Anat Admati

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Cinq années d’absence de réformes financières

Le 17 septembre 2013 à 10h55

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

  STANFORD – Cinq ans après que l’effondrement de Lehman Brothers ait entraîné la plus grave crise financière internationale depuis la Grande Dépression, le cyclone engendré par un secteur bancaire gargantuesque laisse derrière lui les économies irlandaise, islandaise et chypriote totalement ravagées. En Italie, en Espagne et ailleurs, les banques ne prêtent pas suffisamment. Les conséquences de la frénésie chinoise du crédit se révèlent de plus en plus catastrophiques. En bref, le système financier mondial demeure empreint de bien des dangers et dysfonctionnements.  

Pire encore, malgré des années de discussions, aucun consensus sur la nature des difficultés du système financier – et encore moins s’agissant de la manière de les résoudre – n’a encore émergé. Il semble y avoir là une illustration de la puissance des banques sur le plan politique.

Vince Cable, secrétaire d’État britannique au commerce, a par exemple récemment accusé les régulateurs de la Banque d’Angleterre – qu’il qualifie au passage de «talibans du capital» – de retarder la reprise économique du pays en faisant peser un poids excessif sur les banques. Cable semble appuyer le point de vue des lobbyistes du secteur bancaire lorsque ceux-ci affirment que le crédit et la croissance seraient mis à mal si les banques étaient contraintes de «détenir davantage de capital».

Un tel discours de la part de hauts responsables politiques n’a rien de spécifique au Royaume-Uni. De tels points de vue s’avèrent cependant erronés et trompeurs. Le capital bancaire ne consiste nullement en réserves de liquidités censées être «mises de côté», mais bien en sommes d’argent non empruntées et pouvant être utilisées à des fins de prêt.

Autrement dit, si le crédit et la croissance économique souffrent tant depuis 2007, c’est bien parce qu’un certain nombre d’institutions financières fortement endettées n’ont pas été en mesure d’absorber leurs pertes, et non en raison des réglementations qui ont cherché à réduire leur endettement. Les régulations en place au moment de l’apparition de la crise étaient à la fois inappropriées et mises en œuvre de manière inadéquate ; les réformes proposées depuis ne se révélant pas beaucoup plus brillantes. Les réformes de Bâle III proposées permettraient par exemple aux banques de financer jusqu’à 97% de leurs actifs au moyen d’argent emprunté ; certains investissements pourraient ainsi être intégralement réalisés via des fonds empruntés.

Or, les risques associés à cette approche devraient désormais apparaître évidents aux yeux de tous. Lorsque les propriétaires ne peuvent rembourser leur crédit dans le cadre de prêts hypothécaires, ne risquent-ils pas de se voir dépossédés de leur maison, impactant le quartier tout entier ? Ceci vaut également pour les institutions financières, comme l’a démontré la faillite de Lehman.

De plus, les effets du poids de l’emprunt se font sentir avant même que les emprunteurs ne fassent défaut. «Pris à la gorge» ou confrontés à des difficultés, les propriétaires n’auront pas tendance à beaucoup investir dans l’entretien ou l’aménagement de leur bien. De même, les banques entravées par l’épée de Damoclès d’un endettement excessif qui les empêche de financer des investissements judicieux constituent un frein pour l’économie.

Le caractère défectueux des réglementationsfausse encore davantage le comportement des banques les plus fragiles – par exemple en les incitant à prêter aux gouvernements ou à investir dans des titres négociables plutôt que d’octroyer des crédits aux entreprises. Les régulateurs ont par ailleurs trop souvent tendance à tolérer – et parfois à entretenir – la faiblesse des banques, niant la gravité de leur état de santé financier. Il y a là une tendance des plus contre-productives.

Il serait plus judicieux pour les régulateurs de prendre des mesures percutantes en direction de la liquidation des banques les plus cadavériques, et d’inciter les banques les plus viables à s’appuyer davantage sur les marchés boursiers, où le risque est négocié et tarifé, dans un but de plus grande solidité. Une interdiction des versements aux actionnaires ainsi qu’une obligation pour les banques de lever des fonds en vendant de nouvelles actions permettrait de les renforcer, sans pour autant restreindre leur capacité à prêter. Les banques dans l’impossibilité de vendre leurs actions, quel qu’en soit le prix, sont celles qui risquent le plus d’être trop faibles pour pouvoir survivre sans subventions. De telles banques présentent incontestablement une nature dysfonctionnelle, et doivent par conséquent être liquidées.

