Sahel et au Maghreb, comme en Indopacifique. Il est le reflet de ce déclassement français qui a commencé après Jacques Chirac et s’est gravement accentué sous Emmanuel Macron. Ce dernier s’est fortement impliqué en multipliant aussi bien les voyages que les impairs. On pensait que son volontarisme allait augurer des lendemains qui chantent. C’est tout l’opposé que l’on constate.

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