Samir Bennis

Conseiller politique à Washington D.C., rédacteur en chef de Morocco World News.

Crimes de guerre à Gaza : réflexions sur la complicité, le brutalisme et la décadence morale de l’Occident

Le 22 novembre 2023 à 10h09

Modifié 22 novembre 2023 à 18h33

Dans cette tribune, Samir Bennis dénonce l’indifférence, qu’il juge complice, de l’Occident à l’égard des attaques perpétrées par Israël contre les Palestiniens. Il remonte également l’historique de l’Occident pour en surligner l’hypocrisie et "le mythe de la supériorité morale".

L’histoire se répète et l’Europe se retrouve une fois de plus sur le devant de la scène mondiale pour ses atrocités et ses crimes contre l’humanité. Les mêmes pays qui ont jadis lâchement aidé et encouragé les Nazis dans leur plan d’extermination des juifs d’Europe aident aujourd’hui les descendants des victimes et survivants de l’Holocauste à exterminer le peuple palestinien. Ce faisant, ils semblent vouloir réparer leur complicité historique dans un crime contre l’humanité en soutenant un autre crime contre l’humanité. Dans les deux cas, l’Occident, le soi-disant arbitre des valeurs universelles tel que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a du sang sur les mains.

Malheureusement pour l’Occident, il y a une grande différence entre les années 1939-45 et l’époque contemporaine : pendant la Seconde Guerre mondiale, qui n’était en fait pas une guerre mondiale mais une guerre européenne, l’écrasante majorité de la population mondiale ignorait les atrocités qui s’abattaient sur les Juifs. Aujourd’hui, en revanche, le monde entier assiste en direct à la télévision et sur les réseaux sociaux aux atrocités et aux crimes contre l’humanité qu’Israël, avec la bénédiction et le soutien des États-Unis et de l’Europe, commet à l’encontre du peuple palestinien.

Une indifférence complice

Parce que l’Occident s’est longtemps présenté comme l’arbitre du droit international et le gardien des "valeurs universelles", des millions de personnes à travers le monde, dont un grand nombre dans les pays occidentaux, expriment aujourd’hui leur indignation face à la politique de deux poids deux mesures de l’Occident, à son silence complice face aux massives atrocités commises contre des Palestiniens sans défense et à son rejet de tous les appels en faveur d’un cessez-le-feu immédiat à Gaza.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’opinion publique mondiale a été inondée de déclarations de dirigeants occidentaux exprimant − à juste titre − leur sympathie pour le peuple ukrainien, allant parfois jusqu’à verser des larmes devant les caméras. Mais ces mêmes dirigeants ont soudainement été vidés de toute leur sensibilité humaine, ainsi que leurs cœurs et âmes, lorsqu’il a été question de faire preuve de sympathie pour les Palestiniens assiégés par l’armée israélienne, qui depuis plus d’un mois se livre à un nettoyage ethnique en vue de se venger de l’attaque surprise du Hamas du 7 octobre dernier.

Les uns après les autres, les dirigeants occidentaux se sont rués sur Israël et ont parlé à l’unisson de son droit à se défendre "contre les attaques terroristes du Hamas", donnant ainsi aux dirigeants de l’État juif une sorte de feu vert pour massacrer, annihiler le peuple palestinien. Ce faisant, ils n’ont pas hésité à établir une équivalence entre colonisateurs et colonisés, entre puissance occupante et populations occupées. En effet, ils ne semblent même pas voir de différence entre une armée dotée des armes les plus sophistiquées et les plus meurtrières et un peuple occupé qui se bat depuis 75 ans pour défendre son droit inaliénable à établir un État indépendant et à vivre dans la dignité.

