Métaux stratégiques. Quelles sont les richesses minérales du mont Tropic ?

Doté de réserves en tellure et en cobalt, le mont Tropic recèle un potentiel énorme pour soutenir l’émergence industrielle du Maroc et son objectif de neutralité carbone. Cependant, l'exploitation de ce gisement sous-marin fait l'objet de négociations diplomatiques complexes entre le Maroc et l'Espagne, sans visibilité pour le moment.

Métaux stratégiques. Quelles sont les richesses minérales du mont Tropic ?

Le 8 juin 2024 à 12h36

Modifié 9 juin 2024 à 16h53

Doté de réserves en tellure et en cobalt, le mont Tropic recèle un potentiel énorme pour soutenir l’émergence industrielle du Maroc et son objectif de neutralité carbone. Cependant, l'exploitation de ce gisement sous-marin fait l'objet de négociations diplomatiques complexes entre le Maroc et l'Espagne, sans visibilité pour le moment.

Avec la demande croissante en minerais, les réserves de minerais stratégiques terrestres se réduisent d’un jour à l’autre. La hausse de la consommation va plus vite que les découvertes. Cette situation entraîne une concentration de pouvoir entre les mains des pays qui détiennent les plus grandes réserves, leur permettant d'exercer une influence importante sur le marché, y compris la suspension de l'approvisionnement et la spéculation des prix.

Face à un tel constat, de nombreux pays comme les États-Unis, qui ambitionnent de consolider leur domination mondiale, voient dans l'exploitation des réserves minières sous-marines une opportunité prometteuse de renforcer leur puissance économique et technologique. Selon le Wall Street Journal, le Congrès américain s'apprête à débloquer d'urgence des fonds pour lancer ce nouveau type d’industrie minière.

Pour des fins stratégiques, énergétiques et industrielles, le Maroc a besoin de renforcer son indépendance minière en intensifiant l'exploration et la valorisation de ses ressources minérales. C'est l'objet de la principale recommandation du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui a précédemment demandé au gouvernement de revoir la stratégie nationale minière à la lumière de ces enjeux.

En sa qualité consultative, le CESE a fortement recommandé au gouvernement d'explorer le volcan sous-marin Tropic, situé au large de la ville de Dakhla, en tant que gisement potentiel de minéraux critiques dont l'approvisionnement futur pourrait s'avérer déterminant. Cependant, les négociations en cours entre le Maroc et l'Espagne sur la délimitation de l'espace maritime ne permettent pas, à l'heure actuelle, d'envisager une quelconque exploration de lune ou l’autre partie.

Aluminium Lithium Terres rares Phosphates
Borates Magnésium Tungstène Cuivre
Chrome (Ferro-Chromium) Molybdène Barytes Nickel
Etain Niobium (Ferro-Niobium) Cobalt Potasse
Germanium Sélénium Fluorine Soufre
Graphite Silicium Manganèse Titane

 

Liste des minerais stratégiques et critiques établis par le CESE (en rouge, les minerais pouvant être extraits du mont Tropic)

Ce qui se trouve autour du mont Tropic

Au cœur d'une zone s'étendant entre les côtes marocaines et le sud des îles Canaries, le mont Tropic se distingue par ses trésors miniers abondants en raison de sa minéralisation polymétallique riche en métaux stratégiques tels que le cobalt, tellures, terres rares... Contrairement aux idées dominantes, une dizaine de monts sous-marins, situés autour du mont Tropic, abritent également d'importants gisements minéraux. Par rapport à ces paléovolcans, le mont Tropic est le seul situé dans la zone du plateau continental marocain, tandis que les autres monts se trouvent dans la zone économique exclusive des îles Canaries.

L'expédition scientifique Challenger (1872-1876) fut la première à explorer la zone sud des îles Canaries et à collecter des échantillons de couleur foncée et de forme arrondie, interprétés comme des nodules de manganèse, retrouvés dans les zones sud-ouest des îles Canaries (zones où se situent ces paléo-volcans sous-marins).

Dans nos temps modernes, les données disponibles indiquent que l'expédition Meteor M43, datant de la fin des années 1998, fut parmi les premières à avoir mis en évidence la présence d'une croûte manganésienne au mont Tropic. En 2011, l'expédition espagnole à bord du navire scientifique "MIGUEL OLIVER" a révélé la présence d'une minéralisation importante dans les anciens volcans sous-marins situés au large du Sahara marocain et au sud des îles Canaries, y compris celui du mont Tropic.

