Othmane Benmoussa

Enseignant-chercheur en Systems Thinking et directeur de l’Euromed Polytechnic School -Université Euromed de Fès

Déléguer plus efficacement : un cadre de travail à quatre approches

Le 11 mai 2024 à 10h44

Modifié 10 mai 2024 à 16h45

Le concept de délégation n’est pas toujours maîtrisé et utilisé convenablement par de nombreux dirigeants. Du manager surmené essayant d’atténuer l’épuisement professionnel au président tentant de prendre des vacances, de nombreux gestionnaires se doivent de déléguer davantage, mais évitent de le faire. Transférer des responsabilités à quelqu’un d’autre crée souvent des inquiétudes, des frictions et/ou des résultats insatisfaisants. Néanmoins, la délégation n’est pas facultative : les individus et les organisations ne peuvent se développer que si les gens apprennent à déléguer efficacement les tâches et la prise de décision, et ce, au niveau de tout type d’organisation.

Dans les organismes du secteur de la santé et dans les entreprises de l’industrie manufacturière et des services, la question de savoir quand et comment déléguer reste en général difficile. Pour résoudre ce problème, il est nécessaire de développer un cadre basé sur deux dynamiques fondamentales au cœur de toute délégation qui se veut efficace : les personnes et les processus.

La confiance dans les gens n’a rien de nouveau dans les discussions sur une délégation efficace ; cependant, la confiance dans les processus organisationnels demeure une considération toute aussi importante, mais sous-estimée.

Quelle que soit la fiabilité d’un employé, si le processus organisationnel sous-jacent au cœur de la délégation est incohérent ou sous-développé, la délégation a tendance à échouer. Il est donc nécessaire de considérer deux questions clés lorsque l’on envisage des scenarii de délégation : « Dans quelle mesure fait-on confiance aux gens ? » et « Dans quelle mesure a-t-on confiance dans le ou les processus impliqués ? ».

La confiance dans les personnes repose sur un historique répété d’atteinte d’objectifs, de normes comportementales partagées et de relations interpersonnelles cohérentes. Il s’agit d’une confiance dans les capacités et les compétences de l’individu dans divers domaines : XXX possède-t-il les compétences requises pour produire les résultats promis ? YYY traite-t-elle les membres de l’équipe avec respect ?

La confiance dans les processus, quant à elle, est basée sur le type de fonctionnement organisationnel et détermine si un processus produit des résultats cohérents, prévisibles et exploitables. Par exemple, un processus de R&D génère-t-il systématiquement de nouveaux produits commercialisables ? Un processus de prévision des ventes est-il précis dans son estimation de revenus ?

Au vu de nombreuses personnes bien intentionnées et dignes de confiance qui échouent à exécuter une tâche déléguée, il est essentiel de sonder le lien entre la confiance dans les gens et dans le(s) processus afin de déterminer la forme de délégation idoine qu’un dirigeant choisirait.

Cet article propose un cadre (figure 1) décrivant quatre façons permettant d’orienter les dirigeants dans la manière d’aborder la délégation de manière plus efficace et avec la certitude que leur choix correspond bien au niveau de confiance disponible, et ce, selon qu’il existe une confiance émergente ou établie dans les personnes et le processus organisationnel :

  • responsabiliser ;
  • engager ;
  • éduquer ;
  • concevoir.

  1. Engager : confiance émergente dans les processus et les personnes

Il s’agit d’une situation dans laquelle la confiance dans les gens et les processus ne fait que commencer et n’est pas encore établie. Dans ce cas, la délégation peut s’effondrer assez facilement si elle n’est pas gérée de manière appropriée.