La condition sine qua non de banques plus sûres et plus saines réside dans la nécessité de les contraindre à réduire leur recours à l’emprunt. En tant que prêteurs, les banques y perdent lorsque les emprunteurs font défaut. Les banques constituent cependant elles-mêmes les principaux emprunteurs, ayant pour habitude de financer plus de 90% – et parfois plus de 95% de leurs investissements – via l’endettement. (Par opposition, les sociétés non financières empruntent rarement pour plus de 70% de leurs actifs, et souvent beaucoup moins, malgré l’absence de réglementation relative à leurs ratios d’endettement.)

Chypreillustre particulièrement ce problème. À partir de 2010, les banques chypriotes ont investi une partie de leurs dépôts dans des obligations étatiques grecques, qui promettaient des taux d’intérêt de plus de 10% – parfois même supérieurs à 15 voire 20%. Tant que la Grèce honorait ces taux élevés, les banques chypriotes ont été en mesure de verser des taux attractifs à leurs déposants, autour par exemple de 4,5%, et de prospérer.

Les banques chypriotes ont satisfait aux tests de résistance effectués en juillet 2011. En revanche, début 2012, les obligations grecques ont perdu 75% de leur valeur. Dans la mesure où les banques avaient principalement réalisé leurs investissements au moyen de sommes empruntées, elles sont devenues insolvables. Après avoir pendant un temps été maintenues à flot grâce à l’aide de la Banque centrale européenne, les banques chypriotes ont été contraintes de faire face à leurs pertes. L’une d’entre elles a mis la clé sous la porte. Des dépôts supérieurs à 100 000 € (133 000 $) ont fait l’objet de pertes. Les contribuables de la zone euro ont participé pour 10 milliards € aux plans de sauvetage.

Soulignons que ce sont les régulateurs eux-mêmes qui ont permis aux banques chypriotes de recourir précisément aux pratiques qui ont conduit à leurs propres difficultés. Même si le fait d’investir dans les obligations grecques se révélait en effet risqué – comme en témoignent les taux élevés promis par ces obligations – les différentes réglementions ont négligé la possibilité de pertes. Ainsi, tandis que s’accentuaient les risques encourus, les profits des banques ont bénéficié à leurs actionnaires et dirigeants, les responsables politiques s’en félicitant, et les banques ont connu une croissance considérable par rapport à l’économie.

Les réglementations proposées par Bâle III ont fixé des exigences tout à fait insuffisantes quant aux capitaux minimums, et ont poursuivi dans une approche erronée d’ajustement des contraintes liées au risque. Au sein de la zone euro, par exemple, les banques ont la faculté d’étendre des prêts en faveur de n’importe quel gouvernement par recours exclusif à de l’argent emprunté. La banque franco-belge Dexia, ainsi que les banques chypriotes et nombre d’autres établissements depuis 2008, ont fait défaut ou ont dû être sauvées face aux pertes liées à des investissements risqués que les régulateurs avaient pourtant considéré comme sûrs.

Partout, les réglementations semblent se fonder sur la conception erronée selon laquelle les banques devraient détenir «juste assez» de capitaux. Or, les capitaux sont loin de constituer une ressource rare pour les banques viables, et la « science » des tests de résistance ainsi que de la pondération complexe des risques se révèle une illusion néfaste. Il s’agirait davantage pour les régulateurs de chercher à contraindre les investisseurs bancaires de faire face à leur propre risque avec beaucoup plus de prudence, et par conséquent de s’intéresser bien davantage à la manière de le gérer, afin de limiter les dommages collatéraux de leur recours excessif à l’emprunt.

Certains considèrent que les banques présenteraient une nature intrinsèquement à part, dans la mesure où elles allouent l’épargne de la société et créent de la liquidité. En réalité, les banques sont devenues une entité à part principalement dans leur capacité à se sortir de la panade engendrée par les paris excessivement risqués qu’elles entreprennent, et cela au détriment des autres. Rien en matière d’intermédiation financière ne saurait justifier que l’on permette aux banques de dénaturer l’économie et de mettre le public en péril aussi considérablement qu’elles le font aujourd’hui.

Malheureusement, malgré les retombées immensément négatives de la crise financière, peu de choses ont changé en matière de politiques bancaires. Trop de responsables politiques et de régulateurs accordent davantage d’importance à leurs propres intérêts, et à ceux de «leurs» banques, qu’à leur mission consistant à servir les citoyens et les contribuables. Il est temps d’exiger plus.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2013

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