Le PJD et la réforme de la Moudawana : double discours ou ajustement stratégique ?
Dans le débat sur le projet de réforme de la Moudawana, la position du PJD n'est pas claire ou du moins, pas suffisamment clarifiée. Le Parti de la justice et du développement (PJD) semble osciller entre réactivité politique et mobilisation de sa base conservatrice. Entre critiques internes, contradictions et revendications sociales, les propositions de révision du Code de la famille mettent en lumière les tensions idéologiques et stratégiques au sein du parti. Et ce que des commentateurs appellent son double langage.

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Sara Ibriz
Le 19 janvier 2025 à 14h59
Modifié 19 janvier 2025 à 14h59Dans le débat sur le projet de réforme de la Moudawana, la position du PJD n'est pas claire ou du moins, pas suffisamment clarifiée. Le Parti de la justice et du développement (PJD) semble osciller entre réactivité politique et mobilisation de sa base conservatrice. Entre critiques internes, contradictions et revendications sociales, les propositions de révision du Code de la famille mettent en lumière les tensions idéologiques et stratégiques au sein du parti. Et ce que des commentateurs appellent son double langage.
Face aux propositions de réforme du Code de la famille (Moudawana), le Parti de la justice et du développement (PJD) a une position difficile à décrypter. Après avoir adopté une posture (pas une position) positive, le parti à référentiel islamique a rapidement changé de ton, adoptant une attitude critique et multipliant les sorties médiatiques. Ce revirement soulève une question : le PJD cède-t-il à la pression de sa base conservatrice ? Ou voit-il dans ce sujet très polémique, une occasion politique pour reconquérir du terrain?
Un premier communiqué de pure forme
Le 24 décembre 2024, lorsque les grandes lignes de la réforme ont été dévoilées, le PJD a publié un premier communiqué qualifié de “vide” par de nombreux observateurs. Ce communiqué, intitulé "Le secrétariat général du PJD exprime sa position sur les propositions de révision du Code de la famille", appelait le gouvernement à la prudence et à l’intégrité dans l’élaboration du projet de loi, tout en exprimant "satisfaction" et "fierté" quant au respect des constantes religieuses et constitutionnelles du pays. Le communiqué n'apportait pas de position concernant les différents points de la proposition de réforme, tels qu'ils ont été rendus publics par le gouvernement.
Cette réaction a été perçue comme une absence de prise de position.
Repositionnement ou rétro-pédalage ?
Sous pression, notamment de la part de ses partisans sur les réseaux sociaux, le PJD a changé de cap. Des critiques exprimées par des individus ont émergé, et le parti a consolidé ses observations sous forme de communiqués, de vidéos explicatives et de mémoires. Parmi les figures les plus visibles, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, a pris la parole à plusieurs reprises.
Abdelilah Benkirane a notamment rappelé que "la charia n’est pas figée" et qu'elle peut évoluer si des conditions spécifiques sont réunies. Ce plaidoyer en faveur de l’adaptabilité de la charia entre toutefois en contradiction avec certaines positions récentes du parti.
C'est là que la position du parti a commencé à prendre forme. En réalité, et contrairement à ce que pouvait laisser penser le premier communiqué de pure forme, le parti rejette différents principes de l'avant-projet de réforme, dont certains ont été acceptés par le Conseil supérieur des oulémas.
Certaines propositions validées par ce conseil et largement soutenues par la société, sont ainsi rejetées par le PJD. Parmi elles :
- la tutelle commune entre parents pendant le mariage et après le divorce ;
- la reconnaissance du travail domestique des femmes dans le calcul du patrimoine conjugal ;
- la possibilité pour le conjoint survivant de continuer à vivre dans l’habitation familiale après le décès de l’autre.
Selon Abdelilah Benkirane, la tutelle légale est "mal comprise" puisqu’elle est "déjà commune", car les décisions concernant les enfants se prennent en concertation entre les époux. Cependant, il s’oppose à une formalisation légale de cette tutelle commune, arguant qu’une seule personne doit trancher en cas de conflit, et que cette responsabilité revient au père.
De même, sur la question de la polygamie, le PJD considère que la législation actuelle, qui exige l’accord de la première épouse, est suffisante. Il refuse toute mesure additionnelle, comme une déclaration explicite de l’épouse au moment du mariage, au motif qu’elle serait gênante pour les deux parties et pourrait compromettre l’harmonie conjugale.
Un rejet sélectif des revendications de la société civile
Le PJD adopte un discours paradoxal sur le libre choix. Par exemple, Abdelilah Benkirane soutient que les époux peuvent librement gérer leurs revenus (lorsque tous deux ont un travail rémunéré), mais refuse qu’ils aient la même liberté pour interdire la polygamie lors de la conclusion du contrat de mariage.
Sur la question de l’héritage, le parti s’oppose à l’idée de permettre au conjoint survivant de rester dans le domicile familial, jugeant que cela pourrait léser les autres héritiers. Abdelilah Benkirane propose de prélever une somme de l’héritage pour permettre au conjoint survivant d’acquérir un logement, une solution qui, ironie de la chose, modifierait aussi la répartition des parts successorales.
Le PJD semble vouloir répondre aux revendications sociales d'équité entre les sexes, tout en évitant de heurter sa base conservatrice. Ce double langage pourrait être une tentative de concilier ces deux impératifs, mais il expose également le parti à des contradictions idéologiques et pratiques.
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