Samir Bennis

Conseiller politique à Washington D.C., rédacteur en chef de Morocco World News.

Gaza : le soutien aveugle de Biden à Israël va accélérer le déclin des États-Unis

Le 18 décembre 2023 à 15h45

Modifié 18 décembre 2023 à 15h46

En soutenant aveuglément Israël, les États-Unis accélèrent leur défaite dans leur rivalité d'influence avec la Chine, dans le Sud global. Alors que de nombreux observateurs pensent que les États-Unis resteront la superpuissance mondiale durant au moins les deux prochaines décennies, la justification du génocide de Gaza par l'administration Biden pourrait considérablement accélérer l'érosion de l'image, du prestige et de la capacité des États-Unis à former des coalitions pour contrer ou contenir la Chine.

Une telle évaluation du déclin à venir de l'attractivité mondiale des États-Unis est particulièrement pertinente, car la construction de coalitions et l'obtention du soutien d'alliés et de partenaires ont été le pilier de la politique étrangère des États-Unis au cours des sept dernières décennies.

Plus dangereux que l'isolationnisme assumé de Trump

Pendant la présidence mouvementée de Donald Trump, la plupart des observateurs américains se sont alarmés de l'isolationnisme accru que ce dernier a adopté dans le cadre de sa politique du “America First”. Entre autres politiques dangereusement isolationnistes de l’administration Trump, l’establishment politique américain a été particulièrement alarmé ou préoccupé par le retrait de l’accord des USA du partenariat transpacifique, de l’accord de Paris sur le climat, de l’accord sur le nucléaire iranien, ainsi que par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël.  Pour nombre d’observateurs, ces politiques ont notamment contribué à aliéner les alliés et les partenaires de Washington à travers le monde, poussant certains pays à remettre en question la fiabilité de l’Amérique en tant qu’allié, notamment sa capacité à honorer ses engagements.

Ainsi, dès son accession à la présidence, Biden va s’engager à restaurer le prestige des États-Unis sur la scène internationale, à rétablir les liens avec les alliés et partenaires des États-Unis, frustrés, maltraités par Trump, et surtout à restaurer la confiance de la communauté internationale dans la capacité des États-Unis à continuer à jouer leur rôle de leader du “monde libre” – un rôle qui exige de garantir l’unité du club des démocraties occidentales dans sa quête d’imposer ses valeurs sur la scène mondiale, sous le couvert de relever les défis mondiaux les plus pressants de notre ère. Dans le sillage de l’insurrection du 6 janvier au Capitole, le siège du Congrès américain, des milliers de partisans de Trump ont exprimé leur rejet des élections présidentielles de novembre 2020.

En réponse, Biden a semblé prendre de la hauteur morale, se présentant comme la voix de la raison et de la sagesse, dont l’objectif majeur était de réparer les dégâts qu’a causés l’administration Trump à la réputation et au prestige de l’Amérique dans le monde. Il s’est notamment engagé à recentrer les efforts de Washington sur le rétablissement de la réputation de fiabilité des États-Unis, en rassurant les alliés et partenaires que “l’Amérique est de retour.” En effet, la rhétorique du président Biden et son long parcours de politicien orthodoxe ont amené nombre d’observateurs du monde entier à voir les États-Unis d’un œil favorable. Ce changement de perception positif était sous-tendu par la conviction que, compte tenu de la familiarité de Biden avec les complexités de la diplomatie et de son penchant pour la modération et la sobriété, sa politique étrangère se traduirait par une stabilité et une sécurité accrues dans le monde entier.

Par ailleurs, le deuxième pilier de la politique étrangère des États-Unis a longtemps été de jouer le rôle d’intermédiaire et de garant de la paix dans de nombreux conflits régionaux et mondiaux. Cette stratégie leur a notamment permis de presque toujours obtenir des résultats en faveur de leurs objectifs stratégiques à long terme. Que ce soit en Libye, en Azerbaïdjan, en Syrie, en Éthiopie ou au Yémen, les États-Unis ont toujours cherché à jouer un rôle de premier plan dans la conduite des négociations visant à mettre fin au cycle de violence qui a englouti ces pays. Il en allait de même pour le conflit israélo-palestinien, dans lequel les États-Unis ont jusque-là joué le rôle de principal courtier de la paix au cours des trente dernières années.

