Arrêtons de nous juger avec le pouce de César

Le 12 février 2016 à 11h40

Modifié 10 avril 2021 à 4h41

Le Marocain schizophrène. Une expression douloureuse à entendre. Et pourtant, elle s’est banalisée et démocratisée, dans un pays en pleine mutation sociale.

J’ai longtemps combattu ces anaphores, souvent creuses, et malheureusement chargées de symbolique et donc d’un impact certain sur l’imaginaire et les consciences collectives. Sommes-nous schizophrènes? Absolument non. Revenons à la définition originelle et médicale du terme. La plupart des spécialistes associent souvent la schizophrénie aux hallucinations, autrement dit, les patients entendent des voix. Celles-ci peuvent être menaçantes ou amicales. Ces symptômes délirants créent une sorte de déséquilibre mental et comportemental. Cette définition, est me semble-t-il éloignée de la réalité que souhaitent traduire les défenseurs du "paradigme" de la schizophrénie sociale marocaine.

Ces derniers veulent certainement parler de comportements sociaux bipolaires. Mais encore une fois, la bipolarité n’est qu’un trouble de l’humeur, qui oscille entre symptômes maniaques puis dépressifs. Encore une fois, je ne vois pas de connexion apparente avec le comportement social du Marocain. Je sors de cette parenthèse scientifique et médicale, éloignées de mon expertise et de mon champ de compétences. Le Marocain ne souffre d’aucune pathologie maniaco-dépressive ou toute autre folie "psychotique". Le Marocain est le fruit d’une histoire complexe et vit aujourd’hui dans un monde où la conscience collective est en pleine mutation, comme partout ailleurs dans le monde.

La complexité de l'identité marocaine 

Le Marocain peut apparaître contradictoire et paradoxal dans sa vie quotidienne. Il peut être en décalage entre les principes qu’il érige et les actes qu’il produit. Il peut même vivre dans deux mondes parallèles, où ses systèmes de valeurs peuvent devenir interchangeables. Le Marocain peut être incohérent et illisible. Cela ne fait pas de lui un schizophrène. A mon sens, l’identité marocaine est le fruit d’une mixité historique, culturelle, anthropologique et tribale. Cette complexité identitaire, calquée sur un monde "accéléré", ouvert, instantané crée naturellement des déphasages et des nœuds dans les pensées et dans les actes.

L’être humain, n’est pas une machine binaire qui répond aux codes 0 ou 1. L’être humain et encore plus aujourd’hui, est une construction et un maillage de plusieurs identités. Et ces dernières ont chacune un rôle social. Elles sont réglables selon les contextes. Est-ce que la passion pour la musique, ferait de quelqu’un plus musicien que Marocain et ses prières le condamnent-elles à être plus musulman que dirigeant d’entreprise ? Et ses errements, ses maladresses ou ses péchés sont-ils imputables à son identité musulmane, à sa passion pour la musique ou du fait de son activité professionnelle ? Tandis que ses actes de générosités sont-ils essentiellement liés à sa foi religieuse ou plutôt à son amour pour autrui ? Il est très difficile de répondre à ces questions, si ce n’est pour répondre: chacun de ses actes est le fruit de cet ensemble, multqiple et complexe.

Cette modeste analyse psycho-sociale n’a d’autres buts que de poser la véritable question. Quelle est la valeur intrinsèque d’un Marocain ? Et je vous avouerai que je crains ma propre réponse. Utiliser le terme de schizophrène pour décrire un individu chargé d’une histoire, d’un vécu, d’une expérience collective et de ses vicissitudes, est pour moi un indice probant de la dévalorisation permanente du Marocain et de ce qu’il représente.

