Carl Bildt

Ex Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la Suède

Crise politique en Suède

Le 2 janvier 2015 à 10h48

Modifié 9 avril 2021 à 20h26

STOCKHOLM – Après plusieurs décennies d’adhésion à des règles et modèles relativement stables et prévisibles, le monde politique suédois pénètre depuis quelques semaines en territoire inexploré. Nombre d’observateurs ont été abasourdis par le fait que le gouvernement se soit effondré, et qu’il ait été contraint d’organiser de nouvelles élections deux mois seulement après avoir pris ses fonctions. Jusqu’à présent, la Suède se démarquait en effet par sa réussite face à plusieurs années d’une crise européenne engendrée par la catastrophe financière mondiale de 2008. Qu’a-t-il alors bien pu se passer ?  

La cause immédiate de la désintégration du gouvernement réside dans le refus opposé par le parlement à l’encontre du budget proposé par la coalition de centre-gauche, ce parlement s’étant prononcé en faveur du budget présenté par les partis de centre-droit de l’Alliance, qui constituaient le gouvernement précédent. Échouant à faire passer son tout premier budget – en raison de la décision soudaine des Démocrates de Suède (le parti SD, d’extrême droite SD) consistant à soutenir l’alternative de l’Alliance – le gouvernement ne pouvait tout simplement se permettre d’agir comme si tout allait bien.

La toile de fond de cet épisode remonte aux élections du mois de septembre, qu’ont perdues les quatre partis de l’Alliance après huit années au pouvoir (période au cours de laquelle j’ai exercé en tant que ministre des Affaires étrangères). Largement considéré comme efficace, le gouvernement de l’Alliance a dû se résoudre à cette réalité selon laquelle huit années constituent une éternité en politique.

Soit. Mais si nul ne discute la défaite de l’Alliance, il serait erroné de mettre en avant une victoire de la principale force d’opposition que représentent le Parti social-démocrate suédois et ses alliés. En effet, les trois partis de gauche présents au parlement n’ont réuni qu’une proportion de vote populaire légèrement supérieure à celle obtenue aux élections de 2010. Le grand vainqueur n’est autre que le parti populiste SD, dont les votes favorables ont tout simplement doublé, pour dépasser les 13%. Et dans la mesure où aucun autre parti n’était prêt à coopérer avec le parti SD, la seule alternative viable résidait dans un gouvernement minoritaire.

La montée en puissance des partis d’extrême-droite

Certes, ne bénéficiant que de l’appui de 38% des parlementaires, la coalition composée par les sociaux-démocrates et les Verts était vouée à exercer un pouvoir incertain. Les choses auraient néanmoins pu fonctionner, si le gouvernement n’avait pas viré à gauche aussi rapidement, élaborant budget et autres accords avec le Parti de gauche, anciennement communiste. Cette stratégie a véritablement scellé le sort du gouvernement, même si la chute de ce dernier est survenue de manière plus précoce et dramatique que prévu.

Pour autant, le désordre politique actuel de la Suède puise également sa source dans un certain nombre de changements à plus long terme, qui dans une certaine mesure reflètent les plus larges tendances de l’Europe. L’une de ces évolutions réside dans le déclin d’un Parti social-démocrate autrefois dominant. Pendant des décennies, toute élection à l’issue de laquelle ce parti remportait moins de 45% des votes était considérée comme un désastre. De nos jours, le soutien populaire des sociaux-démocrates tourne habituellement aux alentours de 30%, les deux dernières élections ayant abouti aux résultats les plus défavorables du siècle.

Un autre de ces changements réside dans la montée en puissance du très populiste parti SD. Jusqu’en 2010, la Suède semblait immunisée contre l’ascension de partis d’extrême-droite observée au Danemark, en Norvège et en Finlande. Depuis, le parti SD a en revanche radicalement refaçonné le paysage politique du pays.