Prenons un exemple typique d’une telle dynamique amenée à se produire au sein d’une équipe de direction fraîchement formée dans un organisme de santé. Le nouveau président réunit une équipe interdisciplinaire de dirigeants chevronnés possédant une connaissance approfondie de leurs domaines respectifs : un médecin-chef, un infirmier-chef, le directeur financier et celui en charge de l’exploitation. Bien qu’étant des leaders accomplis dans leurs champs spécifiques, cette équipe n’a jamais travaillé ensemble auparavant sous la direction de ce nouveau président. La confiance mutuelle naissante constitue un obstacle important à la délégation. La confiance dans les processus organisationnels est également assez faible, étant donné que la nouvelle équipe a été créée pour améliorer la qualité, la sécurité et l’efficacité au sein de l’organisme de santé. En d’autres termes, l’amélioration des processus se retrouve au cœur de leur nécessaire travail collectif. Même si le président essaie de déléguer la prise de décision, il a généralement du mal à comprendre quand il devrait s’éloigner et laisser son équipe prendre des décisions et quand il faudrait rester plus proche. L’équipe de direction chevronnée a, quant à elle, l’impression que le président regarde continuellement par-dessus ses épaules, remettant souvent en question son approche ; ce dernier craignant que d’importants systèmes et processus organisationnels ne s’effondrent.

Il s’agit ici d’une situation difficile en matière de délégation efficace et pourtant pas rare, en particulier lorsqu’une nouvelle équipe de direction est formée, qu’un nouveau leader est intégré à une équipe existante ou lorsque les structures et/ou les processus organisationnels sont provisoires ou nouvellement établis. Dans ces situations, toutes les personnes impliquées dans les activités de coordination ne sont pas sûres des processus sous-jacents et des capacités des personnes.

Même si la délégation peut être difficile dans un tel contexte, elle n’est pas impossible et nécessite un certain degré d’engagement de la part du dirigeant afin de gérer efficacement la délégation.

A quoi cela ressemble-t-il ? Il s’agit de trouver le bon équilibre entre permettre à l’employé d’apprendre et d’expérimenter tout en restant suffisamment proche pour aider et atténuer tout problème ou obstacle. Même s’il peut être tentant de laisser l’équipe « se débrouiller seule », une approche engagée offre une possibilité accrue en matière de collaboration pour la prise de décision. Cela permet non seulement au dirigeant de mieux comprendre les capacités de ses collaborateurs, mais apprend également à l’équipe à travailler efficacement ensemble afin de créer de nouveaux processus et corriger les défaillances existantes.

Cette approche prônant un engagement étroit est-elle permanente ? Absolument pas. Cependant, cela aide chaque partie à renforcer la confiance dans la collaboration et à mieux comprendre l’efficacité des nouveaux processus, construisant et renforçant la confiance dans les processus et les personnes.

  1. Eduquer : confiance établie dans le(s) processus et confiance émergente dans les personnes

La deuxième approche en matière de délégation prend place lorsqu’il existe un niveau élevé de confiance dans le ou les processus et seulement une confiance en devenir dans les personnes. C’est souvent la situation qui vient le plus souvent à l’esprit lorsque les dirigeants réfléchissent à des scenarii de délégation comme au moment où des individus sont promus à de nouveaux rôles ou quand une nouvelle recrue doit apprendre des processus qui sont nouveaux pour elle.

Prenons l’exemple d’un dirigeant d’une entreprise de fabrication d’organes d’avions, en croissance rapide qui cherche à former la prochaine génération de leaders en son sein. Il faut reconnaître que, même si l’organisation a fait ses preuves, sa croissance future et ses solides performances ne seraient possibles que si ses hauts potentiels, nouveaux managers, peuvent exécuter efficacement le travail qui leur est délégué. Les processus organisationnels sont bien établis et huilés, mais les managers sont nouveaux. Dans de telles circonstances, c’est comme donner à un conducteur novice les clés d’une voiture luxueuse et puissante.