Plus tard, l’expédition britannique James Cook, en 2016, connaissant déjà les potentialités du mont Tropic, avait un autre but : effectuer une prospection plus poussée à l’aide d’un drone sous-marin tout en testant des solutions permettant de réduire les impacts environnementaux d’une activité.

Autosub 6000, sous marins de l'expédition.

Le mont Tropic, point pivot

Situé à 240 miles nautiques des environs de Dakhla et 258 miles nautiques de l’ile El Hierro, le mont Tropic est le gisement le plus prisé par les deux parties pour plusieurs raisons dont la richesse, la diversité de minerais, la proximité de la surface…

Sur le plan morphologique, le mont Tropic est d’une altitude de 3.200 mètres par rapport au fond marin et se trouve à environ 970 mètres au dessous de la surface de l’eau : sa superficie est de 944 km². Il se distingue par sa structure guyot qui correspond à un mont volcanique à structure sommitale plane (couleur rouge dans la photo ci-dessous) d’une superficie d’au moins 120 km², connus aussi sous le nom de Banc.

Morphologie du mont Tropic d'après le levé bathymétrique. (Crédit : MINDeSea)

Le potentiel minier de ce mont est formé par des minéralisations de type nodules et croûtes ferromagnésiennes. Ils se sont formés aux alentours d’un volcan datant de 120 millions d’années, par précipitation directe d’éléments de sources diverses (courants d’eau froide, volcans, sables désertiques, nutriments…) formant des concentrations très élevées de métaux par rapport à la terre (en moyenne 10 cm/1000 ans). On y distingue :

(1) Les nodules polymétalliques : reconnus pour leur richesse en manganèse, cobalt, molybdène, titane, lithium et en éléments de terres rares ;

(2) Les croûtes ferromagnésiennes : plus diversifiées et réputées pour contenir principalement du cuivre, du cobalt, du vanadium, du niobium, des platinoïdes et des éléments de terres rares.

Substrat à nodules polymétalliques du mont Tropic. (Crédit: MINDeSea)
Substrat à croûte ferromagnésienne du mont Tropic. (Crédit : MINDeSea)

D'après des analyses géochimiques d'échantillons réalisées par une équipe scientifique (Marino et al., 2023), la composition de ces minéralisations est dominée par le fer (27 %) et le manganèse (19 %). Concernant les métaux stratégiques, les analyses de ces croûtes ont révélé en moyenne la présence de 5,6 kg/t de cobalt, 2,9 kg/t de nickel, 1,5 kg/t de plomb, 1,1 kg/t de vanadium, 3.308 ppm de terres rares et 12,06 ppm d'uranium.

Pour les tellures, l'expédition britannique James Cook estime la présence de 2.670 tonnes de ce minerai stratégique, essentiel pour l'industrie des alliages et la fabrication de panneaux solaires. Ces concentrations mises en évidence sont nettement supérieures à celles rencontrés sur la terre ferme et qui dépassent rarement les dizaines, voire parfois quelques centaines de grammes par tonnes, ce qui confère à ce gisement un intérêt économique considérable.

Échantillon de nodules polymétalliques ferromagnésiens avec encroûtement de cobalt (couleur sombre) (Kfouri et al., 2021).

En principe, 100 % des métaux présents dans les nodules polymétalliques peuvent être utilisés. Cependant, pour des raisons économiques, seuls 3 à 4 d'entre eux peuvent être extraits. Malgré ce nombre limité, l'exploitation des nodules polymétalliques présente un avantage considérable : elle permet d'extraire plusieurs métaux à partir d'une seule source, ce qui exigerait, sur terre, l'ouverture d'au moins trois mines distinctes.

À l'échelle mondiale, l'exploitation commerciale de ce type de gisement n'a pas encore eu lieu, mais les travaux d'exploration et de test d'équipements sont très avancés. Certaines zones ont toutefois bien avancé leur projet de développement minier et prévoient de démarrer l'exploitation dans les prochaines années, comme c'est le cas pour les gisements de Clarion-Clipperton et de Cook Island situés dans l'océan Pacifique.

Pour des fins de comparaison, nous avons choisi le gisement des îles Cook dans l’océan Pacifique qui présente des caractéristiques similaires à celui du mont Tropic, notamment en termes de composition des nodules métalliques. Par contre, le gisement est bien plus petit que dans le cas du mont Tropic. En cours de développement minier, les études préliminaires du gisement de Cook prévoient une exploitation sur vingt ans, qui pourrait générer un bénéfice de 160 millions de dollars par an en cas d'exploitation de quatre métaux (cobalt, manganèse, nickel et cuivre) et de 81 millions de dollars en cas de traitement de trois métaux et des terres rares (plus l'yttrium).

