Au-delà des bilans sanglants et des opérations militaires, au-delà des atrocités quotidiennes, les tragiques événements sur la scène palestinienne aggravent, en toile de fond, la fracture entre les deux rives de la Méditerranée, avec d'un côté l'Occident et de l'autre, un bloc que l'on peut qualifier d'oriental ou d'arabo-musulman et tous ceux, de plus en plus nombreux, qui se reconnaissent dans le combat palestinien. On pourrait même parler d'une dimension Nord-Sud.

Depuis quelques années, le sentiment d'injustice, voire d'humiliation, grandit au sein des populations solidaires de la cause palestinienne.

L'arrogance des pays occidentaux, leur condescendance, renforcent ce sentiment. Tout y passe, à commencer par la dette coloniale, la dette climatique, ainsi que les risques à venir dans un monde qui n'a jamais été aussi incertain.

Ce sentiment d'humiliation, cette soif de justice et ce ressentiment vont peser à l'avenir dans des relations Nord-Sud, Orient-Occident, qui risquent de devenir encore plus conflictuelles.

Ces thèmes sont soulevés ci-après, au cours d'un échange avec Driss Khrouz.

Médias24 : Ce qu'il se passe actuellement à Gaza aura-t-il un effet sur notre relation à l’Occident ?

Driss Khrouz : Ces tristes événements dévoilent en effet l'ambiguïté et l'hypocrisie des pays occidentaux à l'égard de la cause palestinienne.

A force de vouloir ménager Israël, ils ont fini par devenir totalement aveugles en oubliant toute notion de justice et de légalité internationale dont ils se prévalent depuis toujours.

L’Occident oublie également que la situation dramatique actuelle n'est pas née le 7 octobre dernier et qu'elle découle en réalité d’une histoire et d'une longue série d'actes israéliens tout aussi condamnables que ceux qui sont imputés au Hamas.

Le gouvernement extrémiste religieux en Israël est en train de transformer le conflit en choc des religions.Des pays occidentaux comme les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et d’autres ont en effet un double discours.

Sous prétexte de vouloir protéger Israël, créé par les Européens après la Seconde Guerre mondiale pour les raisons que l’on sait et qui est considéré de facto comme un pays occidental, on oublie que des pays comme la France, notamment avec les présidents de Gaulle et Chirac ont eu dans le passé des positions très courageuses en faveur d’un État palestinien.

Des médias et des hommes politiquent occidentaux traitent le Hamas de mouvement terroriste. Ils oublient cependant qu'il existe en Israël un gouvernement extrémiste religieux qui a transformé le conflit en choc des religions.

Ainsi lorsqu’Israël s’est retiré de Gaza en 2005, les idéologues du Likoud et les ultras religieux ont tout fait pour renforcer le Hamas et l’encourager à prendre le pouvoir pour casser le Fatah de Yasser Arafat.

Les gouvernants israéliens ont fait des Palestiniens des otages du Hamas

Ce cynisme des gouvernants israéliens de droite et d’extrême droite a fait des Palestiniens des otages du Hamas et des habitants de Gaza des extrémistes, alors qu’ils ne le sont pas.

Avec la complicité passive de l’Occident, Israël a poussé le Hamas à marginaliser délibérément l’Autorité palestinienne pour enterrer définitivement la solution des deux Etats voisins.

En fait, le Hamas a été instrumentalisé pour tuer son adversaire politique qui était majoritaire en Cisjordanie et à Gaza et ainsi permettre de couper en deux les territoires palestiniens et d'éparpiller le peuple palestinien.

S’il est vrai que l’Iran et d’autres bailleurs de fonds voisins en ont profité pour aller dans le sens des guerres de religion, la stratégie israélienne contre l’unité palestinienne, qui a rendu inopérante la solution à deux Etats, a été encouragée par les pays occidentaux qui ont préféré regarder ailleurs.

En effet, Israël a multiplié les colonies en Cisjordanie et massé près de 500.000 militaires israéliens qui ont encerclé la bande de Gaza avec des technologies de pointe fournies par les Etats-Unis et un énorme soutien financier de la diaspora, en considérant que tous ses habitants étaient des extrémistes, ce qui est totalement faux.

En encourageant l’expansion socio-politique du Hamas dans la bande de Gaza, Israël a délivré aux Palestiniens le message suivant: "Si vous voulez vraiment avoir votre propre Etat, ce sera nécessairement un Etat extrémiste et radical manipulé par le Hezbollah et l’Iran" pour qu’au final, personne n’ait intérêt à vouloir d’un Etat palestinien.

La complicité de la communauté internationale est d'un cynisme ignoble

- La complicité des pays occidentaux est donc une donnée du problème actuel ?

- Evidemment, et elle est d’un cynisme ignoble car tout le monde a fermé les yeux, plus particulièrement les puissances qui soutiennent directement Israël.

Aujourd'hui, on oublie fort opportunément que cette situation dramatique est malheureusement l’aboutissement d’un processus israélien délibéré contre lequel personne n'a jamais osé intervenir.

Le résultat, c’est que la myopie des puissances occidentales a discrédité ce que l’on appelle l’ordre international et tous les prétendus discours sur la justice et la démocratie internationale.

