Kissinger et la Marche verte : comment le diplomate américain avait sous-estimé le Maroc

POINT D'HISTOIRE. Après le décès du diplomate américain, l’ex-ambassadeur Ahmed Faouzi et un historien reviennent pour Médias24 sur l'épisode de la Marche verte, en 1975, au cours duquel Henry Kissinger était intervenu. Si cette personnalité a permis d’éviter une confrontation entre le Maroc et l’Espagne, nos interlocuteurs considèrent que le secrétaire d’État a sous-estimé la capacité du défunt roi Hassan II à récupérer les territoires du Sud sans un seul coup de feu.

Kissinger et la Marche verte : comment le diplomate américain avait sous-estimé le Maroc

Le 30 novembre 2023 à 16h17

Modifié 1 décembre 2023 à 17h35

POINT D'HISTOIRE. Après le décès du diplomate américain, l’ex-ambassadeur Ahmed Faouzi et un historien reviennent pour Médias24 sur l'épisode de la Marche verte, en 1975, au cours duquel Henry Kissinger était intervenu. Si cette personnalité a permis d’éviter une confrontation entre le Maroc et l’Espagne, nos interlocuteurs considèrent que le secrétaire d’État a sous-estimé la capacité du défunt roi Hassan II à récupérer les territoires du Sud sans un seul coup de feu.

Sollicités par Médias24 pour revenir sur le rôle joué par Henry Kissinger dans la crise suscitée par la volonté du Maroc de récupérer son Sahara, le diplomate Ahmed Faouzi ainsi qu’un grand historien, qui témoigne anonymement, confirment que l’ancien diplomate américain a permis d’éviter une confrontation armée directe avec l’Espagne du général Franco, alors mourant.

 Deux adeptes de la realpolitik

Le qualifiant de véritable pièce maîtresse ayant joué un rôle prépondérant dans ce conflit, l’ancien ambassadeur du Maroc Ahmed Faouzi affirme que "l’ancien secrétaire d’Etat du président Gérald Ford partageait avec le défunt roi Hassan II les bienfaits de la realpolitik, des compromis réfléchis et des politiques pragmatiques pour résoudre les grandes crises internationales".

Ainsi, quand il est informé par son homologue espagnol, Pedro Cortina, d’une éventuelle attaque marocaine au Sahara, le chef de la diplomatie américaine lui fait savoir que "son département a exhorté le Roi du Maroc à ne rien faire d’imprudent et à négocier", avant de lui demander d’en faire de même avec le défunt monarque, selon des documents confidentiels déclassifiés du Département d’État.

Datant d’octobre 1975, soit un mois avant la Marche verte, ce message permet d’en savoir plus sur les tractations tendues de l’époque. Il montre que Washington voulait que le Maroc et l’Espagne, ses deux alliés dans la région, aillent vers une solution pacifique et évitent la confrontation armée.

Le double jeu de l’Espagne

"Madrid, qui prétendait que le Sahara était terra nullius au moment de sa colonisation, a été contredit par le jugement de la Cour internationale de justice (CIJ). Voyant l’affaire lui échapper, l’Espagne a trouvé dans l’Algérie de Boumédiène l’allié objectif pour favoriser la création d’une entité fantoche qui servirait ses intérêts après son départ", résume Ahmed Faouzi, citant un autre document déclassifié adressé à Henry Kissinger par Pedro Cortina.

Dans cette correspondance, le ministre espagnol avait répondu favorablement à Kissinger, lui indiquant qu’il acceptait sa médiation, mais en y ajoutant une condition : maintenir l’option référendaire pour empêcher toute réunification de ce territoire avec la mère patrie. Cette option ne signifiait aucunement l’indépendance, mais une des options pour lui donner, soi-disant, une certaine crédibilité, ajoutait-il.

Au final, Ahmed Faouzi affirme que la diplomatie espagnole, qui reprochait dans plusieurs correspondances les ventes d’armes américaines au Maroc, s’était totalement trompée.

"Hassan II avait effectivement un autre plan plus pacifique que la confrontation armée avec notre voisin du Nord. Une idée qui sied à l’histoire millénaire du Royaume : une Marche verte de 350.000 hommes et femmes pour demander à l’Espagne de nous rétrocéder notre terre. L’organisation de cette grande marche a été tenue dans le secret le plus absolu. Les Américains, dont tout laisse penser qu’ils en ignoraient les préparatifs, comme les Espagnols du reste, ont été pris au dépourvu", conclut Ahmed Faouzi. Selon lui, Kissinger a peut-être, sans le vouloir, rendu service au Maroc en mettant les Espagnols sur une mauvaise piste, qui n’était pas celle que comptait emprunter feu Hassan II.

Kissinger veut dissuader Hassan II en lui prédisant un échec militaire

En s'appuyant également sur des documents déclassifiés du Département d’État américain (1974-1976), notre seconde source, éminent historien, affirme que la concrétisation de la Marche verte, malgré les appels pressants de Kissinger à l’annuler, a démontré la prééminence des vues diplomatiques du défunt Roi Hassan II sur le scénario catastrophe annoncé par le diplomate américain.

Le secrétaire d’Etat n’a pas hésité, dans un câble envoyé par l’intermédiaire de son ambassadeur à Rabat, à mettre fermement en garde, le 4 octobre 1975, feu Hassan II avec les propos suivants :

"Votre Majesté […], des rapports me signalent que le gouvernement du Maroc envisage une action militaire imminente au Sahara espagnol. J’espère que ces rapports sont infondés, mais s’ils sont le reflet de la réalité, je voudrais vous conseiller fermement de ne rien entreprendre de tel".

"La vision du monarque a triomphé sur le pessimisme américain"

"Nous estimons en effet que toute opération militaire de ce type tournera au sévère désavantage du Maroc, tant militaire que politique", soutient Kissinger, qui ira beaucoup plus loin le même jour à Washington en déclarant à son homologue espagnol : "Je pense qu’il [le roi] risque de recevoir une vraie raclée".

Une mise en garde qui n’impressionnera ni n’empêchera feu Hassan II de confirmer le 16 octobre, juste après la publication de l’avis de la Cour internationale de justice, le lancement de la Marche verte. Cet évènement historique majeur permettra de récupérer des territoires marocains colonisés depuis 1860 par l’Espagne.

"Trois semaines plus tard, soit le 6 novembre 1975, une marée humaine de 350.000 Marocains traverse la frontière sans aucune réaction des militaires espagnols", conclut l’historien. Ce jour qui appartient à l’histoire a montré que le monarque avait vu juste, là où le diplomate prévoyait un affrontement sanglant entre les deux royaumes voisins, rappelle-t-il au passage...

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