 

La comparaison géochimique des nodules polymétalliques du mont Tropic révèle une teneur et une valeur en minerais plus élevée que celle des nodules des îles Cook. Cependant, l'estimation des ressources, bien que coûteuse, demeure un élément crucial pour déterminer les réserves disponibles et potentiellement améliorer considérablement la rentabilité du projet Tropic. A priori, il devrait dépasser un seuil de 5 kg de nodules par mètre carré afin d'être économiquement exploitable.

Tableau comparatif entre la valeur des principaux minerais du mont Tropic et des îles Cook (Océan pacifique).

Les défis environnementaux

L'exploitation minière sous-marine, bien que lucrative sur le papier, s'accompagne de coûts considérables et de graves préoccupations environnementales. La restauration des dommages environnementaux causés par ces activités, en l'absence de solutions technologiques révolutionnaires, est estimée à un coût exorbitant.

Il est sage de souligner que les monts sous-marins constituent un habitat essentiel pour une faune et une flore d'une diversité remarquable, allant du microscopique au macroscopique, dont les plus importants sont les coraux, habitat écologique d’un ensemble d’organismes situés à la base de la chaîne alimentaire.

Le problème réside non seulement dans l'environnement, mais aussi dans les sédiments nodulaires à exploiter, qui abritent des organismes marins. Leur récupération systématique risque de détruire tout un système écologique. Ces écosystèmes fragiles entretiennent des liens étroits avec les courants d'upwelling, ces remontées d'eaux profondes riches en nutriments qui nourrissent la richesse halieutique des côtes, s'étendant au Maroc de Safi jusqu'à Lagouira. Par conséquent, toute atteinte à la diversité faunique risque d'entraîner des conséquences néfastes, notamment sur la richesse halieutique des zones marocaines.

Schéma de circuit de production minière sous-marine. (source : Planet Tracker)

Les risques environnementaux associés à l'exploitation minière sous-marine découlent principalement de la destruction écologique et de la dispersion extensive des panaches de bruit et de sédiments générés pendant le processus. Un ensemble de projets européens réunissant plusieurs pays s’attaque au défi de l'exploration et de l'exploitation durables des grands fonds marins. Parmi les projets concrets figure le prototype "Appollo 2", testé avec succès au large de Malaga. Ce véhicule sous-marin innovant utilise un système d'aspiration par pression d'eau pour collecter les minerais marins, ce qui permet de minimiser le prélèvement de sédiments et la perte d'eau.

Les enjeux géopolitiques

Le Maroc estime être le pays le plus concerné par le mont Tropic en raison de sa proximité avec son littoral. Cette proximité géographique lui confère un droit naturel sur la zone. De plus, le Maroc dispose d'un plateau continental qui s'étend jusqu'au mont Tropic, renforçant ainsi sa revendication légale. De son côté, l'Espagne considère que les îles Canaries, situées non loin du mont Tropic, constituent un cas particulier d'extension du plateau continental et estime avoir le droit de revendiquer le mont Tropic.

Ces réquisitions contradictoires sur le mont Tropic illustrent la complexité de ce dossier lié aux frontières maritimes. Malgré cette complexité, le Maroc privilégie des solutions amiables avec son voisin espagnol, avec lequel les relations et partenariat se sont nettement améliorés les dernières années. Cette approche est conforme aux articles 74 et 83 de la Convention de Montego Bay sur la délimitation de la zone économique exclusive et le plateau continental entre États dont les côtes sont adjacentes, qui privilégie l'entente entre les nations plutôt que le strict recours aux règles de subdivision et ou l'arbitrage des Nations Unies.

À ce jour, la diplomatie n'a pas permis de parvenir à une solution acceptable pour les deux parties. En cas d'impasse persistante, les Nations Unies pourraient être amenées à se saisir du dossier et à statuer sur l'appartenance de ces zones. Cela n'empêche pas qu'un point d'interrogation subsiste : l'Espagne, possédant déjà plusieurs gisements sous-marins aux ressources minières similaires à celles du mont Tropic, pourrait-elle renoncer à ce gisement ? D'autant plus que la plupart de ses subdivisions établies ne tiennent pas compte du droit de plateau continental étendu du Maroc et que ce dernier est le plus proche de ce volcan sous-marin.

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