Mais la donne semble avoir considérablement changé au cours des derniers mois, les États-Unis apparaissant de plus en plus comme le protecteur d’Israël plutôt que comme le garant de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient. Fin 2020, par exemple, les États-Unis ont présenté les accords d’Abraham comme étant le fruit d’une remarquable réussite diplomatique qui ferait finalement entrer le Moyen-Orient dans une nouvelle ère de stabilité, de paix et de prospérité. Pourtant, loin de préserver une quelconque paix régionale, il semble de plus en plus que l’objectif à long terme de Washington était simplement de libérer Israël, premier État satellite et enfant gâté des États-Unis, de l’isolement diplomatique dont il souffre depuis sa création.

En outre, en prenant la décision d’approuver ou de justifier la guerre meurtrière que mène Israël à Gaza, l’establishment américain a démontré qu’il n’a aucun scrupule à violer ses propres engagements internationaux et ses propres garanties aux Palestiniens et à ses alliés arabes. S’étant effectivement désintéressé de tout son discours d’universalisme des droits humains, ainsi que de son engagement à faire respecter le droit naturel des Palestiniens à un Etat souverain, Washington ne peut plus prétendre être le garant d’un ordre mondial juste et équitable.

Mais peut-être faut-il bien comprendre que, du point de vue de Washington, un Moyen-Orient relativement instable ou fragile, mais dominé par une certaine peur régionale de la suprématie ou de la force de frappe de l’armée israélienne, est mieux qu’un Moyen-Orient entièrement stable, mais marqué par l’émergence d’autres acteurs. Autrement dit, Washington veut dans cette région une stabilité conditionnée par le leadership israélien en vue de pouvoir entièrement consacrer son temps, son énergie et ses ressources à contrer l’affirmation croissante de la Chine et de la Russie dans le Sud global.

L’Amérique a perdu le Sud global

Cela nous amène au troisième pilier de la politique étrangère américaine : l’urgence et la nécessité absolue de gagner les cœurs et les esprits dans le monde entier, surtout dans le Sud global. Les myriades d’initiatives locales et d’organisations à but non lucratif financées par Washington à travers le Sud global, sous le prétexte de promouvoir la démocratie et les “valeurs universelles” correspondantes, telles que l’État de droit et la liberté d'expression, jouent un rôle essentiel sur ce front de la diplomatie publique.

Les organisations financées par le gouvernement américain, telles que le Peace Corps, ou des institutions philanthropiques telles que la Fondation Bill et Melinda Gates, la Fondation Ford, la Fondation Rockefeller, l’Open Society, etc., ont joué un rôle déterminant dans l’établissement de partenariats durables entre les États-Unis et diverses nations au Moyen-Orient et dans le Sud global en général.

Sous prétexte de promouvoir les droits de l’homme, l’égalité des sexes, le dialogue interreligieux et la démocratie, l’objectif véritable est de coopter les futurs dirigeants intellectuels, universitaires et politiques du Sud global. L’idée, bien entendu, est d’attirer ou de maintenir l’élite du Sud global dans l’orbite géostratégique américaine. Le but principal, comme suggéré plus tôt, est d’entretenir le mythe des États-Unis en tant que libérateur, champion des sans-voix et ultime défenseur des soi-disant valeurs universelles.

Pourtant, tous ces efforts et les milliards de dollars dépensés au cours des dernières décennies, pour atteindre cet objectif de diplomatie publique, pourraient être anéantis par la décision de l’administration de Biden de soutenir aveuglément Israël dans sa fuite en avant à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés. En d’autres termes, les politiques court-termistes et malencontreuses du président Biden au Moyen-Orient, ainsi que sa justification répétée de la campagne de nettoyage ethnique menée par l’État juif contre le peuple palestinien, risquent d’avoir des conséquences considérablement plus préjudiciables pour la réputation et les intérêts stratégiques des États-Unis dans le Sud global que la politique isolationniste qu’avait prônée l’ancien président Trump. Jamais auparavant un président Américain n’avait aussi ouvertement défié et piétiné les rapports accablants sur les crimes de guerre d’Israël pour outrageusement continuer à apporter son soutien “clair et indéfectible” à l’Etat hébreu.

