Reportage : dans les coulisses de la tomate exportée

C’est dans la commune rurale de Sidi Bibi, dans la province de Chtouka-Aït Baha, qu’Ahmed Afkir, premier vice-président de la Chambre d’agriculture Souss-Massa et directeur de la pépinière Sirwa, nous a accueillis pour une visite guidée qui nous permet de découvrir les différents maillons de la chaîne de valeur de production de la tomate.

Reportage : dans les coulisses de la tomate exportée

Le 22 mai 2024 à 17h14

Modifié 22 mai 2024 à 21h12

C’est dans la commune rurale de Sidi Bibi, dans la province de Chtouka-Aït Baha, qu’Ahmed Afkir, premier vice-président de la Chambre d’agriculture Souss-Massa et directeur de la pépinière Sirwa, nous a accueillis pour une visite guidée qui nous permet de découvrir les différents maillons de la chaîne de valeur de production de la tomate.

"Un bon départ commence dans la pépinière". Un slogan qu’Ahmed Afkir a choisi pour sa pépinière et qu’il arbore fièrement dans une brochure commerciale imprimée.

La pépinière Sirwa s’étend sur quatre sites. Lors de notre visite, deux de ces sites étaient placés en quarantaine. “Une mesure sanitaire préventive pour éviter toute possibilité de contamination entre les différentes générations de plants”, nous explique-t-on.

C’est dans le complexe Sirwa 3 que débute notre visite. SAS à air, décontamination, port de la blouse et des toques obligatoires : ici, rien n’est laissé au hasard. Et pour cause, tout agent pathogène, bactérie ou virus peut avoir des effets néfastes sur la production.

Un grand couloir nous conduit vers le premier maillon de la chaîne de production : la salle de remplissage.

À l’origine, la semence

Dans cette unité, on remplit les alvéoles avec de la tourbe importée des pays baltes, Lituanie et Estonie principalement, en raison de sa neutralité et de sa texture. “Cette tourbe ne contient pas d’engrais, elle est tout à fait naturelle et permet en plus aux racines de se développer plus facilement car elle n’est pas compacte”, précise Ahmed Afkir. Ce remplissage est effectué automatiquement à l’aide d’une machine adaptée à cette fonction.

A leur sortie de la première unité, les alvéoles sont acheminées vers la salle de semis. Cette étape, réalisée semi-automatiquement, permet de placer les graines dans la tourbe. La ligne de semis est contrôlée par des agents qui s’assurent que les graines sont bien recouvertes et placées au centre des alvéoles.

Une fois cette étape terminée, les plateaux sont acheminés vers la chambre de germination. À l’intérieur de cette grande salle, la chaleur et l’humidité sont soigneusement contrôlées : 25°C et 100% d’humidité. Ce sont les conditions optimales pour la germination de la semence, mais aussi au développement des bactéries et autres champignons. La vigilance, à ce stade, est particulièrement élevée.

Au bout de 72 heures, des pousses apparaissent. Il est temps pour elles d’entrer dans la phase d’élevage. Disposées à l’intérieur de grandes serres, elles y resteront pour une durée de 17 à 20 jours avant d’entamer la phase délicate du greffage.

Les avantages du greffage

Cette étape consiste à greffer la variété de tomate sur une tige dont les racines vigoureuses et résistantes permettent une meilleure alimentation de la plante et une plus grande productivité à l’âge adulte.

“Un plant franc planté dans un sol usé peut produire 50 à 60 tonnes par hectare. En revanche, un plant greffé peut donner 140 à 200 tonnes. Car les sols qui ont déjà servi à d’autres cultures peuvent être porteurs de plusieurs maladies comme le fusarium et le verticillium. Les porte-greffe que nous utilisons sont résistants à ces maladies”, explique Ahmed Afkir. La plante et le porte-greffe sont coupés en biseau et raccordés à l’aide d’une pince en plastique.

Les plantes ainsi greffées sont ensuite acheminées vers la salle de greffage. Pendant 7 jours, dans des conditions de chaleur (25°C) et d’humidité (80%), les échanges de sèves entre la plante et le porte-greffe permettront de souder la plante. Le tout sous le contrôle pointilleux des agents : numéro du lot, numéro de l’agent ayant réalisé la greffe, etc. Une traçabilité qui permettra d’identifier l’origine de n’importe quelle anomalie constatée.

Cette étape est très sensible dans la vie des plants de tomate. “Elles sont en réanimation, c’est pour cela que nous ne pouvons les observer qu’à travers cette bâche en plastique”, décrit Ahmed Afkir. Une métaphore qui traduit toute l’affection qu’il porte à ses plants. D’ailleurs, il le dit lui même lorsqu’il nous fait visiter la dernière zone de la pépinière, le quai d’expédition : “C’est ici que nous disons au revoir à nos plantes, en leur souhaitant bonne chance dans leur nouvelle vie, comme nous le ferions avec nos propres enfants”.

A la sortie de la pépinière, la tomate est étêtée et laisse apparaître deux bourgeons. Elle est à ce moment-là prête à être plantée chez l’agriculteur. Pour la tomate-cerise, destinée principalement à l’export, les agriculteurs préfèrent majoritairement la culture hors sol.