Plus de sept semaines se sont écoulées depuis qu’Israël a lancé sa campagne génocidaire contre les Palestiniens, les bombardant sans cesse tout en les privant d’eau, de nourriture, d’électricité et d’Internet, sans qu’aucun dirigeant occidental n’ait le courage moral de condamner les crimes de guerre de l’armée israélienne et d’appeler à un cessez-le-feu. En fait, non seulement l’Occident n’a pas appelé à la cessation de la campagne génocidaire à Gaza, mais il a torpillé plusieurs projets de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies visant à appeler à une trêve humanitaire prolongée. Et même si le conseil onusien a finalement voté une telle résolution mercredi dernier, il faut s’attendre à ce que l’État hébreux viole les termes de ladite résolution sans que les puissances occidentales n’osent lever le petit doigt pour condamner l’attitude irrévérencieuse, outrancière et surtout criminelle d’Israël.

Ayant subtilement bénéficié d’un feu vert de l’Occident pour massacrer les Palestiniens, la puissance occupante israélienne n’a eu aucun scrupule à tuer et mutiler des enfants, à attaquer des écoles ou des hôpitaux, et à refuser aux enfants palestiniens l’accès aux soins primaires et à aux aides humanitaires. Ces crimes font partie des six graves violations des droits de l’homme identifiées et condamnées par la Résolution 1261, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies en 1999.

Israël a en effet violé toutes les dispositions du droit international relatives aux conflits armés, y compris le premier article de la Convention de Genève de 1864, la Convention de La Haye de 1907, la Convention de Genève de 1949, ainsi que la Résolution 2675 (1970) de l’Assemblée générale des Nations unies. Cette dernière stipule clairement que "les lieux ou région désignés pour la seule protection des populations civiles, tels que zones sanitaires ou refuges similaires, ne seront pas l'objet d'opérations militaires". Autrement dit, cette résolution indique sans ambages que les attaques aveugles ou ciblées contre les hôpitaux, les unités médicales et le personnel médical fonctionnant à titre humanitaire sont inadmissibles et injustifiables.

Le mythe de la supériorité morale de l’Occident

À la lumière de la complicité de l’Occident dans les atrocités de masse infligées au peuple palestinien, nombreux sont ceux qui soulignent sa décadence morale et sa perte de légitimité à désormais se présenter comme le rempart de valeurs universelles telles que la démocratie, les droits de l’homme, la liberté, l’égalité, la justice, etc.

Mais l’Occident a-t-il jamais eu une quelconque véritable prétention à la supériorité morale ? Son soutien aveugle à la guerre génocidaire d’Israël contre les Palestiniens est-il choquant, surprenant à ce point ? La triste vérité, comme devrait le savoir quiconque a quelque peu suivi le discours occidental sur Israël au cours des sept dernières décennies, est que le silence complice des puissances occidentales sur les crimes de guerre en cours à Gaza ne devrait pas nous choquer ou nous surprendre.

En fait, la violence, le relativisme moral et l’indifférence à l’égard de la souffrance et de l’exploitation ou de l’oppression de ceux qui sont considérés comme inférieurs ou pas assez humains, ont historiquement été les piliers de la civilisation occidentale. En d’autres termes, le véritable visage de l’Occident, ou la force motrice de son triomphe sur le reste du monde, est une combinaison de barbarie et de sauvagerie.

Pour se convaincre de l’inhérence de la brutalité et de la sauvagerie à la civilisation occidentale, il suffit de revenir − ne serait-ce que très furtivement − sur des épisodes historiques tels que les croisades, l’esclavage transatlantique et l’asservissement colonial de l’Afrique dans le sillage de la conférence de Berlin de 1884-85.

Les crimes de guerre qui se déroulent sous nos yeux à Gaza devrait ainsi servir d’avertissement à toutes les nations dont les peuples espèrent, depuis plus d’un siècle, se libérer de l’emprise de l’Occident sur leur destin. Plus précisément, le problème auquel les pays arabes et musulmans ont été confrontés au cours des soixante-dix dernières années, est que les élites dirigeantes et pensantes de ces pays ont trop longtemps été enclines à prendre pour paroles sacrées le récit d’autocongratulation que tient l’Occident sur sa supposée supériorité morale et culturelle. Ainsi, au lieu de juger l’Occident sur la base de ses actions, de ses politiques et de son sombre bilan dans le reste du monde, nous avons longtemps consenti à le juger sur la base de l’image de presque-infaillibilité morale et de supériorité humaine qu’il donne de lui-même depuis la fin du XVIIIe siècle.

