Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Blinken, il court il court le monde

Le 12 août 2022 à 11h39

Modifié 13 août 2022 à 12h28

Il est difficile par ces temps-ci, de tracer les itinéraires des voyages du Secrétaire d’État américain Anthony Blinken, tellement ils se suivent et ne se ressemblent pas. Son avion du Département d’Etat est toujours sur les tarmacs des aéroports en attente d’un décollage imminent, de jour comme de nuit. Ces déplacements rappellent étrangement les navettes diplomatiques, Shuttle diplomacy, qu’affectionnait autrefois Henry Kissinger.

De l’Asie du Sud-Est, où il a séjourné la semaine dernière, au Cambodge qui préside l’ASEAN (L'Association des Nations d'Asie du Sud-Est, NDLR)  puis aux Philippines, le voilà cette semaine sur le continent africain. La visite de Blinken en Afrique du Sud, puis à la République Démocratique du Congo et au Rwanda, démontre l’importance stratégique que revêt de plus en plus notre continent aux yeux des grandes puissances. Devrions-nous nous en réjouir et nous y adapter ou, au contraire, prendre garde et nous en méfier?

Durant la guerre froide et la confrontation entre les États-Unis et l’Union soviétique, des coups d’Etat ont été fomentés par ces deux puissances pour installer des régimes qui leur étaient proches, en Amérique latine, comme en Afrique ou en Asie. Le déclenchement de la guerre entre l’Occident et la Russie en terre ukrainienne semble réveiller ce vieux démon qui, inéluctablement, s’insinuera dans les relations internationales, déstabilisant ainsi la communauté internationale.

La ministre sud-africaine des affaires étrangères Naledi Pandor ne s’est pas trompée quand elle a évoqué devant le Secrétaire d’État américain, les discours des occidentaux qui consistent à dire aux Africains : vous devez être d’accord vous avec nous ou alors..., faisant allusion aux discours du président français Emmanuel Macron lors de son séjour, fin juillet, au Cameroun, Benin et en Guinée-Bissau.

Lors de sa visite, le président français a haussé le temps en multipliant les critiques à l’égard de la Russie, la qualifiant de l’une des dernières puissances impériales coloniales qui a envahi un pays voisin pour y défendre ses intérêts. Il a cherché durant tout son voyage à mettre en garde les Africains, en  principe souverains, contre ce nouveau type de guerre hybride que mène la Russie sur le continent, en mentionnant spécifiquement l’usage des armes alimentaires et énergétiques dans sa guerre en Ukraine.

C’est ce langage paternaliste qui passe mal chez certains pays africains, dont l’Afrique du Sud. La ministre de ce pays a remercié poliment l’américain Blinken qui, selon elle, n’a pas demandé à son pays de choisir entre l’Occident et la Russie. Nous devons avoir des opinions différentes et nous sommes souverains, a-t-elle clamé. Elle n’a pas non plus hésité à faire la comparaison avec ce qui se passe en Palestine, notant la politique des deux poids deux mesures qu’adopte l’Occident face aux crises qui secouent notre monde.

Ce ton critique en dit long sur les tensions qui planent dans les relations entre Pretoria et Washington. Depuis l’élection de Mandela en 1994, l’Afrique du Sud a adopté une politique de solidarité avec les pays socialistes et ceux qui ont soutenu son combat contre l’apartheid. Cette politique a été renforcée par son adhésion en 2011 au BRICS, entité qui englobe les adversaires résolus des Américains comme la Chine et la Russie. Cette adhésion a conforté son statut international de puissance régionale moyenne émergente, qui voudrait  avoir son mot à dire sur tous les conflits en Afrique.

Les discussions ont paru difficiles entre les diplomaties américaine et sud-africaine. Comment ne peuvent-elles pas l’être quand les visions politiques des deux s’opposent. C’est parce que Blinken est issu du camp démocrate que cette visite a pu avoir lieu, et que Washington ne désespère pas de faire basculer Pretoria vers le camp occidental. Pour le moment, cela parait une mission  impossible. Les sud-africains sont réellement engagés à faire du BRICS une force économique parallèle et opposée aux Américains.

Les visites de Blinken en République Démocratique du Congo puis au Rwanda ont pris une autre allure.

A Kinshasa, Blinken a rencontré la société civile et a défendu les principes démocratiques et le respect des droits humains en perspective des élections de l’année prochaine. A Kigali ce sont les mêmes thèmes qui ont été abordés comme la santé, le changement climatique, et l’assistance aux réfugiés. L’aide américaine est toujours conditionnée au respect des valeurs démocratiques et à la lutte contre la corruption.

Chinois comme Russes savent surfer sur les conditions relatives aux droits de l’Homme imposées par les pays occidentaux contre les dirigeants africains. L’on se rappelle à la veille du sommet Russie-Afrique à Sotchi fin 2019 quand Poutine avait déclaré que nous voyons comment certains pays occidentaux ont recours à la pression, à l’intimidation et au chantage contre les gouvernements africains souverains. C’est ce même message qu’a délivré Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères russe, lors de son offensive de charme en Afrique en juillet dernier.

