Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

L’ANC, trente ans au pouvoir ça use ça use!

Le 7 juin 2024 à 11h41

Modifié 7 juin 2024 à 12h22

C’est une défaite historique pour un parti historique qui a joué un rôle crucial pour la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud. Lors des élections générales qui ont eu lieu fin mai dernier, l’ANC n’a obtenu que 40% des suffrages, perdant ainsi sa majorité à l’Assemblée nationale. Cet échec n’a pas été subi. Le parti de Nelson Mandela le traîne depuis bien longtemps en raison des politiques suivies, qui ont généré des luttes internes, de la corruption et un taux de chômage endémique.

Cette baisse drastique de popularité de l’ANC auprès des sud-africains s’annonçait déjà depuis le départ du président Mandela. Lors des élections de 2004 qui ont donné Tabo Mbeki comme président, l’ANC obtenait 70% des voix, pourcentage qui, depuis, déclina à chaque échéance électorale. En 2009, il descendra à 66% sous le président Zuma, puis 62% en 2014, pour finir à 57% en 2019 sous la présidence de Cyril Ramaphosa. Les élections de cette année qui ont donné 40% à l’ANC sont la confirmation de l’érosion politique de ce mouvement que les observateurs savaient inéluctable.

Les récents résultats électoraux démontrent que malgré ce camouflet électoral, l’ANC, en phase descendante, demeure toujours la première force du pays mais sans majorité à l’Assemblée Nationale qui lui permette d’imposer sa politique. Les luttes internes à ce parti, et le comportement de ses leaders ont fini par l’affaiblir structurellement et l’éloigner de ses bases populaires. Les jeunes sud-africains, qui ne voyaient pas leurs conditions s’améliorer, l’ont donc boudé pour voter pour les autres partis de l’opposition.

Par ce vote, la majorité des sud-africains ont traduit leur ras-le-bol de ce parti qui leur a promis des mirages et fait miroiter un avenir radieux. La jeunesse du pays est lassée des promesses non tenues de l’ANC qui ne se concrétisent jamais. Elle est fatiguée de la cupidité de ses dirigeants, impliqués dans les affaires de corruption et d’enrichissements illégaux. Les jeunes générations ont été déçues durant toutes ces dernières années par les affaires en série qui ont émaillé le règne absolu de l’ANC.

Ces luttes ont commencé d’abord avec Tabo Mbeki, 1999-2008, le président qui a eu le privilège de gouverner le pays après l’irremplaçable Nelson Mandela, icône de la libération nationale. Soucieux de faire mieux que son précédent, sa volonté était de réduire les inégalités héritées du régime de l’Apartheid. Durant son passage, il a tenté de donner de lui-même l’image d’un politicien pragmatique à l’intérieur du pays, et d’un justicier révolutionnaire épousant toutes les causes perdues à l’extérieur. Il a fini par produire l’image d’un technocrate distant et taciturne qui, inconsciemment, a préparé le lit à toutes les confrontations entre les clans qui allaient suivre.

 Incompétence et corruption

C’est Mbeki qui a initié, et mis en place, la politique de discrimination positive appelée affirmative actions, en faveur des noirs les plus démunis. Cette politique a mobilisé des fonds substantiels, mais n’a pas amélioré le quotidien de ses citoyens. Elle a permis tout simplement l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie noire, dont le seul but était de s’enrichir toujours davantage. Durant son premier mandat, sa politique économique était basée sur la dérégulation de l’économie. Il espérait que cette option néolibérale créerait des richesses au profit de tous.

Cette voie a inéluctablement mené vers l’enrichissement d’une minorité d’une part, et à l’aggravation de la pauvreté de l’autre. Au lieu de réduire les disparités entre la majorité noire et la minorité blanche, Mbeki n’a fait qu’accentuer les disparités sociales entre noirs et blancs d’une part, et de l’autre entre les noirs eux-mêmes. Dès sa réélection en avril 2004, et face aux défis internes insurmontables et aux luttes de clans, il se trouva un rôle de médiateur dans les crises africaines. Il tentera de régler, mais sans succès celles de la Côte d’Ivoire, de la RDC et de bien autres. C’est durant cette période qu’il prendra la fâcheuse décision de reconnaître la rasd, entité créée et soutenue par les militaires algériens. Mal sur le plan intérieur, il s’est réfugié dans les questions internationales pour se donner une aura loin des turbulences domestiques.

Pendant ce temps où son regard est ailleurs, son vice-président et bras droit Jacob Zuma est accaparé par les questions internes et terre-à-terre pour fructifier ses propres affaires et pour lesquelles il sera condamné plus tard par la justice de son pays. En 2005, Mbeki le chasse définitivement de la vice-présidence pour se libérer d’un boulet qui commence à être lourd à porter. Devenu encore plus riche et plus influent, Zuma prendra sa revanche lors d’un congrès de l’ANC aux allures d’un coup d’État, pour en devenir le chef incontesté. De guerre lasse, Mbeki qui voulait se présenter pour un troisième mandant en 2009 jette l’éponge face à Zuma.

De tous les présidents qui se sont succédés en Afrique du Sud, Jacob Zuma est sans doute la personnalité qui a fait couler le bateau ANC pour toutes les affaires qu’il traina devant la justice. Dès 2003 le procureur national affirme réaccueillir des éléments à charge contre lui pour corruption et abus de pouvoir. Sans doute les pressions politiques en ce temps-là, ont empêché d’engager des poursuites judiciaires pour causes d’insuffisance de preuve. Des proches de lui sont cependant condamnés pour avoir été compromis dans une filiale d’armement liée au groupe français Thales. La gravité des accusations poussera Mbeki à le faire démissionner en juin 2005.