Parce que la plupart des ouvrages utilisés dans notre système scolaire sont saturés de l’apologie de l’impeccabilité de la puissance et de la supériorité occidentales, nous avons été éduqués à croire que l’Occident est effectivement le berceau de la civilisation, l’ultime défenseur des droits de l’homme et le garant d’un ordre mondial fondé sur les valeurs d’égalité, de tolérance, de coexistence et de relations pacifiques entre les nations. En d’autres termes, le complexe d’infériorité que la colonisation et des décennies d’aliénation culturelle ont instillé dans nos esprits a conduit beaucoup d’entre nous à continuer à croire naïvement que les médias occidentaux sont l’incarnation par excellence de l’objectivité ; que les journalistes et intellectuels occidentaux sont irréprochablement impartiaux et professionnels dans leur couverture de l’actualité mondiale.

Ainsi, alors même que l’on assiste à des crimes de guerre en cours à Gaza, la couverture honteuse et scandaleuse par les médias dominants de ce qu’ils appellent avec euphémisme et de manière mortifiante la "guerre entre Israël et le Hamas" devrait servir de leçon pour ceux d’entre nous qui ont longtemps été fascinés par les soi-disant idéaux de l’Occident. Autrement dit, le parti pris éhonté et ignoble des médias occidentaux contre le peuple palestinien et leur soutien aveugle à Israël devraient nous rappeler brutalement à l’ordre, notamment à la glaciale réalité de la brutalité et de la violence comme valeurs motrices d’un Occident habitué à la domination et à l’assujettissement des peuples. Le fait est que ces médias mainstream ont toujours agi comme des porte-étendards de leurs gouvernements respectifs, cherchant à contribuer à la réalisation des visions de leurs classes dirigeantes.

Bien entendu, les crime de guerre en cours à Gaza ne sont pas la première fois − et ce ne sera certainement pas la dernière − que les médias occidentaux font le sale boulot de manipuler les faits pour servir l’agenda de leurs maîtres. Avant la première guerre du Golfe en 1991, les médias occidentaux ont joué un rôle central dans la fabrication et la propagation de la fausse information selon laquelle les soldats irakiens auraient enlevé plus de 300 bébés de leurs couveuses et les auraient tués lors de l’invasion du Koweït le 2 août 1990. Pour donner un air de vérité à cette histoire de bébés enlevés et tués, les reportages des médias grand public vont s’appuyer sur le témoignage d’une jeune Koweïtienne de 15 ans, Nayirah, qui avait déclaré avoir vu des soldats irakiens tuer ces bébés. Mais Nayirah n’était autre que la fille de l’ambassadeur du Koweït aux Nations unies de l’époque, et il s'est avéré par la suite que son témoignage était un mensonge monté de toutes pièces pour gagner la sympathie du grand public.

Les médias occidentaux ont joué le même rôle avant l’invasion de l’Irak par les États-Unis en mars 2003. Devenus les complices ou les porte-voix de l’administration américaine, les médias dominants du pays de l’oncle Sam se sont contentés de répéter les "scoops" qu’ils recevaient des fonctionnaires américains. Ils ont ainsi aidé l’administration Bush à convaincre l’opinion publique américaine que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive et représentait une menace existentielle pour la sécurité des États-Unis. Aujourd’hui encore, les médias mainstream américains se contentent de reprendre le point de vue de l’administration Biden sur le génocide à Gaza, n’accordant pas la moindre importance aux voix dissidentes ou pro-palestiniennes.

Pour ma part, au cours de mes deux décennies de travail dans le milieu universitaire et celui de la diplomatie internationale, j’ai toujours veillé à souligner dans mes écrits que les médias occidentaux ne sont pas aussi libres ou objectifs qu’ils le prétendent. Ils ne sont donc, pour tout dire, que des outils entre les mains de riches occidentaux blancs qui les utilisent pour propager leurs valeurs occidentales en vue de pousser le monde entier à souscrire à leurs idéologies et à leur vision, dont l’objectif principal est la normalisation de la supériorité de l’homme blanc. Les médias occidentaux sont donc en grande partie des gardiens de l’idée de la suprématie blanche, ce qui les rend complices de l’oppression, de l’asservissement et de l’extermination des peuples non blancs et de leurs civilisations et cultures séculaires.

