Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

De cœur et de mémoire

Le 1 mars 2024 à 15h16

Modifié 1 mars 2024 à 15h16

Tous les couples sont mixtes, disait un poète qui relevait un pléonasme dans cette liaison maritale. Mais huit épouses issues de ces couples ont fait de la mixité conjugale un chant d’amour, un document d’histoire et presque un devoir de mémoire. Un ouvrage collectif écrit à plusieurs mains est né de cette mise en commun de leurs souvenirs.

Qu’est-ce que l’histoire en général ? Et l’histoire d’un pays, qui la raconte ? Qui la fait et qui l’écrit ? A ces questions les historiens répondent, comme s’en charge l’un d’eux et non des moindres (Paul Veyne, dans Comment on écrit l’histoire) : "La réponse à la question n’a pas changé depuis deux mille deux cents ans que les successeurs d’Aristote l’ont trouvée : les historiens racontent des événements vrais qui ont l’homme pour acteur ; l’histoire est un roman vrai." Mais pour que ces historiens écrivent ou racontent cette histoire ou ce roman vrai, encore faut-il qu’ils se basent sur des preuves, des matériaux, des documents matériels ou immatériels, de la pierre et de la terre, des écrits et des contes. Sur une mémoire.

L’histoire contemporaine de notre pays s’écrit à petit traits plus ou moins saillants, dans les médias, l’édition, rarement encore par des historiens de profession. Ces derniers, par formation ou par tradition, sont plus tournés vers le passé lointain et ont besoin de temps long pour faire accoucher l’histoire du pays. Mais l’ancienne, comme la plus récente, a besoin de tout pour faire mémoire et faire sens. Voilà pourquoi tout ce qui témoigne du temps qui passe est un don à l’avenir et bon à prendre lorsque l’on veut faire œuvre d’histoire. On parle aujourd’hui, et de plus en plus, de "devoir de mémoire", et jamais expression n’a été autant sollicitée qu’en ces temps oublieux et frappés d’amnésie. Mais c’est justement une raison pour que l’on en use sans modération.

C’est donc heureux qu’un livre de témoignage collectif voie le jour sous ce beau titre à la fois poétique et polysémique : Éclats de vies* (Éditions La Croisée des Chemins). L’avant-propos, dès l’incipit, annonce tout ou presque sur l’origine et l’intention des autrices, lesquelles sont : "Femmes venues de France qui ont pour la plupart d’entre elles suivi leur conjoint pour vivre dans Son monde ; qui ont appris à découvrir puis à aimer ce pays, le Maroc ; qui y ont vécu une partie essentielle de leur vie. Elles ont aussi traversé un moment particulier de l’Histoire commune, la période postindépendance et les bouleversements internationaux de la fin du XXe siècle. Période particulière de leur vie donc mais aussi de l’histoire." Mais la particularité de cet ouvrage réside dans le fait qu’il est le fruit d’un "atelier autobiographique" d’écriture qui a réuni huit femmes françaises donc, épouses de Marocains, qui ont, chacune à leur façon, témoigné de leur vécu et sur "la vie ici".

Cette "vie d’ici" est faite de tant de petits riens et de grands chambardements, de nostalgie, forcément, de la "vie de là-bas", des proches quittés et de ceux qui le deviendront peu à peu. Ce sont donc des tranches de vie, écrites avec amour, lues et réécrites avec soin, dans le cadre de cet "atelier autobiographique" collectif, comme autant d’exercices de mémoires, de souvenirs sélectifs glanés parmi d’autres.

Ils donnent un aperçu sur une époque, sur un passé récent du pays d’accueil à travers la vision affectueuse d’"étrangères" ayant suivi des êtres chers pour le meilleur et pour le pire. Le pire est très peu ou pas évoqué, sinon par quelques rares et discrètes allusions, passagères ou furtives, émises comme des soupirs entre deux phrases. C’est, à n’en pas douter, un livre d’amour, une affectueuse offrande faite à un pays, et à ses gens, où il n’a pas toujours été facile de s’adapter lorsque l’on constitue, comme on dit, un "couple mixte". Cette notion de la mixité conjugale dont la sociologie de l’immigration en général, et l’épistémologie de la mixité en particulier, ont étudié les soubassements historiques, politiques et psychologiques, n’est pas abordée ici, et n’est donc pas le propos des autrices, dont certaines ont probablement des formations universitaires et des compétences intellectuelles qui les y auraient autorisées. L’ouvrage, et c’est tant mieux, se limite au ressenti, au vécu et au plaisir de la souvenance, mais aussi au souci du témoignage.

La période décrite est pratiquement la même pour les huit femmes, probablement issues de la même génération : les trois décennies d’après l’indépendance du Maroc, que l’on hésitera à nommer les "trois glorieuses, tant l’époque a été dure, tragique par moment et couverte d’une chappe de plomb. Les lieux sont souvent les mêmes, et la ville de Rabat revient parfois telle qu’elle a été par le passé : sa médina, ses quartiers et ses habitants.

D’autres villes du Maroc dont on garde en mémoire les premières et étranges impressions de leur découverte, les odeurs d’une nouvelle cuisine, d’une langue, d’une étrangeté qui va devenir leur quotidien avant de s’estomper, avant que la soudure de deux cultures ne fasse son œuvre. C’est de cela et de bien d’autres souvenirs et émotions que ces Éclats de vies sont constitués. Un roman d’amour vrai. Étincelles et fragments de vie à fleur de mémoire, portés par des mots d’amour, des coups de nostalgie ou un coup de blues, tel, en fin du livre, le texte d’une douce mélancolie inspiré de Paul Verlaine et citant ces vers : "Il pleure dans mon cœur. / Comme il pleut sur la ville ; / Quelle est cette langueur / qui pénètre mon cœur ?"

*Les co-autrices de cet ouvrage qui ont signé leurs récits de leurs initiales sont : Anne Balenghien, Denise Bois, Danielle El Gharbaoui, Françoise El Jaouhari, Catherine Kansoussi, Yvonne Naciri, Martine Vernuccio et Bernadette Zaki.

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