Hind Meddeb

Réalisatrice et journaliste franco-maroco-tunisienne. 

Face à l'horreur

Le 17 novembre 2015 à 10h22

Modifié 9 avril 2021 à 20h35

La mort n'a jamais été aussi proche de nous. 

L'horreur des conflits qui déchirent le Moyen Orient et plus particulièrement l'Irak depuis l'invasion américaine en 2003 et la Syrie depuis la révolte du peuple contre son dictateur en 2011 s'est invitée jusque dans nos rues. Les attentats qui assassinent quotidiennement des civils à Bagdad, Alep, Bassorah, Kobane, Beyrouth, Sanaa, Abuja, Nairobi ne pourront plus nous laisser indifférents.

Compassion et responsabilité

Ces mots me hantent depuis ce vendredi funeste. Solidarité avec les peuples d'Irak et de Syrie qui sont en première ligne de cette guerre sans nom. Les terroristes veulent semer la haine et la discorde dans nos sociétés. Mais ils n’y parviendront pas. Parmi les rescapés et les témoins de l’horreur, c’est la compassion et la solidarité qui l’emportent. La colère aussi. Mais tout sauf la haine de l’autre.

Je suis à New York avec mon amie peintre Federica Matta. Notre réflexion commune engendre ce texte et ce dessin que je partage avec vous.

Je pense à mon ami Raphaël Lauro, ancien étudiant de mon père Abdelwahab Meddeb, qui a été témoin de l’horreur ce vendredi 13 novembre alors qu’il dînait avec des amis dans un restaurant situé à quelques mètres du Petit Cambodge et du Carillon. Voir la mort en face, les balles qui tuent au hasard, l’impossibilité de donner du sens à ce qui nous arrive. En échangeant avec Raphaël qui s’est retrouvé pendant quelques minutes en présence de la bête immonde, j’ai pensé à mon père Abdelwahab qui exprimait quotidiennement sa souffrance et sa colère impuissante face à la destruction de l’Irak, de la Syrie, et désormais du Yemen, ces pays qui ont été le berceau de la civilisation.

Sur son lit d’hôpital, il me disait: le cancer qui me ronge est à l’image du cancer qui ronge le Moyen-Orient. Un cancer contre lequel il s’est battu toute sa vie, prêchant dans le désert quand il y a plus de quinze ans, il interpellait déjà nos politiques, les invitant à prendre leurs responsabilités, à identifier l’ennemi, à ne pas le laisser proliférer, à ne pas faire alliance avec les islamistes, où qu’ils soient. Je ne comprends pas que ses textes ne soient pas étudiés dans nos écoles, repris par nos politiques, par nos journalistes. Je ne comprends pas que les livres de Tariq Ramadan soient en pile dans nos librairies.

Alors à mon tour, j’interpelle notre président et ses alliés en Europe et aux Etats-Unis: quand comprendrez-vous que vos dispositions sécuritaires ne suffiront jamais à endiguer la prolifération jihadiste qui infeste le monde? Quand ferons-nous enfin tomber les masques?

Un soutien au-delà des réseaux terroristes

Quand admettrons-nous qu’il ne suffit pas de bombarder les positions d’ISIS, qu’il faut mener une politique de long terme et s’attaquer à la racine du mal: Erdogan qui soutient ISIS contre la rébellion turque, le roi Abdallah qui arme les jihadistes pour conserver la prédominance sunnite dans la région, dans sa guerre contre Assad et le gouvernement chiite irakien, eux-mêmes soutenus par la Russie, l’Iran et le Hezbollah. Derrière les attentats qui assassinent chaque jour des civils, il y a des intérêts qui nous dépassent auxquels nos hommes politiques n’ont jamais voulu s’attaquer. Et pourtant il va falloir identifier et affronter nos ennemis, bien au-delà des rangs d’ISIS.

