Hatim Benjelloun

Gérant du cabinet Public Affairs & Services. Fondateur du Think Tank Radius. Auteur du livre « Le Maroc, c’est l’Autre ».

Faut-il “brûler” les marketeurs?

Le 5 août 2016 à 13h40

Modifié 9 avril 2021 à 20h41

Je n’ai pas besoin de rappeler l’importance cruciale, vitale et obsessionnelle que le marketing prend dans notre société, et bien évidemment, encore plus partout ailleurs dans les sociétés post-modernes.  

Il est de tous les discours, tous les papiers, toutes les études et tous les programmes.

Il est stratégique, opérationnel, politique, national, émotionnel, etc… on pourrait presque y accoler tous les adjectifs, cela prendrait sens. Epoque oblige. Consommation, capitalisme, libéralisme… le marketing en est le carburant. Guerre économique, conflits armés, terrorisme… le marketing n’a ni patrie ni âme.

De la même manière que le métier d’avocat, il s’est aussi paré du principe absolu et universel: toute entité a droit à une publicité. Je ne cherche pas l’ironie, mais il est parfois bon de prendre conscience des dynamiques qui guident nos vies, à chaque instant, dans toutes les sphères de notre quotidien.

Et je suis loin d’avoir les armes pour remettre en cause une discipline, déjà centenaire. Je revendique néanmoins le droit de poser quelques questions sur la pratique de ce métier dans notre pays.

En me référant aux définitions de quelques experts, le marketing repose sur quatre leviers clés:

1-tout d’abord, il appartient au marketeur d’être en veille permanente puis d’analyser finement les opinions, les aspirations, les valeurs et les demandes qui en découlent.

Il s’agit donc d’anticiper les faits et phénomènes sociaux et sociétaux.

2-Dans un second temps: les professionnels du secteur se doivent de surveiller de près les mouvements, changements et stratégies des différentes parties prenantes, pour affiner leur plan d’action et le positionnement de leur produit.

3-Ensuite, les marketeurs s’attellent à construire une image, fût-elle ancienne ou nouvelle, de l’objet-cible, notamment en valorisant son esthétique, au sens physique et idéel du terme.

4-Et enfin, étape ultime: déployer des plans de communication globaux, pour assurer une présence permanente et/ou adaptée aux contextes et aux objectifs.

Ces quatre règles peuvent s’appliquer pour une voiture, une lessive, un homme politique, une nation ou une idéologie. Quelques ajustements contextuels sont souvent nécessaires, mais les fondamentaux restent les mêmes.

Et c’est là où le bât blesse, à mon sens. Cette généralisation du marketing à toutes les strates de notre société interroge sur les impacts immédiats et durables sur l’imaginaire collectif, qui structure notre perception de la réalité.

D’un côté, les praticiens du marketing, aguerris à des méthodes dites “scientifiques“, frôlent aujourd’hui l’omniscience et finissent par considérer leur métier comme un “art divinatoire“: percer les mystères physiologiques et psychologiques des gens, comprendre leurs vraies aspirations et surtout juger de la meilleure manière d’agir dessus, avant les autres.

D’un autre côté, la pratique du “tout-marketing“ crée irréversiblement une forme de remise en question perpétuelle du positionnement ou du repositionnement de l’objet cible.

Chaque idée est étudiée selon un curseur très simple: mon objet apparait “plus“ ou “moins“ qu’un autre objet. Cela mène subrepticement, à la caricature, voire à la “guignolisation“ de l’objet et par effet ricochet, de la cible censée le consommer.

On assiste aussi à un phénomène très particulier et souvent propre au marketing politique, c’est l’hystérie de la séduction et l’obsession de l’image

Dans ce sens, l’“homme-objet“ vit dans un système où l’effet d’annonce devient la règle, soutenu par une permanente scénarisation de ses moindres faits et gestes.

Accompagnée de la faillite de la “pensée“ marocaine, cette tendance nous mène vers le “tout-design“, vers l’hyper-promotion de la forme, au détriment de valeurs signifiantes et de codes culturels communs. L’apprentissage des techniques épurées de la communication phagocyte toute tentative du discours nuancé, complexe par son éloquence et intelligible par la richesse de ses références sociales et culturelles.

Paradoxalement, une matrice “swot“ pourrait très bien traduire et éclaircir mes propos, et finalement considérer que le marketing est une discipline comme une autre, qui vit de ses anges et de ses démons.

Seulement, là où j’imagine une dérive dangereuse, c’est la propension du marketing à devenir co-producteur de sens et de valeurs dans notre société.

Cette discipline est venue se superposer à un corps “intellectuel“ marocain amorphe. De fait, de simples agents de communication, souvent armés de méthodes qualitatives de “bétail“ et d’un manichéisme quantitatif, déterminent notre vision du monde et peuvent perturber à l’infini notre perception des réalités.

En prenant comme référence l’ouvrage de Philippe Breton, “La Parole manipulée“, on ne peut que très difficilement distinguer les techniques de propagande du 20e siècle dans les démocraties occidentales, des pratiques du marketing du 21e siècle: une armée de consultants en plus, des process modélisés, des KPI plus précis et tout ceci soutenu par les sacro-saints principes capitalistes et irrévocables de la liberté “de communiquer“.

Les “leurres cognitifs“ dont usent les marketeurs sont devenus de plus en plus incontrôlés et incontrôlables. Les agences marketing ont compris l’intérêt ou le danger, du principe de crédulité qui réside chez tout un chacun.

En neuroscience, ce principe signifie que notre cerveau est incapable de décomposer, analyser et vérifier l’ensemble des informations qui nous parviennent de l’extérieur.

De fait, l’individu passe son temps à filtrer les informations de manière quasi-sommaire et primitive. Et vouloir s’opposer à cette dynamique reviendrait à vouloir stopper des vagues avec ses mains.

C’est pourquoi, je revendique un esprit d’équilibre. La liberté d’expression nécessite un contre-pouvoir: la “liberté de réception“.

Autrement dit, nos écoles et/ou universités qui enseignent cette discipline, devraient intégrer dans leur programme, l’apprentissage de la parole, du discours et de la rhétorique (une discipline bizarrement inexistante dans les manuels scolaire et universitaires). Cette matière permettrait d’acquérir, aussi bien “l’art du convaincre“ que l’art de décrypter les techniques de manipulation. Et ce nouveau savoir doit être porté par une éthique, et un sens des responsabilités.

En outre, et je cite le marketeur Harry Beckwith: “Ce n’est pas l’éclat, le lustre, l’unicité ou l’habileté qui fait qu’une marque est une marque. C’est sa vérité“.

Or, la vérité n’est pas l’opinion. Elle n’est pas une tendance, et elle est encore moins une statistique. A mon sens, la vérité n’est que l’expression multiforme de la sincérité. Ainsi, un “Marketing-vérité“, j’ose l’oxymore,  imposerait une dynamique intellectuelle poly-disciplinaire, une honnêteté invariable et un sens aigu de la citoyenneté et de l’intérêt général.

L’espoir réside encore auprès de certains marketeurs marocains, souvent solitaires, de bon aloi, généralement des “ex-mutins“ de grandes structures internationales, qui prônent désormais une communication de vérité, plus intelligente, innovante et mieux adaptée à un consommateur moins dupe, et mieux outillé pour réduire sa propension naturelle à la crédulité.

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