L’administration Biden a rejeté appel après appel des agences de l’ONU, des organisations humanitaires et même de diplomates américains mécontents sur la nécessité d’un cessez-le-feu humanitaire ou permanent pour mettre un terme à ce qui, de plus en plus, s’apparente à une volonté de génocide d’Israël. Méprisant l’insoutenable atrocité de la réalité que vivent les habitants de Gaza et des territoires occupés, le tollé et la condamnation mondiale des crimes de guerre de l’Etat hébreux, Washington continue de justifier la guerre punitive que mène Israël en terre palestinienne, en invoquant incessamment l’argument selon lequel “Israël a le droit et l’obligation de se défendre” contre le Hamas. Mais quid de la nécessité de proportionnalité dans la réponse aux attaques du 7 octobre, perpétrées par le Hamas et d’autres petits groupes de la résistance palestinienne qui se présentent tous comme étant les derniers remparts de la résistance palestinienne face à la volonté d’expansionnisme et d’hégémonie qu’affiche le gouvernement d’extrême droite dirigé par Netanyahu ? Le droit de se défendre donne-t-il à Israël le droit d’exterminer des dizaines de milliers de civils et d’enfants palestiniens ? Faut-il laisser Israël finalement concrétiser son désir de “nettoyer” Gaza sous couvert de la nécessité de répliquer aux attaques du 7 octobre ? Le peuple palestinien dans son entièreté doit-il payer pour les attaques du Hamas ? Qu’en est-il donc des Conventions de Genève, qui interdisent, voire criminalisent toute attaque délibérément perpétrée contre les civils et des infrastructures non militaires ? Face à toutes ces questions essentielles, mais encombrantes pour l’administration Biden, Washington préfère se réfugier derrière un autre argument du gouvernement de Netanyahu :  le cessez-le-feu ne bénéficierait qu’au Hamas, qui est déterminé à en découdre avec l’existence même d’un Etat juif.

Ainsi, en violation flagrante et sans scrupules des textes de loi américains, l’administration Biden continue de fournir à Israël des armes plus sophistiquées et plus meurtrières, sachant bien que celles-ci seront utilisées contre des civils désarmés à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés. Le fait est que, pour Washington, les plus de 18.000 personnes massacrées, les 50.000 blessés et les 1,9 million de personnes déplacées de force de Gaza ne sont que des “dommages collatéraux.” Fondamentalement, le discours et l'attitude de Washington à l’égard de la guerre punitive d’Israël semblent corroborer la déshumanisation des Palestiniens par les dirigeants israéliens qui, depuis les attaques du 7 octobre, paraissent déterminés à raser Gaza de la surface de la terre, ou du moins à en faire un champ de ruines et de désolation.

À cette fin et pour donner un certain air de légitimité à ce génocide annoncé, le camp pro-Israël s’attèle désormais à accuser tous les habitants de Gaza d’être coupables d’avoir soutenu et élu le Hamas, ou du moins de ne s’être jamais insurgé contre son contrôle de la bande de Gaza. C’est d’ailleurs ce qu’a ouvertement soutenu le président israélien Isaac Herzog dans une récente et  scandaleuse déclaration, dont l’idée principale est que, pour avoir accepté d'être gouvernés par le Hamas, les Palestiniens ne méritent ni sympathie ni pitié.

