Ce que j'ai appris de Vladimir Poutine

Le 5 août 2014 à 12h40

Modifié 10 avril 2021 à 4h21

Le président Vladimir Poutine se contenterait-il, comme la plupart des dirigeants politiques, de déformer la vérité afin de servir les intérêts de son pays ? Ou peut-on aller jusqu’à considérer qu’il gouvernerait et interagirait avec le monde selon une imprudente démarche mensongère, appuyée par des médias nationaux soumis à sa cause ?

Le plus souvent, il suffit de faire appel à ce que nous constatons et entendons pour répondre aux questions de ce type. Néanmoins, l’expérience personnelle peut parfois se révéler fort utile.

 

LONDRES –  J’ai rencontré Poutine pour la première fois en octobre 1999, à Helsinki, alors que j’assistais, en tant que Commissaire aux affaires étrangères de l’UE, à un sommet réunissant l’Union européenne et la Russie. Le président Boris Eltsine avait annulé sa présence à la dernière minute, étant apparemment "indisposé". Il avait envoyé à sa place le nouveau Premier ministre en poste, Vladimir Poutine, dont le comportement m’apparut comme l’illustration même de cet adage selon lequel s’il est possible d’extraire un homme du KGB, nul ne saurait espérer le libérer de l’influence du KGB.

Lors de la préparation de cette réunion au cours de la matinée, la délégation européenne eut connaissance de la survenance d’une explosion à Grozny, capitale de la Tchétchénie, à l’origine du décès de plusieurs personnes. Lorsque Poutine arriva, nous l’interrogeâmes sur cet incident. Il répondit qu’il n’en savait rien, promettant toutefois de déterminer ce qu’il s’était produit d’ici le déjeuner.

Lors de nos discussions du midi, il rapporta que l’explosion avait été perpétrée par des terroristes tchétchènes, dans le cadre d’une contrebande d’armes. À ce stade, nous avions appris qu’un assaut de l’armée russe était à l’origine de la tuerie ; il apparut par la suite qu’une salve de missiles balistiques russes (probablement des Scuds) avait coûté la vie à plus d’une centaine de personnes.

Poutine et l'économie de la vérité

Ainsi Poutine nous avait-il menti, en nous fixant droit dans les yeux, sachant très certainement que nous étions conscients du mensonge. Le communiqué formulé ce jour-là ne fit aucune référence à la Tchétchénie, énonçant un blabla habituel autour des valeurs communes, de la croyance en la démocratie, des droits de l’homme, de l’État de droit, ainsi que de la nécessité d’une coopération stratégique.

J’ai à l’esprit de nombreux souvenirs de cette situation dans laquelle – comment l’exprimer correctement ? – Poutine et ses collaborateurs se livraient à un incroyable spectacle d’économie de la vérité. Sur la question tchétchène, ils rapportèrent par la suite soit qu’ils n’avaient reçu aucune remontrance de l’UE s’agissant de l’aide humanitaire, soit qu’ils se conformaient au protocole des Nations Unies régissant cette aide humanitaire ; selon un comportement dissimulateur dans les deux cas. Ce même simulacre caractérisa plus tard les négociations relatives aux échanges commerciaux, aux accords de partenariat, à l’élargissement de l’UE vers l’Europe de l’Est, ou encore à l’accès à Kaliningrad.

Dans ce contexte, j’éprouve des difficultés à croire aux explications de Poutine concernant les récents événements d’Ukraine – un point de vue partagé par nombre d’observateurs avertis de Pologne et des pays baltes. Poutine n’entend pas se contenter de gouverner un pays à la population déclinante, et à la présence extérieure principalement asiatique. Tel une sorte de tsar moderne, l’homme aspire à ressusciter l’ancestral État slave de Russie, en y intégrant l’Ukraine, et à rebâtir, sous une forme certes différente, l’empire perdu du Kremlin ; un projet dont l’Union eurasienne – Russie, Biélorussie et Kazakhstan – constituerait le cœur.

Dans cette perspective, Poutine a toujours résisté au penchant historique de l’Ukraine pour l’Occident, auquel l’UE a quant à elle toujours répondu par une certaine froideur. Bien que l’UE se soit dite prête à reconnaître à l’Ukraine une "vocation européenne", elle n’a fourni que peu d’efforts pour encourager cette évolution.

C’est ainsi que lorsque les Ukrainiens ont renversé cette année leur président corrompu Viktor Ianoukovytch, après que celui-ci ait fait marche arrière dans le cadre d’un accord d’association avec l’UE, la Russie a choisi de déstabiliser le pays. La Crimée a été annexée au motif fallacieux selon lequel elle aurait autrefois fait partie de la Russie – une justification qui, si elle était appliquée ailleurs, pourrait fonder un violent refaçonnage de la plupart des frontières d’Europe.

L'extrême droite européenne, une fan de Poutine

Puis la Russie s’est mise à fomenter, et à participer aux efforts des séparatistes armés consistant à s’emparer de plusieurs régions d’Ukraine de l’Est, aboutissant de manière directe à la tragédie du vol MH17 de la Malaysia Airlines, qui coûta la vie à l’ensemble des 298 passagers. Bien qu’il s’agisse probablement d’un accident, cet accident a pour seule et unique origine cette ingérence trompeuse et mortelle à laquelle se livre la Russie.

Ainsi, bien que je sois attristé par le comportement du régime de Poutine, de tels agissements ne me surprennent pas. J’espère en revanche être surpris par une future reconnaissance de l’UE selon laquelle les événements d’Ukraine exigeraient de l’Europe qu’elle tape du poing sur la table pour faire prévaloir le respect et la primauté du droit à l’international. L’heure n’est plus aux discussions à l’eau de rose sur les valeurs communes. Désormais, il est temps de faire preuve de fermeté.

Pour cela, il ne faudra pas compter sur l’extrême droite européenne, qu’il s’agisse du parti Jobbik hongrois ou du Front national français. Ils sont absolument fans de Poutine.

L’évolution ukrainienne se révèle toutefois un abus de trop, que l’on ne saurait voir salué par les premiers admirateurs du président russe, tels que Nigel Farage, dirigeant du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni. Si Farage avait eu personnellement affaire à Poutine, son jugement sur le président russe se révélerait sans aucun doute fort différent.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2014

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