La catastrophe humanitaire sans précédent qui est en train de s’abattre sur le peuple palestinien a ainsi exposé à la face du monde le double langage effronté et éhonté des médias occidentaux. En supprimant les opinions divergentes qui offrent une perspective différente de leur couverture biaisée de l’offensive génocidaire de l’armée israélienne en territoire palestinien, ils ont montré où ils se situent réellement sur l’échelle de la liberté d’expression.

Des familles entières ont complètement disparu de l’état civil palestinien et plus de 5.000 enfants ont été massacrés par Israël depuis le 7 octobre. Mais cela n’a aucunement empêché les médias occidentaux de continuer à établir une équivalence entre oppresseurs et opprimés, entre bourreaux et victimes.

Le journaliste britannique Piers Morgan est un exemple frappant de la cruelle et scandaleuse ambivalence dont font montre les grands médias occidentaux dans leur couverture des crimes de guerre de Gaza. Morgan, en effet, commence toujours sans vergogne son émission en posant la même question à tous ses invités qui n’adhèrent pas au discours dominant, pro-Israélien sur la situation prévalant à Gaza : "Condamnez-vous le Hamas ?".

Faut-il vraiment s’indigner ou se plaindre du fait que ni le massacre systématique des civils palestiniens au cours des 75 dernières années, ni le ciblage des enfants, des femmes et des personnes âgées lors des agressions israéliennes actuelles et passées, n’ont jusqu’ici pas suscité d’appels à la condamnation de la part de Morgan et de ses acolytes ? Morgan incarne ainsi la faillite des médias occidentaux et expose leur véritable agenda suprémaciste blanc.

Complaisance des élites locales

Un autre problème majeur auquel les pays du Moyen-Orient et d’Afrique ont été confrontés au cours de ce dernier siècle est la tendance de leurs élites à s’émerveiller devant les prouesses de l’Occident ou à prendre pour argent comptant les slogans creux de l’Occident sur la justice universelle, le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la nécessité de la coexistence pacifique, la tolérance religieuse et l’égalité entre tous les individus.

Nous avons été tellement oublieux de l’histoire, et tellement imprégnés par la vaste et multiforme machine de propagande de l’Occident, que nous avons tout simplement oublié d’examiner en profondeur son passé sombre et sanglant. Même ceux d’entre nous (intellectuels postcoloniaux) qui s’y intéressent ou écrivent à ce sujet ont souvent du mal à remettre en question la façon dont l’Occident s’est dépeint par rapport aux autres civilisations. C’est donc dire que le complexe du colonisé nous a enlisés, nous rendant incapables de nous extirper de la tutelle ou du regard condescendant de l’Occident.

En ce sens, quiconque entame un processus de véritable décolonisation de son esprit, qui commence à considérer les Occidentaux comme ses égaux, en examinant chaque aspect de leur passé et de leur présent, arrivera à la conclusion évidente que l’Occident n’a jamais été le berceau de la justice, de l’égalité sociale, de la démocratie ou des libertés individuelles.

Que découvre-t-on, par exemple, lorsque l’on creuse un peu plus la propagande dont l’Occident nous a abreuvés au cours des deux derniers siècles ? On se rend vite compte que la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789, considérée par beaucoup comme le fondement de la littérature moderne sur les droits de l’homme et qui a inspiré la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, n’était en fait pas destinée à traiter tous les êtres humains sur un pied d'égalité.

Ces droits ne furent accordés qu’aux citoyens français de sexe masculin âgés de plus de 25 ans. Les femmes, les domestiques et les étrangers ne pouvaient donc pas bénéficier de l’égalité des droits prônée par la Déclaration. Celle-ci ne visait pas non plus à abolir l’esclavage.