Mais ce qui est encore plus choquant, c’est la facilité et la sérénité avec lesquelles Biden a accepté et, dans certains cas, promu tous les mensonges qu’Israël a utilisés pour justifier son ciblage systématique et criminel des infrastructures civiles à Gaza, en particulier les hôpitaux. En effet, deux événements récents ont mis en lumière le double langage honteux de l’administration Biden, et son mépris ou indifférence à l’égard de la tragédie des Palestiniens ; ces derniers n’ayant plus où aller pour se mettre à l’abri des raids et bombardements incessants d’une armée d’oppression et d’occupation, qui a reçu le feu vert pour cibler les hôpitaux, les écoles, les lieux de culte et même les camps de réfugiés en vue de “défaire Hamas”.

Le premier événement révélateur est le fait que, face à l’accusation que le Hamas utilise des boucliers humains dans sa résistance à la campagne militaire d’Israël, l’administration Biden a catégoriquement rejeté les appels des dirigeants du Hamas en faveur de l’envoi d'une mission internationale chargée d’enquêter sur la véracité de l’allégation israélienne selon laquelle le groupe palestinien aurait utilisé des hôpitaux et des écoles pour cacher ses armes et lancer des roquettes sur Israël.

Le second événement, tout aussi révélateur, a été le rejet sans ambiguïté par l’administration Biden des appels et mises en garde humanitaires du personnel médical occidental travaillant ou ayant travaillé à l’hôpital Al-Shifa. À ce jour, l’illustration la plus parfaite de cette attitude dédaigneuse et révoltante de Washington a été l’indifférence totale à l'appel du médecin norvégien Mass Gilbert, qui opère à Al-Shifa depuis plus de trente ans. Gilbert avait notamment souligné, dans son appel en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire, qu’il n’y avait absolument aucune preuve pour corroborer l’hypothèse israélienne que le Hamas utilisait l’hôpital à des fins opérationnelles. Pourtant, comme il fallait s’y attendre, l’administration Biden a répondu à ces appels en insistant sur le fait qu’elle avait reçu des renseignements “fiables” allant dans le sens des accusations israéliennes, selon lesquelles l’hôpital serait en fait un quartier général du Hamas.

Parmi les nombreuses déclarations à travers lesquelles Biden a fait preuve d’une insensibilité et d'un manque d’empathie sans précédent devant la souffrance inouïe des Palestiniens, la plus choquante est peut-être celle dans laquelle il a ouvertement semblé réciter à la lettre des éléments de la propagande médiatique que le gouvernement israélien a lancée dans les premières semaines de sa guerre punitive, afin de normaliser ou de relativiser la tragédie du peuple palestinien. En effet, le président Biden avait notamment expliqué son rejet des appels d’un cessez-le-feu en affirmant que son but principal était d’empêcher le Hamas d’attaquer à nouveau Israël et de tuer des nouveau-nés. Le Hamas, a-t-il insisté, “a déjà dit publiquement qu’il prévoyait d’attaquer à nouveau Israël comme il l’a déjà fait, en égorgeant des bébés, en brûlant vifs des femmes et des enfants. L’idée qu’ils vont simplement s’arrêter et ne rien faire n’est donc pas réaliste”.

Le plus frappant dans cette remarque est que le président américain était tout simplement prêt à ignorer une déclaration antérieure de son administration en vue d’afficher, à qui voulait l’entendre, son soutien sans faille pour Israël. En effet, l’administration américaine avait affirmé, quelques jours plus tôt, n’avoir vu aucune preuve en faveur de l’accusation israélienne que le Hamas avait décapité des bébés ou brûlé vifs des femmes et des enfants lors des attaques du 7 octobre. En fait, les responsables israéliens eux-mêmes avaient finalement été dans l’incapacité de confirmer leurs allégations que le Hamas avait effectivement décapité des bébés.

S’il continue à soutenir sans réserve les crimes de guerre d’Israël à Gaza et dans les territoires occupés, à fournir des armes de destruction massive à Israël, à bloquer tous les efforts internationaux visant à contraindre Israël à se plier à un cessez-le-feu, à opposer leur veto aux résolutions de cessez-le-feu du Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis perdront le respect, la sympathie et le soutien d’une grande partie de l’hémisphère Sud. Par conséquent, leur capacité à gagner les cœurs et les esprits de l’opinion publique mondiale, par le biais de leurs stratégies de “soft power”, sera gravement entamée dans les années à venir.

