Younes Maamar

Ingénieur. Membre du Bureau Politique du PAM

AU FIL DES JOURS. L'avenir de la construction européenne

Le 23 octobre 2023 à 15h22

Modifié 23 octobre 2023 à 17h19

Au Forum d'Assilah 2023, Younes Maamar était invité à intervenir sur le thème : "L'avenir de la construction européenne : tendances et perspectives". Ci-dessous, il restitue l'essentiel et l'esprit de son intervention qui se résume en ce cri: "L'Europe du XXIème siècle sera spirituelle ou ne sera pas".

Les États nations de l'Europe post guerres mondiales se sont construits sur deux piliers : la sublimation d'une Histoire récente basée sur le sacrifice et la construction d'un État social.

Dans ce "deal", le citoyen faisait allégeance à son État, lequel lui garantissait un espace de paix et de prospérité. L'État, c'était donc d'abord une sécurité sociale volontariste. Tout cela a marché dans une large mesure et en partie grâce aux colonies dont les ressources furent fortement "sollicitées" pour amorcer le décollage de l'Europe. Le plan Marshall fit le reste…

L'Europe s'est aussi construite sur le modèle de l'économie de marché, qui, étape après étape, a sorti l'État de ses fonctions productrices, de ses fonctions de service public, puis de ses fonctions régulatrices, pour atterrir, dans les années 80, dans une doctrine de l'ultra-libéralisme où le marché, vertueux, s'autorégulerait. Une chimère.

Il en résulte des pays où le capital a asservi le politique et façonne à desseins l'opinion publique. Ainsi viennent les cohortes d'exclusions sociales, de crispations des sociétés, de racisme, et où l'islamophobie, mot créé à la fin du XXème, prend racine avec le silence coupable des témoins de l'Histoire, dont nous, pays musulmans, faisons partie.

À cet asservissement s'ajoute la vassalisation de l'Europe aux États-Unis d'Amérique sur la dimension militaire. Cette vassalisation s'appelait coopération entre alliés quand l'Europe représentait un poids économique fort sur la scène mondiale. Mais cela est et sera de moins en moins le cas. À titre d'exemple, le PNB de la Chine représentait 50% de celui du Royaume-Uni dans les années 80. Il lui est cinq fois supérieur en 2023.

Nous parlons de l'Europe car elle nous concerne, nous Marocains. Elle nous concerne aujourd'hui pour des raisons évidentes liées à la proximité et aux strates de l'Histoire commune. Elle nous concerne davantage car elle est, par la lunette accélératrice de l'Histoire, ce que nous pourrions devenir demain. Il s’agit là de l’un des rares avantages d'être le suiveur…

Et puis nous aspirons à une relation apaisée avec le Vieux continent basée sur le respect mutuel et non sur une relation telle que celle qui lie la plante qui émerge du sol qui lui résiste.

Elle nous concerne enfin, à l'instar des coupes du monde modernes, qui, de par leur complexité et leur taille, plaident pour la mutualisation des efforts. Ne serait-ce pas là l’une des meilleures réponses à nos challenges de demain : construire ensemble. Une communauté de solutions pour une communauté de destin, en somme.

Or, si cela est vrai pour les cinq grands challenges de notre siècle, à savoir ceux de l'énergie, de la sécurité alimentaire, du changement climatique, des flux de populations ou enfin de l'intelligence artificielle, il n'en est que moins clair pour le sixième et à mon sens le plus critique : celui de la déconstruction sociale.

Et, parce que ce sixième élément relève de l'identité, donc de l'intime, la solution ne saurait être si elle ne venait pas, d'abord, de chacun.

Je parlais de l'ultra-libéralisme plus haut. Un de ses corollaires est en effet la déconstruction sociale. Elle pénètre par effraction dans nos sociétés et nos familles par ce qui est le plus fragile et nous est le plus cher : nos enfants.

En "affranchissant" l'individu de tout lien social, il se consacrera à la seule fonction que ce système lui reconnait : celle du consommateur esclave servant à enrichir le capital (Foucauld).

C'est bien sous cet angle et sous cet angle seulement que nous sont imposés des modèles de familles stériles et que nous devons accepter comme la nouvelle norme, en faisant fi de nos valeurs. Imposer. Pas respecter.

C'est aussi sous cet angle que la spiritualité se trouve, par effet centrifuge, exclue de nos sociétés. Qu'elle devient une commodité dont la seule valeur est transactionnelle. Être religieux ou spirituel devient alors ringard, voire suspect. Et c'est ainsi que les églises se vident en Europe pour être remplacées par des restaurants ou des logements. Et c'est ainsi que des pseudo imams prêchent pour des populations désœuvrées et exclues.

C'est aussi sous cet angle et sous cet angle seulement que s'instaure la dictature de l'éphémère, exacerbée par les réseaux sociaux qui font et défont les modèles imbéciles d'une jeunesse rivée à ses écrans, seules fenêtres sur le monde qui l’entoure.

Je racontais que la perte de spiritualité était un mal européen. En effet, si vous grattez la surface de la Chine, vous trouverez le Bouddhisme ou le Taoïsme, celle du Japon, le Shintoïsme, celle de l'Amérique, la Chrétienté. Mais sous la surface de l'Europe, vous ne trouverez rien.

La solution? C'est l'immunité intellectuelle.

Et la culture dans son sens le plus noble en est un des vecteurs. La culture c'est se connaître. C’est connaître son identité, son histoire, ses langues, ses religions. De manière assumée, sereine et décomplexée.

Or, comme l'Histoire est écrite par les vainqueurs, la nôtre est écrite par les vainqueurs que nous ne fûmes pas. Il nous faut donc la récrire. Elle constitue un soft power et un tremplin économique extraordinaire, si peu qu'on se l'accapare.

Une immunité intellectuelle pour que nous puissions, tel le roseau face au tsunami dévastateur de la déconstruction sociale, plier sans rompre.

Je disais que nous voyons l'Europe sous la lunette accélératrice de l'Histoire. Nous sommes donc sur le bord de cette même déconstruction sociale. Sans prosélytisme caché et sans complexe, y compris celui du colonisé que je sens chez beaucoup de nantis, c'est à dire d'anciens pauvres. J'assume de dire que notre identité et notre religion offrent un rempart sans pareil si nous les remettions dans la place qu'ils méritent : celle du cœur.

L'Europe sera spirituelle ou ne sera pas.

Le Maroc saura rester spirituel ou ne sera plus.

Destin commun.

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