En septembre 2006, un an avant qu’il prenne la présidence de l’ANC, la justice ordonne l’abandon des accusations de corruption contre Zuma à la faveur d’un vice de procédure. Une fois élu à la tête de l’ANC le voilà de nouveau menacé d’inculpation suite à la découverte de nouveaux éléments à charge démontrant que les sommes illégalement reçues étaient bien supérieures aux estimations initiales. De nouveau, Zuma est inculpé de corruption, fraude, blanchissement et évasion fiscale.

  Le clientélisme est devenu la règle

Au milieu de toutes ces affaires, au sens propre comme au sens figuré, Zuma arrive à se faire élire en 2007 à la tête de l’ANC. Son point de mire est désormais la présidence de la république et l’assassinat symbolique de Thabo Mbeki, l’ennemi à abattre pour assouvir enfin sa revanche. Cependant, quand il devient président en 2009, ses soucis avec la justice ne s’arrêteront pas là. Les luttes des clans feront rage et des séries d’autres scandales de corruption, ravivés par la presse et les opposants, font de nouveau surface. Pour noyer le tout, Zuma nommera ses amis à certains postes ministériels importants dont sa propre fille.

Sa mauvaise gestion, le népotisme, le chômage, l’insécurité et la corruption, font que le clientélisme est devenu la règle et non l’exception. Le système judiciaire, autrefois relativement épargné, est devenu de plus en plus manipulable sous Zuma pour se protéger et protéger les proches. En dépit de cette mainmise sur l’appareil judiciaire, d’autres révélations font jour sur la mauvaise gestion des entreprises étatiques par Zuma, et l’utilisation des fonds publics pour rénover une de ses résidences secondaires.

Devant la multiplication de ces actes, Zuma se voit enjoint, en février 2018, par l’ANC de démissionner de son poste par lequel il avait régné dix ans sur le pays, sous la menace d’être destitué en cas de refus. Summum de l’humiliation, le parti l’oblige à déclarer sa démission en direct de la présidence au moment même où une descente de police avait eu lieu sur une de ses résidences. Parallèlement, des investigations sont menées dans les bureaux de certains hommes d’affaires qui bénéficiaient des largesses de Zuma, et à qui il avait ouvert grand les portes d’affaires fructueuses.

L’arrivée de Cyril Ramaphosa en 2019 comme nouveau président n’arrangea en rien la situation du pays déjà bien gangrenée. Zuma a été certes remplacé, mais les habitudes prises au sein même de l’ANC, comme dans toute l’administration du pays, demeurent empreintes de népotisme et de corruption. Ramaphosa est un autodidacte mais il est, lui aussi, un homme d’affaires prospère qui est parti de rien pour devenir en un temps record richissime et prospère.

Ramaphosa avait su, pour sa part, tirer profit de l’instauration de la politique de discrimination positive en faveur des noirs. Il s’est lié à la bourgeoisie du pays en épousant la sœur du milliardaire sud-africain Patrice Motsepe. Quand il est devenu président du Fonds d’investissement Shanduka, il prend des participations dans diverses entreprises minières, ainsi que des parts dans plusieurs autres sociétés comme Coca-Cola et Mcdonald, devenant la 42e fortune d’Afrique selon Forbes.

De syndicaliste engagé au service du peuple, Ramaphosa est devenu un capitaliste pragmatique, ce qui arrangea certes ses affaires mais pas celles des populations. Mais la corruption continuait à corrompre non seulement le pays mais aussi le parti ANC. En février 2020 la presse du pays révèle qu’il aurait enlevé et interrogé des cambrioleurs qui ont découvert, dans une de ses propriétés des milliers d’euros. Une plainte est déposée à son encontre pour enlèvement et corruption à laquelle il n’échappa qu’en achetant le silence des victimes.

Ainsi, on ne devrait donc pas être étonné par les résultats obtenus lors des élections de mai dernier, 40% des suffrages, et pourquoi l’ANC est dans une position politiquement délicate aujourd’hui. Les 159 sièges obtenus sur les 400, au lieu des 230 après les élections de 2019, obligent les dirigeants de l’ANC à chercher à former une coalition avec les autres partis s’il veut se maintenir au pouvoir. C’est un exercice inédit dans l’histoire du pays qui met le parti de Nelson Mandela sur une corde raide parce qu’il n’a jamais partagé le pouvoir avec d’autres formations politiques.

Les options qui se présentent devant l’ANC ne sont pas nombreuses. Soit s’allier au parti Alliance Diplomatique libéral et pro-Blanc qui a obtenu 21,8%, ou alors trouver une entente avec la troisième force politique du pays le parti MK créé il y a juste quelques mois par Jacob Zuma et qui a obtenu 14,6%. Pour avoir une chance d’être dans la prochaine équipe, Zuma a déjà donné le ton en commençant par contester les résultats des élections, affirmant que le processus électoral avait été entaché d’irrégularités. De cette prochaine coalition sortira une nouvelle configuration qui sera déterminante pour réorienter la politique du pays aux niveaux intérieur et extérieur. Mais cet assemblage tiendra-t-il la route pendant tout le mandat qui durera cinq ans ?

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