L’empereur américain est nu

Malgré sa guerre immorale et illégale contre l’Irak en 2003, qui a laissé dans son sillage environ un demi-million de morts et des centaines de milliers de mutilés, et qui a déchiré tout le Moyen-Orient et l’a plongé dans le sectarisme religieux, l’Amérique a, dans une large mesure, réussi à blanchir son image en faisant oublier à des millions de personnes, dans la région et à travers le Sud global, les atrocités que l’armée américaine avait infligées au peuple irakien.

Grâce à leur vaste machine de propagande et de lobbying subliminal, composée de médias superpuissants, de think tanks, d’ONG humanitaires et d’organisations dites philanthropiques, les États-Unis ont pu maintenir leur image de gardien d’un ordre mondial humain et juste, respectueux  des libertés fondamentales et du droit des peuples à la souveraineté et à librement élire leurs gouvernements.

Cette fois-ci, cependant, il semble que la réputation et les intérêts à long terme des États-Unis dans le Sud global ne sortiront pas indemnes de la complicité de Washington dans les crimes de guerre de l’armée israélienne à Gaza et dans les territoires occupés. Avec cette sanglante guerre qu’a lancée Israël pour punir tout le peuple palestinien, l’opinion publique mondiale découvre subitement, et peut-être sobrement, que le rempart autoproclamé des droits de l’Homme, le gardien supposé de l’obligation de moralité et de noblesse dans les affaires internationales, n’est rien d’autre qu’un complice des crimes de guerre, voire le plus grand pourfendeur des “valeurs universelles” dont il prétend être le chantre.

Non seulement l’opinion publique mondiale se rend compte de la fausseté des slogans que les États-Unis utilisent depuis des décennies pour justifier leurs politiques prédatrices et mortifères sur la scène mondiale, mais elle est également témoin, en temps réel, des liaisons incestueuses entre les responsables américains et les médias dominants qui ont longtemps prétendu être porteurs d’une voix libre et indépendante.

Au lieu de remettre en question les politiques et les décisions de l'administration américaine en temps de guerre, les grands médias jouent souvent le rôle d’amplificateurs des messages gouvernementaux visant à faire croire, au public américain et européen, que Washington n’a pas d’autre choix que d’entrer en guerre contre les forces du mal déterminées à détruire “l'ordre mondial  juste” que les États-Unis ont construit depuis la chute du mur de Berlin, et les soi-disant valeurs universelles qui le sous-tendent.

L’image et la réputation de l’Amérique étaient déjà sur une pente descendante avant la complicité affirmée et assumée de Washington dans le génocide israélien à Gaza. Selon une enquête menée par le Baromètre arabe entre octobre 2021 et 2022, les États-Unis ont considérablement perdu du terrain face à l’affirmation croissante chinoise dans la région MENA. Ainsi, l’écrasante majorité des personnes sondées ont déclaré être plus favorables à la Chine qu’aux Etats-Unis.

L'enquête a révélé de manière frappante que la plupart des personnes interrogées montraient également une tendance, de plus en plus croissante dans la région, à voir d’un très mauvais œil l’aide financière des États-Unis. En revanche, l’opinion publique dans le MENA est en général plus encline à penser que, comparativement aux États-Unis, l’expansion économique de la Chine dans la région contribue au développement et à la stabilité.

Le Maroc, selon l’enquête, est le seul pays où les États-Unis conservent encore un très léger avantage de cinq points sur la Chine (69% contre 64%), en termes de perception positive par la population. Toutefois, comme l’ont souligné les sondeurs, les personnes interrogées pourraient avoir pris en compte la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara dans leur perception globale des États-Unis. Si une enquête similaire était menée aujourd’hui, les taux d’approbation des États-Unis au Maroc, et ailleurs dans les pays du Sud, seraient incroyablement bas.