Au cours des 250 dernières années, l’attitude des nations européennes à l’égard du reste du monde − en particulier des Africains, des Asiatiques et des musulmans − a été façonnée par les lacunes fondamentales de la Déclaration des droits de l’homme, bien que la France et d’autres nations occidentales qui ont adopté ces principes ont depuis promis de défendre l’égalité des êtres humains.

La face cachée des Lumières européennes

D’éminents penseurs largement considérés comme les pères fondateurs des Lumières européennes étaient en fait les auteurs de textes remplis de racisme, de xénophobie, d’islamophobie, d’antisémitisme, de misogynie et d’homophobie. Prenons, par exemple, le cas de Voltaire, le philosophe français vénéré par de nombreuses personnes dans le monde, en particulier dans les nations musulmanes et arabes, comme l’incarnation par excellence de l’intellectuel dévoué à la défense aux admirables principes d’égalité, de justice, de tolérance, de liberté et d’humanisme. Voltaire est ainsi considéré comme le défenseur suprême des principes universels qui ont contribué à l’avènement de la Révolution française.

Or, derrière cette image idéalisée de Voltaire se cache une facette plus sombre du pionnier des Lumières. En réalité, il fut l’un des principaux artisans de l’idéologie de suprématie blanche, qui reposait sur la déshumanisation des non-Européens et la justification de la diabolisation ou de l’asservissement des autres cultures et civilisations.

Par exemple, dans sa pièce intitulée Le fanatisme de Mahomet, publiée en 1743, Voltaire décrit le prophète Muhammad comme un monstre, imposteur, barbare, arabe insolent, brigand, traître, fourbe, cruel, et le "plus criminel de tous les tyrans". Dans son livre Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, paru en 1756, Voltaire, qui était aussi un antisémite incorrigible, a qualifié les Juifs de "stupides, barbares, cupides, superstitieux et rancuniers". Il a ainsi créé, dans ses écrits, une hiérarchie entre les races, avec l’homme blanc européen au sommet de la pyramide.

Plus loin, le philosophe des Lumières écrit dans son essai de 1756 : "Il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les Blancs, les Nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains, soient des races entièrement différentes."

Montesquieu, un autre philosophe français de premier plan pendant le siècle dit des Lumières, faisait l’apologie de l’esclavage et considérait les Africains noirs comme moins humains que les Européens. Dans son livre De l’Esprit des lois, publié en 1748, Montesquieu déclare : "Nous ne pouvons imaginer que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, et surtout une bonne âme, dans un corps entièrement noir."

Montesquieu pensait aussi que l’islam était un ennemi existentiel de l’Europe et l’ennemi juré du christianisme, ce qui, à l’époque, correspondait à l’opinion et à l’attitude européennes dominantes à l’égard de l’islam. Dans ses écrits sur la prétendue cruauté de l’islam, il a notamment décrit le prophète Mahomet comme "un chef de guerre et un imposteur". Pour illustrer sa vision de l’islam comme religion belliqueuse et sanguinaire, Montesquieu va se lancer dans une démonstration visant à prouver que la religion musulmane s’étant répandue dans le monde entier par l’épée et le sang, la tyrannie et l’injustice seraient inhérentes à l'islam. Il affirme ainsi que la justice serait une notion étrangère aux pays musulmans, où les gens vivraient au gré et à la merci de dirigeants autocrates et de sociétés liberticides où règnerait une stricte interprétation du Coran.

Montesquieu a ainsi créé le cadre philosophique qui va permettre aux voyageurs français et européens se rendant dans des pays musulmans comme le Maroc de remettre en question la légitimité de leurs dirigeants. Par exemple, la production prolifique de livres dans lesquels les écrivains français vilipendaient les dirigeants marocains, a fourni le prétexte sous lequel la France s’est empressée d’occuper et d’assujettir le Maroc tout en prétendant que le but de cette occupation était non seulement de sortir le royaume nord-africain de son retard, mais aussi de sauver ses populations de la tyrannie supposée de leurs sultans.