Le rejet à l’encontre des immigrés explique en partie la situation, bien que l’opinion publique suédoise soit devenue beaucoup plus favorable à l’immigration à partir du début des années 1990. Pour certains, l’immigration est devenue le symbole d’une société à la dérive. Pour d’autres, le nombre d’immigrés enregistré ces dernières années se révèle tout simplement trop élevé.

C’est un fait, ce chiffre est effectivement élevé – pas en comparaison avec des pays comme la Turquie par exemple, mais très certainement par rapport aux autres États de l’Union européenne. La Suède et l’Allemagne constituent de loin la destination des plus importants flux d’immigration – la taille de l’Allemagne étant quasiment dix fois supérieure à celle de la Suède.

Notre tradition d’accueil des réfugiés ne date pas d’hier. Un certain nombre de populations nous sont venues des pays baltes dans les années 1940, de Hongrie en 1956, du Chili après le coup d’État de 1973, et d’Iran au lendemain de la révolution de 1979. Pendant des décennies, les industries suédoises ont été dépendantes des travailleurs immigrés.

Pendant la guerre de Bosnie des années 1990, la Suède a ouvert ses portes à quelque 100.000 étrangers – ce qui représente un véritable défi, quelle que soit la période, et sans parler des moments de profonde crise économique. Le dénouement s’est néanmoins révélé favorable : les immigrés bosniaques s’en sont tirés à peu près aussi bien que les Suédois qui les avaient accueillis, et ont contribué à l’enrichissement de notre société.

L'immigration, une partie de la solution

À partir du début de ce siècle, la proportion de réfugiés en provenance du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique a commencé à augmenter. Un pour cent de la population suédoise est aujourd’hui originaire d’Iran, et presque 2% d’Irak. Au lendemain de la guerre d’Irak, la petite ville de Södertälje a en effet accueilli davantage de réfugiés irakiens que les États-Unis eux-mêmes.

Compte tenu de tels chiffres, l’immigration en terre suédoise a beaucoup mieux fonctionné que prévu. Un certain nombre de difficultés existent néanmoins. La rigueur des systèmes et la persistance des structures du marché suédois du travail entravent l’intégration par rapport à ce que l’on observe dans de nombreux autres pays. Et voici que le nombre d’immigrants explose à nouveau, reflétant l’agitation chronique du Moyen-Orient et d’autres régions, ainsi que l’existence d’un voisinage de plus en plus turbulent et menaçant aux portes de l’Europe, qu’explique en grande partie le révisionnisme et la philosophie d’expansion militaire de la Russie.  

Véritable superpuissance humanitaire si l’on songe à l’ampleur des aides qu’elle fournit aux régions affectées par les conflits, il est peu probable que la Suède ferme subitement ses portes aux étrangers. D’autres pays européens vont néanmoins devoir supporter un plus grande part de la charge, et les autorités accomplir davantage pour faciliter l’intégration.

Il sera notamment nécessaire que soit maintenu le rythme de la création d’emplois enregistré ces dernières années. En dépit de ses réussites au cours des deux dernières décennies, et en particulier depuis la crise de 2008, l’industrie suédoise s’affaisse, et plusieurs problématiques structurelles commencent à se faire sentir. Bien souvent cité en exemple, notre État-providence subira bientôt la pression d’une population vieillissante. À cet égard, l’immigration constitue d’ailleurs bien davantage une partie de la solution que du problème.

Rien ne garantit que les élections du mois du mars résoudront la crise politique suédoise, notamment si le parti SD réalise à nouveau de bonnes performances. La Suède ne s’est jamais essayée à de grandes coalitions d’inspiration allemande, et l’expérience autrichienne illustre le risque de voir cet exercice faire le jeu des extrêmes. Pour autant, une atmosphère plus coopérative sera probablement nécessaire. Dans cette perspective, la question consiste alors à savoir si les sociaux-démocrates seront capables de prendre de la distance à l’écart de leurs alliés situés plus à gauche.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2015

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