Aujourd’hui, la grande majorité des analystes et des journalistes du monde, y compris les voix encore indépendantes aux Etats-Unis et en Europe, s’accordent sur le fait que la réputation de Washington a pris un nouveau coup depuis l’éclatement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le consensus est que la guerre russo-ukrainienne a mis en évidence l’hypocrisie éhontée de l’Occident et sa politique de deux poids, deux mesures. L’opinion publique mondiale, en particulier celle des pays du Sud, ne peut plus oublier  la façon dont les Etats-Unis et l’Europe,  qui se sont longtemps proclamés comme étant les dépositaires de l’universalité des droits de l’Homme et de l’égalité entre les peuples, se sont précipités à la rescousse de l’Ukraine, dénonçant l’occupation du territoire ukrainien par la Russie et recourant à toutes sortes de mesures de rétorsion à son encontre. Pendant ce temps, le sort du peuple palestinien, qui subit depuis 75 ans la spoliation de ses terres, des meurtres de masse, la dépossession, l’humiliation quotidienne, les arrestations arbitraires, a été tout simplement ignoré.

La campagne d’épuration ethnique menée par Israël à Gaza, soutenue par les États-Unis, et visant à en découdre avec l’ensemble du peuple palestinien, va éroder davantage la réputation de l’Amérique dans les pays du Sud. Le nombre sans précédent de manifestations qui ont eu lieu dans le monde entier, y compris au Maroc – qui s’est classé cinquième pays au monde en termes de condamnation publique d'Israël et de ses soutiens occidentaux –, donne un édifiant aperçu des dommages que le soutien inflexible et “inébranlable” de Biden à Israël aura causés à la réputation des États-Unis, en particulier au Moyen-Orient.

En fait, des diplomates américains travaillant dans la région ont déjà commencé à mettre en garde contre le prix à payer par les Etats-Unis pour l’aveuglement et le mépris avec lesquels l’administration Biden a fait sienne la cause du gouvernement israélien,  justifiant ses crimes de guerre à Gaza et corroborant – quoique sans preuves tangibles – son discours de déshumanisation et de culpabilisation collective du peuple palestinien. Gênés par la sympathie à géométrie variable de leur gouvernement et par son acharnement à justifier la guerre de Netanyahu, ces diplomates américains postés dans différentes parties du MENA ont commencé à avertir Washington que l’indifférence américaine à la tragédie de Gaza pourrait entraîner une perte quasi irréversible de l’opinion publique arabe.

Les conversations que j’ai entretenues ces dernières semaines avec des personnes de tous horizons au Maroc et dans d’autres pays arabes, ainsi que la colère sans précédent qui se répand sur les médias sociaux dans les pays du MENA et à travers le monde, m'amènent pour ma part à estimer que, malgré les avertissements des diplomates américains à l’administration Biden, l’establishment diplomatique ou l’Etat profond américain n’a peut-être pas encore pleinement saisi l’ampleur des dommages durables que l’échec moral et le dédain politico-stratégique, dont a fait montre la Maison-Blanche devant la catastrophe humanitaire à Gaza, ont causés aux intérêts américains dans la région.

Des générations entières de musulmans se souviendront certainement de Biden comme un président qui a donné le feu vert à la guerre génocidaire d’Israël contre une population palestinienne sans défense, assiégée depuis 16 ans et privée de tous ses droits fondamentaux et inaliénables. On se souviendra de lui comme d’un président qui, malgré les mises en garde de l’ONU et toutes les grandes organisations humanitaires contre le désastre humanitaire qu’inflige Israël aux femmes et aux enfants palestiniens dans sa détermination à “éliminer le Hamas”, a dédaigneusement continué à fournir des armes, des munitions et un soutien stratégique et financier sans faille à l’agression militaire israélienne contre le peuple palestinien.