Dans ce scénario, la délégation peut se résumer à prodiguer des conseils au nouveau responsable. Contrairement au scénario d’assistance décrit à la section précédente, l’objectif ici est que l’employé apprenne le processus dûment établi et renforce sa confiance en sa propre capacité à le mener à bien, renvoyant à la théorie de l’auto-efficacité du psychologue Albert Bandura. Au fil du temps, cela renforcera la confiance du manager dans la capacité de son collaborateur à y parvenir. Cette forme de délégation signifie que le supérieur hiérarchique reste suffisamment proche pour conseiller (et non aider, assister) l’employé tout au long du processus « d’acclimatation » et répondre à ses questions chaque fois que nécessaire. Cela aide le dirigeant à avoir l’assurance que l’employé réussira en fin de compte à prendre ses propres décisions. In fine, au fur et à mesure que les nouveaux responsables démontrent leur capacité à travailler selon des processus établis avec des résultats concluants, les supérieurs peuvent réduire leur « contrôle » et se sentir progressivement plus à l’aise en leur confiant des responsabilités supplémentaires.

  1. Concevoir : confiance établie dans les personnes et confiance émergente dans le(s) processus

Une autre alternative en matière de délégation se produit en présence d’une confiance établie dans les personnes et seulement une confiance naissante dans le(s) processus. Cette situation est courante dans les startups ou lors des réorganisations lorsque des processus nouveaux ou repensés sont mis en œuvre au sein d’équipes bien établies. C’est également usuel dans les grandes entreprises dont la culture de l’innovation repose sur l’amélioration continue des processus.

En guise d’exemple, ce scénario est vécu dans les startups quand le fondateur vient à se heurter à des obstacles ayant trait au processus de délégation. Même s’il existe une confiance bien établie entre le fondateur et le directeur commercial, il n’existe, au lancement de la startup, que peu ou pas d’infrastructure de prévision des ventes. Ainsi, lorsque le fondateur s’attend à ce que le directeur commercial exécute efficacement ses prévisions de ventes, ce dernier a l’impression que le fondateur le prépare à l’échec en remettant en question chaque décision et approche. Avec le recul, la dynamique n’est guère surprenante : si le fondateur a confiance dans les capacités du directeur commercial, tous les deux manquent de confiance dans ce processus organisationnel en devenir qu’est la prévision des ventes. Le fait d’identifier et de souligner un tel point peut aider les deux dirigeants à comprendre l’origine des frictions dans leur relation. Il ne s’agit pas d’un manque de confiance dans les compétences du directeur commercial, ni d’un fondateur essayant de micro-gérer. Le problème est lié à la nature peu fiable du processus en place. Dans une telle optique, le fondateur et le directeur commercial se doivent de travailler ensemble pour concevoir et adopter un processus efficace de prévision des ventes. Par la suite, dès lors que le processus commence à produire des résultats probants, un niveau plus élevé de confiance se met en place et le directeur commercial se sent plus en mesure de gérer avec succès les décisions et résultats associés.

Dans de tels cas, l’accent doit être mis sur l’ingénierie, la conception même du processus, plutôt que sur une forme de délégation via un engagement étroit du dirigeant ou la formation des collaborateurs, et ce, afin que les employés de confiance puissent réussir malgré un processus initialement encore imparfait. L’objectif est que le manager accompagne le salarié dans l’adaptation du processus en vue d’un meilleur fonctionnement. Cela peut signifier que le responsable devienne une sorte de caisse de résonance pour les approches proposées par l’employé ou qu’il soit obligé de s’investir et de se renseigner en détail, auprès des collaborateurs de premier rang, sur les défauts du processus. Le dirigeant sera amené à intervenir pour prendre une décision finale et communiquer la mise en œuvre du nouveau processus afin de garantir une diffusion large et réussie au sein de son organisation.

En somme, se concentrer sur l’ingénierie autour d’un processus sous-développé est très différent par rapport au fait de former un nouveau manager sur un processus établi. Lorsque la confiance dans l’individu est incontestable, mais un manque de confiance dans un processus nouveau ou défectueux est ressenti, une communication ouverte et des étapes clairement identifiées de redéfinition du processus deviennent essentielles pour une délégation efficace.