On rétorquera que ce terme est à prendre au second degré. Soit. Mais les mots, les phrases, répétées, relayées par la masse des opinions, prennent subrepticement un sens. Les mots sont forts. Ils impactent autant que les images. Il suffit simplement de les répéter et de les justifier par des analyses, partielles et partiales, de la réalité. J’y vois une forme exagérée de "guignolisation" de notre société. Et suivant cette logique, on arrive vite à ce que l’on appelle l’effet Pygmalion. Autrement dit, les présupposés des deux parties, l’une envers l’autre, forment une boucle de rétroaction, influençant entre elles les comportements et les jugements. A accuser les Marocains de schizophrènie, nous renforçons une vision binaire du monde. Nous appuyons et légitimons le dogmatisme prégnant de nos jours. Le monde devient le bien ou le mal. Et lorsque nous avons les pieds dans ces deux mondes, nous stimulons ce sentiment de culpabilisation, et de dévalorisation de soi. La caricature sociale, relayée en masse dans les médias, et les "salons", est, à mon sens, un des facteurs de déstructuration de l’imaginaire collectif marocain. Là où certaines sociétés construisent leur "civilisation" sur des mythes et des légendes glorifiantes, le Maroc se cantonne trop souvent à la schématisation des comportements individuels du Marocain, pour ensuite l’enfermer dans un carcan de préjugés avilissants. Pourtant, le Maroc dispose de tous les ingrédients, historiques, sociaux, tribaux et institutionnels, pour faire du Marocain un être "signifiant" et d’une grande valeur sur l’échelle des civilisations.

Un cadre social apaisé

Le citoyen marocain doit être libre dans ses contradictions. Le Marocain ne peut être linéaire. On ne peut en aucun cas, mettre sur le même pied de comparaison un système de valeur éthique et moral abstrait, porté par chaque individu, avec un comportement et des actes qui eux, ne peuvent être qu’erratiques et contextuels. Le Français républicain, attaché aux valeurs laïques et aux droits de l’homme, devient-il schizophrène, dès qu’il ose penser que les migrants ne sont pas les bienvenues dans son pays? Je ne le pense pas. Ses valeurs ne disparaissent pas automatiquement lorsque la crédulité et/ou la bêtise humaine apparaissent dans un contexte spécifique. Si Dieu nous a créés avec un "libre-arbitre", c’est bien pour nous apprendre à dénouer nos contradictions et à trancher nos nœuds gordiens avec le temps, l’expérience et selon les différents contextes, si peu maîtrisables et de plus en plus impénétrables.

Il est bien évidemment légitime de poser le débat sur une éventuelle crise identitaire marocaine. Mais pour penser cette crise, il est urgent de se libérer de cette vision occidentaliste binaire et clivante. Intéressons-nous à la philosophie orientalo-asiatique, qui ne reconnaît ni le "chaud" ni le "froid": les deux ne sont qu’un seul et même état physique, évolutif et adaptable. Le défi pour le Maroc est de se départir des oppositions faciles et souvent non justifiées intellectuellement  religion/modernité ; conservateurs/libéraux ; monarchie/démocratie, etc. Chacun de ces concepts n’est ni monolithique ni figé. Je suis effrayé lorsque des supposés "démocrates" marocains identifient les "barbus" comme leurs ennemis. Ces derniers sont de fait "déconsciencisés". Leurs faits, gestes et paroles seront toujours sous la coupe du soupçon. Le dialogue et le lien se rompent. Et de la même manière, je m’inquiète du conservatisme ambiant, "religieux" ou non, qui diabolise systématiquement tout citoyen marocain "supposé" égaré dans une culture franco-occidentale. Ce clivage destructeur est induit par la caricature et la simplification d’autrui.

Il est impératif d’offrir aux futures générations un cadre social apaisé. Nos enseignants doivent devenir de véritables "mythmakers". Il est de leur responsabilité de lutter contre toute forme d’auto-culpabilisation, contre la peur de soi-même et des autres. Le système éducatif doit lui-même se réformer et abandonner l’enseignement "sabré" de préjugés. L’éducation de nos enfants doit s’élargir aux mythes pluriels et profonds de notre histoire. Nos enfants doivent assumer leurs identités multiples, imparfaites, mais riches en expériences. Une nation ne peut être portée que par la force de l’esprit de ses populations. Les fractures idéologiques et les dogmatismes ne sont que ruine sociale.

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