L’irréversibilité annoncée du déclin mondial de l’Amérique

L’érosion de l’image des Etats-Unis dans le Sud sera ressentie non seulement par l’opinion publique et les jeunes générations, mais aussi par les élites politiques et intellectuelles du Sud global qui, désormais, auront du mal à s’afficher en public avec des officiels américains. En fait, les États-Unis ont déjà eu un avant-goût de l’environnement hostile dans lequel leurs diplomates auront à travailler dans les mois et les années à venir lorsque le roi de Jordanie a annulé en octobre dernier une rencontre avec le président Biden, le président égyptien Abdelfattah Al Sissi et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

Ainsi, tous les représentants des intérêts et de la politique étrangère américains seront boudés dans la plupart des pays du monde. Cela, il va sans dire, permettra à la Chine de renforcer ses partenariats avec les pays du Sud, de resserrer son emprise sur leurs économies et de réaliser des avancées plus décisives dans sa quête de s’imposer au Sud global comme une meilleure alternative à l’hypocrisie et l’arrogance occidentales.

Pour le dire autrement, le soutien sans faille de Biden à un pays qui a systématiquement enfreint les normes et lois fondamentales de l’ordre mondial, supposé être fondé sur une justice et une certaine universalité des droits des peuples dont Washington était censé être le gardien, a suscité une indignation anti-américaine sans précédent, même parmi certains dirigeants et intellectuels pro-occidentaux du Sud global. Pendant ce temps, l’engagement de la Chine à respecter le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats, y compris ses alliés et partenaires, ne fera qu’inciter davantage les élites dirigeantes du Sud à se rallier aux objectifs de la politique étrangère chinoise et à intensifier leurs liens économiques et militaires avec Pékin.

L’érosion de la crédibilité des États-Unis, en tant que médiateur de confiance et artisan de paix et de stabilité au Moyen-Orient, pourrait accélérer le rythme de la perte par Washington de la première phase de sa compétition avec la Chine dans la région. Le fait que la Chine n’ait pas de passé colonial dans la région, et qu’elle n’ait jamais soumis, terrorisé, réduit en esclavage ou opprimé d’autres peuples pour des raisons économiques, pourrait s’avérer décisif dans ses efforts incessants et de plus en plus affirmés pour faire pencher la balance en sa faveur. Contrairement aux États-Unis ou à l’Europe, dont les mains sont tachées du sang des peuples africains, arabes, asiatiques et latino-américains, la Chine n’a pas d’antécédents d’intervention sanglante ou d’oppression brutale dans ces pays et civilisations.

La Chine peut même prétendre avoir en commun avec ces pays le fait d’avoir subi la barbarie et la brutalité coloniales des empires britannique et japonais durant une grande partie des deux derniers siècles. Les élites du Sud pourraient donc être plus enclines à travailler avec la Chine et à consolider leurs liens avec elle qu’avec un continent européen vieillissant et une Amérique arrogante, dont les dirigeants politiques et intellectuels ne semblent pas avoir pleinement saisi l’ampleur véritable des changements radicaux qui se sont produits sur la scène mondiale ces dernières années pour agir en conséquence. L’orgueil démesuré et l’arrogance de l’élite américaine sont tels qu’elle en est venue à croire que, quelles que soient les humiliations que son pays inflige aux autres nations, il peut toujours régner sur le monde en gavant les autres pays de propagande subtile et en les forçant à agir conformément à ses caprices et au mythe d’une certaine indispensabilité des Etats-Unis dans le maintien de la paix et de la quiétude mondiales.

Le génocide qui a cours à Gaza est différent parce que, contrairement aux guerres passées dans lesquelles les États-Unis étaient directement ou indirectement impliqués, et qui ont pu être oubliées parce qu’elles avaient lieu loin du regard du monde, le ciblage des Palestiniens se passe au vu et au su de tous. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire, le public mondial est en train d’assister en direct à la télévision et sur les médias sociaux, et de s’opposer, également en temps réel, à la campagne d’épuration ethnique des Palestiniens de Gaza et à la propagande médiatique visant à justifier la supposée nécessité pour Israël d’en finir avec le Hamas, c’est-à-dire de faire de l’enclave palestinienne un champ de ruines.

Depuis deux mois donc, le monde regarde avec des yeux médusés et une conscience troublée l’avalanche constante de vidéos montrant le massacre de populations civiles non armées, et démontrant le comportement sadique et barbare d’une armée israélienne d’occupation et d’oppression soutenue par les États-Unis. De telles scènes obscènes et difficilement supportables par tous ceux qui sont épris de justice et d’humanité laisseront sans nul doute des séquelles émotionnelles et psychologiques durables dans le cœur des populations du Sud, en particulier au sein de la génération Z, dont seront issus les dirigeants de demain.