Le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme ont prospéré en Europe depuis le cadre théorique défini par Montesquieu et Voltaire dans leurs ouvrages sur les non-Européens, en particulier les musulmans et les Africains, mais aussi les juifs. Au cœur de cette philosophie, développée par Voltaire et d’autres figures éminentes du siècle des Lumières, se trouve la croyance, qui prévaut encore aujourd’hui dans certains cercles occidentaux, que les Européens blancs sont la race élue dont les valeurs doivent régir le monde.

Il n’est donc pas étonnant que les nations occidentales, celles-là mêmes qui prétendent être guidées par les idéaux des Lumières, aient apporté un soutien sans faille à Israël, un pays qui a l’habitude de violer le droit international et humanitaire. Leur prétendu engagement en faveur de la paix, de la stabilité et de la cohabitation internationales repose donc sur la conviction que l’instauration de la paix mondiale ne peut et ne doit pas se faire au détriment de la préservation de l’ordre mondial eurocentrique, établi il y a plus d’un siècle. Ainsi, quiconque remet en cause cet ordre mondial s’expose à la colère et la brutalité de l’Occident.

La domination de l’autre est le fondement de la civilisation occidentale

Le prolongement logique de cette croyance raciste et eurocentrique est que les Lumières ont conféré à l’Occident le droit exclusif de violer le droit international et de commettre des crimes contre l’humanité. Ironiquement, nous sommes censés croire que lorsque l’Occident, supposé avoir des principes et être supérieur au reste du monde sur le plan moral et culturel, commet des crimes atroces, il le fait au nom de la "sécurité mondiale" et dans le but de servir l’humanité dans son ensemble.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu n’a-t-il pas déclaré que son pays était du côté de la civilisation et de la démocratie alors même qu’il se livre à un génocide dans la bande de Gaza ? Il faut comprendre que pour Netanyahu, la campagne génocidaire de son armée à Gaza est une guerre indispensable contre "l’axe du mal". Ce raisonnement fait écho à la rhétorique du président américain George W. Bush après les attaques terroristes du 11 septembre 2001. En présentant le Hamas, et plus largement le peuple palestinien, comme l’incarnation du mal et une menace pour l’avant-poste du monde "civilisé" au Moyen-Orient, Netanyahu cherche à faire renaître dans l’esprit des Occidentaux toutes les craintes et les appréhensions que l’Occident a longtemps nourries à l’égard de l’islam.

En tant qu’avant-poste de la barbarie et de l’arrogance culturelle occidentale au Moyen-Orient, Israël continuera de mettre en œuvre son agenda déstabilisateur et subversif dans la région. Longtemps, l’Occident s’est habitué à contrôler le destin des autres peuples et à leur dicter leur vision du monde. Il ne peut donc pas se permettre un scénario dans lequel d’autres empiéteraient sur son droit exclusif à façonner le système mondial selon ses caprices et ses intérêts stratégiques.

Les Occidentaux, pour le dire autrement, ne peuvent supporter de ne pas être les maîtres du monde. L’Occident ne peut donc pas concevoir un monde où tous les humains sont égaux et ont le droit de vivre dans la paix, la prospérité et la stabilité. En ce sens, les "valeurs universelles" dont les intellectuels occidentaux se vantent depuis deux siècles ne sont qu’un outil destiné à permettre à l’Occident de perpétuer sa domination mondiale.

Chaque fois que ces valeurs ou règles qui régissent le monde ne s’alignent pas sur les objectifs stratégiques de l’Occident, les dirigeants occidentaux n’hésitent pas à violer ces mêmes règles et valeurs qu’ils prétendent défendre. La philosophie de l’Occident est ancrée dans un jeu à somme nulle où l’homme blanc européen, qui devrait dominer le monde, se doit d’asseoir sa prospérité et son hégémonie sur la souffrance et l’exploitation des autres peuples.