Alors que le président français est en visite dans l’ouest africain, Lavrov sillonnait à son tour l’Est du continent, visitant l’Egypte, l’Éthiopie, la Tanzanie et la république du Congo. Il a tenu à rassurer le continent africain, qui dépend largement des céréales en provenance de la Russie et de l’Ukraine, que Moscou a répondu favorablement à la démarche du président sénégalais Macky Sall d’en faciliter rapidement les livraisons, sans évoquer de contreparties aux Africains.

Au Caire, Lavrov a porté la responsabilité du blocage des céréales aux sanctions occidentales. Face à la presse, il a relevé que celles-ci interdisent aux bateaux russes de se rendre aux ports européens, et interdisent aux navires étrangers d’aller charger des marchandises, dont les céréales, dans les ports russes, alors jugez par vous-même, a-t-il conclu. L’annonce de l’accord d’Istanbul sur les livraisons des céréales en provenance de l’Ukraine, a été accueilli favorablement en Afrique.

C’est certainement pour cette raison que la visite de Marcon en Afrique a paru bien pâle et n’a pas eu les résultats escomptés. La diplomatie française semble perdre pied, et ses intérêts en Afrique s’érodent irrémédiablement au profit des Russes, des Chinois, mais aussi des Américains. Loin d’être l’allié de Paris, Washington défend ses propres prérogatives, comme en Indopacifique, quand les Américains ont évincé la France pour la livraison de sous-marins à l’Australie.

Les Américains semblent donc bien décidés à reconfigurer le monde à l’aune de leurs propres intérêts et accessoirement à ceux de leurs alliés. Si l’Europe, avec ses potentialités économiques suit Washington dans ses démarches pour contenir l’expansionnisme russe en Ukraine, elle semble bien timorée en Afrique, incapable qu’elle est de mener sa propre politique face aux Russes aux  Chinois et maintenant aux Américains.

Pour l’Afrique, c’est certainement une aubaine d’avoir en face des partenaires aux intérêts divergents. Ceci permet de les maintenir à équidistance et tirer le maximum d’avantages de leurs divisions. Mais l’Afrique aussi, est loin d’être unie pour présenter un front commun face aux différentes menaces extérieures. Ses divisions et ses luttes idéologiques subsistent encore, au nord comme au sud du continent. Elles empêchent l’adoption d’une politique commune qui puisse immuniser l’Afrique contre les interventions intempestives des grandes puissances. Il est à craindre de voir un jour notre continent payer les frais de ses propres divisions.

La visite du Secrétaire d’Etat américain en Afrique permet de voir plus clair sur ce que compte faire Washington. Longtemps boudée par ses présidents, démocrates comme républicains, l’Afrique est en train d’être placée au cœur de l’arsenal diplomatique américain pour contenir aussi bien les Russes que les Chinois. L’annonce en Afrique du Sud de la nouvelle stratégie américaine pour l’Afrique subsaharienne, semble être la charpente de cette nouvelle approche.

Mais Moscou a déjà pris de l’avance en plaçant ses militaires et autres milices, à travers l’entreprise Wagner au Mali et au Centrafrique, maillon faible de la francophonie dans la région. En traitant la Russie de puissance impériale et coloniale, Macron a déplacé le curseur de sa diplomatie sur un autre registre qui lui sera difficile à défendre. En réponse, Lavrov déclarait qu’on aurait pu s’attendre à des propos plus éthiques de la part des français, qualifiant froidement les propos de Macron d’offensants et d'insultants.

La France a compris que les sommets France-Afrique, arme de sa diplomatie sur le continent, ont fait leur temps et ne répondent plus aux attentes notamment celles des Africains eux-mêmes. Le 28e sommet France-Afrique qui s’est déroulé en octobre de l’année dernière à Montpellier, avec la seule société civile africaine, est un tournant stratégique dans cette nouvelle approche. La récente visite de Macron en Afrique visait sans doute à s’assurer de la fidélité de ses partenaires africains, et sonder leurs intentions quant au futur de ces relations.

Dans un contexte de perte d’influence, la France, comme en Indopacifique, fait désormais face à un concurrent de taille, l’Amérique, qui compte combattre l’intrusion des russes en Afrique tout en défendant ses propres intérêts. Blinken a réitéré les objectifs de Washington en proposant une coopération entre partenaires égaux. Notre but n’est pas de vous forcer à choisir mais de proposer un choix sur le commerce, le climat et la sécurité, a-t-il développé lors de l’une de ses interventions.

Il a également proposé de s’attaquer aux vraies racines du sous- développement en Afrique pour instaurer une vraie prospérité. Paris est donc averti. Il n’y aura pas que les Russes et les Chinois à observer et s’en méfier. Les Américains feront aussi partie de la fête. Reste à espérer ne pas voir les Africains payer à eux seuls la facture de toutes ces intrusions impériales.

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