Les responsables américains pourraient être tentés de croire qu’une fois la guerre terminée, ils pourront, comme par le passé, repartir à zéro et déployer le même arsenal de propagande subtile et d’affirmation subliminale de la puissance militaire et du mythe de la bénévolence et de l’indispensabilité de la puissance américaine pour réparer les dommages causés par l’aveuglement et l’entêtement pro-Israël de Biden. Pourtant, tout porte à croire que, quels que soient les milliards de dollars qu’ils consacreront à la réalisation d’un tel objectif, les jeunes Africains et musulmans ne regarderont plus jamais les Etats-Unis – et l’Occident – avec la même admiration naïve et la même révérence à l’égard de son hégémonie politico-culturelle.

De plus en plus de jeunes leaders et intellectuels du Sud global, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, embrasseront l’idée, qui a déjà le vent en poupe dans ces pays que, loin d'être une force du bien et un pays qui promeut la paix régionale et mondiale, l’Amérique est en fait la principale menace existentielle au bien-être, à la stabilité et à la prospérité de leurs pays. La condamnation ferme par les peuples arabo-musulmans de la complicité américaine dans le génocide de Gaza suggère au contraire que l’opinion publique dans leurs pays n’est plus prête à oublier ni à pardonner à l’Amérique d’avoir justifié l’anéantissement de leurs frères et sœurs palestiniens.

En ce sens, la campagne de boycott en cours, visant les marques américaines et européennes qui ont soutenu la guerre punitive d’Israël, devrait servir de signal d’alarme aux dirigeants occidentaux. Le fait est que, dans l’ensemble du Sud global, en particulier au Moyen-Orient, les jeunes et leaders politiques émergents sont déterminés à faire payer cher aux États-Unis et à l’Europe leur soutien aveugle et leur approbation des crimes de guerre de l’armée israélienne.

Et en fin de compte, ces populations n'oublieront ni ne pardonneront jamais le silence assourdissant des États-Unis devant les attaques des forces israéliennes contre des hôpitaux, des écoles, des mosquées et des églises à Gaza. Ils n'oublieront jamais les larmes et le chagrin des mères et des parents palestiniens qui ont perdu des dizaines de milliers de leurs enfants et compatriotes en l’espace d’un mois. Ils n’oublieront jamais ni ne pardonneront le désespoir de milliers d’enfants qui ont perdu leur famille entière. Ils n’oublieront jamais les centaines de familles qui ont été complètement effacées des registres de l’état civil palestinien. Plus important, ils n’oublieront ni ne pardonneront le refus par Washington des appels incessants de cessez-le-feu, sous prétexte que forcer Israël à mettre fin à sa guerre génocidaire reviendrait à condamner l’Etat hébreu à donner au Hamas une autre chance d’éventuellement lui faire revivre les atrocités du 7 octobre.

Cette fois, donc, les campagnes agressives de relations publiques ou de séduction de Washington n’auront pas l’effet escompté sur les populations du Sud global, en particulier sur les jeunes générations qui ne souffrent pas du même complexe d’infériorité que les générations passées ou vieillissantes de dirigeants et d’intellectuels postcoloniaux. Comme l’a dit Aimé Césaire en parlant de l'indéfendabilité morale de la colonisation, les leaders émergents du Sud savent désormais que l’Occident est hypocrite et en déclin. Ils savent, par-dessus tout, qu’il est désormais temps de remettre en question l’ordre mondial qui régit les relations internationales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la victoire de l’Occident sur l’Union soviétique. Et que, sur le plan stratégique, le défi des intellectuels et des gouvernements non occidentaux est de s’ouvrir à l’émergence d’un ordre mondial alternatif, c’est-à-dire un ordre mondial multipolaire plus juste et moins pollué par les folies de grandeur morale et les mythes d’un Occident en chute libre.

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