L’organisation bénéficie de tout un réseau de soutien qui dépasse la simple ramification terroriste. Arrêtons de nous indigner devant l’horreur jihadiste, menons une politique globale, venons en aide à ceux qui sur le terrain combattent les terroristes. Pourquoi ne pas avoir apporté notre soutien aux Syriens qui manifestaient pacifiquement pour demander la fin de la dictature? Notre désengagement pour soutenir l’émergence de la démocratie syrienne en 2011 est aussi lourd de conséquences que l’intervention américaine en Irak en 2003? Pourquoi les Américains n’ont-ils pas soutenu les opposants à Saddam Hussein lorsqu’ils se révoltèrent dans le sud du pays au début des années 90?

L’Occident a toujours préféré adouber les dictatures en place plutôt que de soutenir des citoyens ordinaires militant pour la démocratie. Sans doute par paresse, peut-être aussi par cynisme (les Africains, les Arabes ne seraient pas faits pour la démocratie, on a souvent entendu ce genre d’ineptie dans nos ambassades). Partout au Moyen-Orient, les peuples se retrouvent coincés entre deux alternatives: la dictature ou l’islamisme.

Mais ils sont de plus en plus nombreux à vouloir autre chose. Les Egyptiens qui manifestaient par millions contre les frères musulmans et leur président Mohammed Morsi en 2013 ne s’étaient pas mobilisés pour ramener la dictature militaire au pouvoir. Ils ont été pris au piège et leur mobilisation récupérée par le général Sissi mais cela n’enlève en rien leur rejet du programme islamiste.

Deux poids, deux mesures

L’Europe et l’Amérique parlent au nom de la démocratie et de la liberté, mais depuis des décennies, le discours de nos politiques est en décalage total avec la réalité sur le terrain. Au Moyen-Orient, ce sont toujours les intérêts économiques qui l’emportent. Deux poids, deux mesures, sur le conflit israélo-palestinien. Irresponsabilité criminelle des Américains après l’invasion irakienne en 2003, laissant le chaos s’installer, laissant les lieux symboliques de la culture et de la civilisation irakienne se faire piller.

Quand comprendrons-nous qu’il faut faire le travail de déconstruction de la propagande jihadiste, investir les réseaux sociaux, les télévisions satellitaires et soutenir tous ceux qui font ce travail dans l’ombre depuis des décennies mais qui ne sont relayés ni par nos médias, ni par nos politiques? Quand comprendrons-nous qu’il faut reconnaître le legs de la civilisation islamique à notre histoire européenne, célébrer nos tirailleurs sénégalais, nos anciens combattants algériens et accepter que les enfants de la colonisation ont toute leur place en France?

Tant que nous ne prendrons pas au sérieux la blessure identitaire qui gangrène le cœur de nombreux jeunes d’origine arabe ou musulmane, tant que nous ne comprendrons l’importance de la reconnaissance symbolique de l’Autre dans notre société qui se dit judéo-chrétienne, nous n’avancerons pas. Il n’y a que la reconnaissance de l’autre en tant que sujet qui peut mettre fin au ressentiment et faire reculer le nombre de candidats au jihad.

Il ne suffit pas de condamner les attentats jihadistes. Nous devons nous remettre en question. Repenser l’identité française. Obliger nos politiques à reconnaître leur responsabilité. Ne pas se contenter une fois de plus de mesures sécuritaires. Accepter que le chemin est long, qu’il n’y a pas de solution à court terme et que nous devons aussi nous battre pour combattre l’ignorance, se placer sur le front éducatif, utiliser les médias pour relayer d’autres voix que celles des jihadistes omniprésents dans nos médias. Tout le monde connaît "El Bagdadi", il fait la une de nos journaux, personne ne connaît le nom des chefs de l’armée syrienne libre ou des combattants kurdes irakiens. Pourquoi?

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

A lire aussi


Communication financière

Wafa Gestion: Avis de convocations aux Assemblées Générales Ordinaires du 31 mai 2024 des SICAV Wafa Gestion

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.