Abe Shinzō

Ancien Premier ministre du Japon

Concrétiser la liberté et l'ouverture de l'Indo-Pacifique

Le 27 septembre 2022 à 16h38

Modifié 27 septembre 2022 à 16h38

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a radicalement changé l’environnement de la sécurité mondiale et met à l’épreuve la politique de sécurité du Japon.

TOKYO – L’invasion de l’Ukraine, État indépendant, constitue une violation claire du droit international et n’est en aucun cas tolérable. Certains experts, membres de groupes de réflexion aux États-Unis, prévoyaient initialement que la capitale, Kiev, tomberait au bout de quelques jours, mais la résolution du gouvernement et des citoyens ukrainiens dans la défense de leur patrie n’a pas faibli.

L’Ukraine a tenu bon face à la grande puissance Russie. L’adhésion au principe fondamental de la “défense de la patrie”, soutenue par l’aide militaire et financière à grande échelle que les Occidentaux ont apportée aux Ukrainiens et par la mise en place de sanctions économiques contre la Russie, a bientôt permis un revirement complet du cours de la guerre.

Le président russe Vladimir Poutine avait-il prévu que le Japon, les États-Unis et l’Europe -coalition de volontés qui partagent les valeurs fondamentales de liberté et de démocratie et un même attachement à l’état de droit- se rassembleraient au chevet de l’Ukraine ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie témoigne de la difficulté extrême pour un État à faire front seul lorsqu’il s’agit de protéger son territoire et la vie de ses citoyens. Cette situation n’est pas sans lien avec l’environnement de sécurité du Japon.

Une seule “mer libre”

C’est durant ma première administration, en 2007, lors d’un discours devant le Parlement indien intitulé “La Confluence des deux mers”, que j’ai lancé, en m’appuyant sur l’idée d’“Asie-Pacifique”, le concept géopolitique d’un océan Indien et d’un océan Pacifique considérés comme une seule “mer libre”. Conscient des efforts déployés par la Chine pour devenir une superpuissance militaire, je recherchais tout autant la coopération avec les pays qui, en Asie, partagent les mêmes valeurs fondamentales, qu’un alignement du Japon, des États-Unis, de l’Australie et de l’Inde.

Malheureusement, les États-Unis adoptèrent une attitude prudente pour ménager la Chine, engagée avec eux dans les pourparlers à six sur le nucléaire nord-coréen qui se tenaient alors. L’Inde, fidèle à sa tradition de non-alignement, restait sur ses gardes. Je parvins néanmoins, avec le soutien du Premier ministre australien, John Howard, à mettre en place un format de dialogue quadrilatéral de haut niveau, plus connu sous le nom de Quad.

Puis, en 2016, lors de ma seconde administration, j’ai officiellement lancé, lors de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement africain tenue à Nairobi l’idée d’un “Indo-Pacifique libre et ouvert”. À la suite de quoi le président des États-Unis Donald Trump a changé le nom du “commandement Pacifique” en “commandement Indo-Pacifique”, et les États-Unis ont commencé d’aligner leur stratégie militaire et diplomatique avec celle que défendait le Japon.

La réunion des ministres des Affaires étrangères du Quad et celle du premier sommet se sont tenues, respectivement, sous mon administration et sous celle de Yoshihide Suga. Après le sommet de Tokyo du 24 mai 2022, qui a réuni le Premier ministre Fumio Kishida, le président des États-Unis, Joe Biden, le Premier ministre australien, Anthony Albanese, et le Premier ministre indien, Narendra Modi, la déclaration conjointe énonçait les principes suivants concernant la situation régionale dans l’Indo-Pacifique :

Nous défendrons le respect du droit international, notamment tel qu’il est reflété dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), et le maintien de la liberté de navigation et de survol, afin de relever les défis posés à l’ordre maritime fondé sur des règles, notamment en mers de Chine orientale et méridionale. Nous nous opposons fermement à toute pression, provocation ou action unilatérale visant à modifier le statu quo et accroître les tensions dans la région telles que la militarisation ses zones contestées, l’usage dangereux de navires garde-côtes et des milices maritimes chinoises ainsi que les actions visant à perturber les ressources maritimes d’autres pays.

Depuis la « Confluence des deux mers », j’ai averti de la menace constituée par la Chine, ce qui a porté ses fruits. Le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne eux-mêmes ont envoyé des navires dans l’Indo-Pacifique. Il n’est pas exagéré d’affirmer que le concept d’un Indo-Pacifique libre et ouvert a constitué un tournant essentiel dans la politique mondiale de sécurité.

Aider Taïwan?

Taïwan, précisément, est située dans l’Indo-Pacifique. Mais le renforcement des tensions avec la Chine est lié à la situation d’un pays que la moitié du monde sépare de ses côtes, l’Ukraine.

Le conflit russo-ukrainien présente plusieurs points communs avec les tensions entre la Chine et Taïwan. Tout d’abord, la Russie et la Chine sont des puissances nucléaires et des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Deuxièmement, ni l’Ukraine ni Taïwan n’ont d’alliés militaires. Mais il existe une différence essentielle entre l’Ukraine et Taïwan : l’Ukraine jouit d’une reconnaissance internationale comme État indépendant et est membre de l’ONU. C’est pourquoi l’invasion de l’Ukraine a été condamnée dans le monde entier comme une violation du droit international.

Taïwan, quant à elle, n’est pas membre de l’ONU et peu de pays la reconnaissent comme État souverain. Si la Chine lance une action militaire contre Taïwan, ses dirigeants la justifieront en affirmant que Taïwan fait partie du territoire national, qu’il s’agit d’une question interne et qu’ils entendent préserver l’intégrité territoriale chinoise.

Reste à voir si, comme ils ont aidé l’Ukraine, les pays du monde s’uniront pour aider Taïwan en appliquant contre la Chine des sanctions économiques.

Biden a clairement fait savoir, lors d’une conférence de presse au Japon, que son administration s’engagerait militairement pour défendre Taïwan. Les États-Unis avaient adopté par le passé une politique d’“ambiguïté stratégique”, qui laissait délibérément dans le flou l’ampleur de leur attachement à la défense de Taïwan. Mais je pense qu’en affirmant clairement leurs intentions, les États-Unis enverraient à la Chine un message fort la dissuadant d’intervenir à Taïwan par la force. En ce sens, je me félicite des remarques de Biden.

Soutenue par son immense puissance économique, la Chine étend son influence dans différentes régions et installe dans le même temps des bases militaires. Si le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde ont bâti un cadre extrêmement important pour contrer cette menace, il est également important de renforcer nos liens avec des pays qui partagent nos valeurs, et notamment avec les pays européens.

Le Japon a un grand rôle à jouer. Il doit renforcer ses capacités de défense, consolider son alliance avec les États-Unis et concrétiser la vision d’un Indo-Pacifique libre et ouvert.

Cette tribune est la traduction du “message aux lecteurs de l’édition japonaise”, dernier texte écrit par Shinzō Abe, le 10 juin 2022, avant son assassinat le 8 juillet. On peut en lire la version en anglais dans l’édition japonaise de Indo-Pacific Strategies: Navigating Geopolitics at the Dawn of a New Age.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

© Project Syndicate 1995–2022

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