  1. Responsabiliser : confiance établie dans le(s) processus et dans les personnes

Achevons notre analyse par le scénario qui offre les conditions idéales pour une délégation efficace : lorsque la confiance dans les personnes et dans le(s) processus est bien établie.

Il s’agit de la situation « naturelle » qui vient à l’esprit lorsque l’on pense à la délégation, soit un supérieur ayant un subordonné direct de longue date sur lequel il compte.

Dans ce cas, l’« empowerment » (autonomisation) prend place. L’entière responsabilité est confiée à une personne qui possède les compétences nécessaires pour gérer un processus établi. L’individu est habilité à prendre toutes les décisions et tous les ajustements nécessaires, sans craindre que la hiérarchie remette en question ou renverse son approche. Cela reflète une approche idéale de la délégation sans intervention que de nombreux dirigeants peuvent envisager.

Néanmoins, la délégation par le biais de l’autonomisation ne se fait pas du jour au lendemain et nécessite souvent une relation de travail mûre, basée sur un historique de réussite liant le délégant et le délégataire qui comprennent mutuellement les attentes et styles de travail de chacun d’entre eux. De plus, les deux parties non seulement font confiance au processus organisationnel, mais connaissent parfaitement ses petites imperfections dans la mesure où ils ont éventuellement travaillé ensemble pour adapter ledit processus au fil du temps, après avoir vécu des situations de délégation antérieures caractéristiques de l’approche « redéfinition, ajustement, re-conception » traitée à la section précédente.

Cela rappelle une situation au sein d’une banque où un président nouvellement nommé était chargé de consolider les processus et les équipes de la direction générale déléguée en charge des finances, risques et ressources. Après un an dans son rôle, il gérait avec succès les questions stratégiques, ayant permis au directeur général délégué de piloter les processus quotidiens qu’ils avaient conçus ensemble pour soutenir la croissance de l’institution financière. Ceci est exactement ce que permet l’autonomisation qui consiste en ce que les dirigeants puissent se concentrer sur une stratégie de niveau supérieur lorsqu’ils ont réussi à établir la confiance dans les personnes et les processus.

Cependant, cette approche en matière de délégation revêt un élément culturel en ce sens qu’elle implique que, lorsqu’une décision échoue, l’employé doit se sentir à l’aise d’assumer la responsabilité du problème engendré et d’en informer clairement son supérieur hiérarchique.

La pleine responsabilité ne doit pas être une raison pour pointer du doigt, mais plutôt une opportunité de réflexion collective.

Par exemple, le manager permet au cadre intermédiaire de gérer l’unité dont il est en charge de manière non interventionniste, mais, quand il est clair que l’on ne parvient pas à atteindre les résultats escomptés, le responsable assume la responsabilité de cet échec et travaille avec le manager pour comprendre précisément ce qui n’a pas fonctionné.

En effet, l’autonomisation sans responsabilité risque de nuire à la fois à la relation et à l’efficacité continue de ce scénario de délégation.

En conclusion, une délégation réussie nécessite un examen attentif des divers cas rencontrés de la part des dirigeants. Ce n’est pas comme développer un style de communication et s’y tenir.

Le choix d’un leader en matière de style de délégation variera en fonction du niveau de confiance envers la personne et envers le ou les processus en question. La délégation ne consiste pas seulement à laisser les gens prendre les décisions. Les personnes les plus compétentes échoueront si les processus sont défectueux et même les meilleurs processus peuvent être compromis par quelqu’un qui est mal préparé, n’ayant pas les ressorts et connaissances pour réussir.

Les conversations autour de la confiance dans le(s) processus ou dans les capacités d’une personne peuvent certes être difficiles à engager pour les dirigeants, mais demeurent essentielles afin de garantir que la délégation recherchée puisse mener au succès individuel et organisationnel.

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