Ce mode de production offre plusieurs avantages. En effet, il permet un meilleur contrôle du circuit en ce qui concerne le rationnement en eau ou en apports organiques. Dans la ferme de Sirwa, la tomate est plantée dans la fibre de coco. Un substrat qui permet une diffusion lente des engrais et une meilleure rétention d’eau. D’ailleurs, les rangées de tomates sont séparées par des sillons qui permettent de limiter les déperditions en retenant l’eau échappée des bacs en plastique.

La menace des aléas climatiques

Les deux bourgeons, qui donneront des bras à l’âge adulte, pourront porter près d’une cinquantaine de bouquets de tomates-cerises, totalisant, sur un hectare, jusqu’à 190 tonnes de fruits.

Toutefois, pour atteindre ce niveau de rendement, plusieurs conditions doivent être remplies, et certaines dépendent d’aléas qui laissent peu d’alternatives ou de marge de manœuvre aux exploitants agricoles, et ce malgré la vigilance des services laboratoires.

L’un des principaux problèmes auxquels doivent faire face les agriculteurs du Souss est la hausse des températures. “L’été dernier, la région a atteint des records de chaleur, jusqu’à 52°C en dehors de la serre et jusqu’à 57° à l’intérieur”, souligne Ahmed Afkir.

Une situation qui soulève le problème du contrôle des températures à l’intérieur des espaces de culture. “Actuellement au Maroc, nous ne disposons pas de serres climatisées comme il en existe en Europe. La fabrication de serres pareilles est extrêmement coûteuse, elle peut atteindre le milliard de centimes par hectare. Un coût que les agriculteurs marocains ne peuvent supporter”, indique notre source.

L’autre problème majeur pour cette région qui produit 90% de la tomate destinée à l’export est celui de la faible pluviométrie. “Sur les cinq ou six dernières années, on a eu un niveau de précipitations très faible. Le barrage Youssef Ibn Tachfin, qui est le seul qui alimente cette zone, n’a plus de réserves d’eau depuis deux ans. Heureusement qu’il y a la station de dessalement d’eau de mer qui permet d’irriguer quelque 12.000 hectares actuellement, et passera à une capacité de 15.000 hectares en 2025. Cependant, tous ces efforts restent insuffisants au regard des besoins”, souligne le professionnel.

Une menace nommée ToBRFV

En ce qui concerne la filière de la tomate, Ahmed Afkir attire l’attention sur l’urgence d’adopter un système de veille sanitaire contre les nouveau virus, notamment le virus du fruit rugueux de la tomate (ToBRFV).

Ce virus, apparu pour la première fois en Israël en 2014 et introduit au Maroc il y a deux ans par l’intermédiaire de semences contaminées, produit des ravages dans les exploitations de la région. “Certains ont perdu jusqu’à 40% de leur culture à cause de ce virus”, nous apprend Ahmed Afkir.

Le danger de ToBRFV réside dans le fait qu’il se trouve dans la graine importée et qu’il n’a pas besoin de vecteur particulier pour sa propagation. Il se propage par tous les moyens. “Un ouvrier qui est en contact avec une plante ou une graine contaminée peut transporter le virus vers les autres plants”.

Le système de veille mis en place par les autorités sanitaires reste lacunaire. “Actuellement, les autorités contrôlent les semences par méthode d’échantillonnage. Mais une graine non contrôlée peut aisément passer la barrière et contaminer l’ensemble du lot”, relève Ahmed Afkir.

Des études sont actuellement en cours pour développer des variétés hautement résistantes au ToBRFV. Pour l’heure, la prévention, à travers l’adoption de mesures sanitaires strictes, reste le meilleur moyen pour maintenir la pression du virus à des taux peu élevés. Un protocole qui a permis à la pépinière Sirwa d’obtenir le certificat GSPP relatif aux bonnes pratiques appliquées aux semences et aux plants.

Une main-d’œuvre hautement qualifiée

En tout cas, la région Souss-Massa peut compter sur le savoir-faire local et les compétences des ingénieurs agricoles dont elle dispose. Même les ouvriers et ouvrières, notamment dans la pépinière Sirwa que nous avons visitée, connaissent sur le bout des doigts les spécificités et les tâches rattachées à chaque maillon de la chaîne de production. Un maître-mot : la polyvalence.

En plus des profils qualifiés, les procédés adoptés n’ont rien à envier aux grands pays agricoles européens.

Une anecdote qu’Ahmed Afkir nous raconte avec beaucoup de fierté et d’amusement. "Il y a quelques années, nous avons été approchés par une ambassade européenne qui nous a proposé une formation aux bonnes pratiques agricoles. L’ambassade a donc envoyé un expert, et nous nous sommes chargés de ses frais de séjour. Au premier jour de notre rencontre, nous lui avons fait visiter les sites de production. Vient ensuite le moment où il devait commencer la formation. Je me souviens, il était derrière son ordinateur, muet, à regarder l’écran. Après quelques minutes, et pensant qu’il avait des soucis techniques avec sa machine, je me suis levé pour lui proposer de l’aide. À ce moment-là, il s’est retourné, m’a regardé, et m’a dit : “Tout ce que j’ai ici, vous le savez. Je ne sais pas ce que je peux vous apprendre de plus”. Nous avons ri, l’avons remercié pour sa sincérité et invité à profiter des jours restants de son séjour à Agadir”.

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