Regardons donc les choses en face et disons-le haut et fort : tout au long de l’histoire, l’Occident a été − et est toujours − la source et l’instigateur du racisme, du sectarisme, de l’intolérance religieuse, de la brutalité, de la destruction, des cruautés les plus abjectes, des guerres les plus meurtrières et des génocides et exterminations les plus odieux que le monde ait connus. L’Occident n’a jamais été la "terre de la liberté" ou un "monde civilisé", mais une terre peuplée par une classe dirigeante sadique, sauvage et sans cœur, déterminée à soumettre d’autres peuples, à piller leurs richesses et à les maintenir dans esclavage.

Jamais dans l’histoire, il n’y a eu de classe dirigeante plus vicieuse, plus despotique, plus violente et plus hostile aux peuples du reste du monde que la classe dirigeante occidentale. L’histoire regorge d’exemples de la cruauté et de la sauvagerie que les Européens ont infligées à d’autres peuples, malgré les efforts des médias et de l’élite occidentaux pour cacher à la face du monde le sombre et horrible bilan historique de l’Occident.

Mais, impitoyables, les classes dirigeantes occidentales n’ont pas seulement fait des ravages dans les pays étrangers. Les politiques vicieuses sans scrupule des oligarchies dirigeantes occidentales ont également affecté et continuent d’affecter les citoyens ordinaires de l’Occident. La grande majorité des Occidentaux ont été manipulés, à maintes reprises, pour soutenir des politiques et des actions qui n’ont servi que les intérêts des riches.

L’ancien président français Nicolas Sarkozy a récemment confessé que la barbarie est consubstantielle à la civilisation ou à l’identité occidentale ou européenne. "Contrairement à tous les autres continents de la planète, l'Europe est le continent le plus brutal où se sont déroulées les guerres les plus sauvages. Ce n’est pas en Afrique, ce n’est pas en Asie, c’est en Europe", a déclaré Sarkozy dans un discours prononcé devant le Parlement européen en mars dernier. Et d’ajouter : "Je voudrais vous dire une chose : cela ne s’est pas passé au Moyen Âge, cela s’est passé au XXe siècle. L’extermination des Juifs s’est faite en Europe (...) Notre continent est brutal, sauvage et peut basculer dans la barbarie."

Au-delà de la tragédie des deux guerres mondiales, l’histoire de l’Europe en matière de conquête et d’assujettissement d’autres civilisations donne raison aux commentaires de Sarkozy. On peut, en guise d’exemples, citer la brutalité avec laquelle les Francs ont massacré les musulmans pendant l’occupation d’Al-Quds Al-Sharif (Jérusalem) en 1098 ; l’Inquisition espagnole dans la péninsule ibérique, et l’épuration ethnique qui s’en est suivi, puis la déportation du peuple juif et de plus de 700.000 musulmans du pays nouvellement conquis par l’Espagne ; l’extermination des peuples indigènes des Amériques et des peuples indigènes d’Australie ; les guerres menées par les pays occidentaux en Corée dans les années 1950, au Viêt Nam, en Irak, en Afghanistan, ainsi qu’en Bosnie-Herzégovine ; et le scandale d’Abou Ghraib en Irak.

En fin de compte, des croisades à la colonisation en passant par les tragédies des deux guerres mondiales, l’histoire dite globale est un vibrant témoignage de la cruauté innée de l’Occident, de sa soif de sang et de sa faillite morale. Il est donc temps de décoloniser nos esprits et d’appeler l’Occident par son vrai nom, dévoilant à la face du monde ce qu’est réellement l’Occident et ce qu’il a été tout au long de l’histoire. Par-dessus tout, il est temps de regarder l’Occident droit dans les yeux et de dire à ses politiciens et à ses empires médiatiques d’arrêter de donner des leçons au reste du monde sur la moralité, l’humanisme et les principes universels.

La situation à Gaza et d’autres cas similaires à travers le monde relèvent fondamentalement d’une guerre de narrations ou de récits antagonistes. Par conséquent, le grand défi pour les élites politiques et intellectuelles non occidentales est de confronter leurs homologues occidentaux et de leur dire en face la dure et essentielle vérité selon laquelle le seul domaine dans lequel l’Occident s’est réellement distingué ces quatre derniers siècles, est le pillage des richesses matérielles et culturelles d’autres civilisations.

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