Aujourd’hui, toutes les pendules doivent être remontées à l’heure d’il y a 50 ans, pour que ceux qui dénoncent les attaques du 7 octobre puissent par souci d'honnêteté intellectuelle en faire de même avec les extrémistes israéliens qui ont pu coloniser et assassiner en toute impunité des civils palestiniens depuis plus d'un demi-siècle.

Pour l'heure, plus personne ne peut parler au nom du peuple palestinien, qui a été non seulement totalement éclaté par Israël mais aussi par sa création, à savoir le Hamas, qui n’a jamais voulu d’une Palestine ou d’un Etat démocratique.

La poursuite des massacres de civils palestiniens pourrait déboucher sur une implosion de toute la région

Sachant que le peuple palestinien n’a plus de porte-parole, il n’y a aucune possibilité de faire deux Etats voisins démocratique dans un contexte où les Palestiniens sont incapables de s’unir avec un Hamas qui représente la négation du Fatah et qui ne peut être une autorité de substitution que les gouvernements extrémistes israéliens voulaient créer.

Toutes ces manipulations israéliennes qui ont une grande part de responsabilité dans la situation actuelle n’impacteront pas uniquement Israël, la bande de Gaza et la Cisjordanie, mais aussi la Jordanie et l’Egypte qui a un point frontalier avec Gaza. Elles généreront aussi une instrumentalisation croissante de pays islamiques non arabes comme l’Iran et la Turquie, qui se font les porte-drapeaux de la question palestinienne.

Avec ses deux soutiens extrémistes d’obédience chiite et Frères musulmans, il y aura inévitablement un débordement et ce conflit régional au départ va se transformer en une cause islamiste mondiale avec une implosion de tout le Moyen-Orient et des conséquences énormes sur d’autres pays de la planète qui risquent d’être déstabilisés.

- La porte est donc ouverte à de nouveaux attentats en Occident ou dans le reste du monde ?

- Ce qui m’inquiète le plus est ce qui se passe actuellement dans la bande de Gaza, mais la contagion qui a lieu actuellement en Cisjordanie risque de toucher prochainement le Liban, et tout le monde sait que si ce pays qui a une frontière directe avec Israël est touché, la Syrie et la Jordanie le seront inévitablement.

- C’est-à-dire ?

- Que le Hezbollah, soutenu par l’Iran, prendra part directement au conflit et entraînera par conséquent le chaos dans toute la région comme cela avait été le cas lors de la guerre civile du Liban.

Les forces démocratiques de la planète ont pris conscience de l'injustice de l'ordre international actuel entre les mains de quelques pays occidentaux

- Les massacres de l'armée israélienne sont-ils en train de changer la perception que se fait l’Orient de l’Occident?

- Pas simplement de l’Orient, car même à l’intérieur de pays occidentaux comme les Etats-Unis, la France et l’Allemagne, de très nombreux démocrates, dont des milliers de juifs, se sont mobilisés contre l’ordre international actuel qui est entre les mains d’un certain nombre de pays occidentaux qui décrètent ce qu’ils veulent.

Cela a conduit de nombreuses personnes à se rendre compte que cette situation ne pouvait plus durer.

Ce n’est pas simplement deux poids deux mesures, mais plutôt une volonté de ses soutiens de faire d’Israël le fer de lance d’un certain monde occidental en Orient pour que le peuple palestinien explose.

Aujourd'hui, au-delà du clivage croissant Orient-Occident, les répercussions des attaques cruelles israéliennes contre des civils innocents occupent l'esprit de toutes les forces démocratiques de l'humanité avec comme conséquences des manifestations dans le monde entier.

Pas seulement dans les pays arabes ou musulmans, mais chez toutes les consciences démocratiques du monde qui constatent que dès qu’une puissance devient omnipuissante, elle devient inévitablement une source d’abus et d’injustice.

Il est donc temps qu’il y ait au moins trois ou quatre puissances dans le monde pour que les injustices ne débordent pas dans la région et que la lutte politique remplace l’arbitraire des uns et des autres.

Contrairement au passé, les donneurs de leçon occidentaux ne peuvent plus cacher à l’opinion mondiale les atrocités qui ont lieu à Gaza

- Pourquoi cette perception aurait davantage changé aujourd’hui alors qu’il y a eu dans un passé récent plusieurs intifada très durement réprimées en Cisjordanie et des attaques brutales d’Israël contre la bande de Gaza ?

- Cela s’explique par plusieurs éléments, et d’abord par les moyens de communication devenus massifs et immédiats, comme internet, beaucoup plus puissant que par le passé.

En outre, face à l’actualité récente de l’Ukraine, où le discours mondial prétendait qu’aucun Etat souverain ne devrait être agressé, la force des images de massacres dans les hôpitaux palestiniens a montré la gravité du parti pris des pays occidentaux.

Partant de cette réalité filmée en direct, il devient impossible de cacher à l’opinion mondiale les atrocités commises à Gaza sous prétexte de détruire le Hamas comme le récent ciblage d'une ambulance.

Comment peut-on croire que dans une prison à ciel ouvert comme la bande de Gaza où 2,4 millions d’habitants vivent de l’aide mondiale et ne bénéficient d’aucun service basique, cette situation puisse durer éternellement.

A moins d'être aveugle ou de mauvaise foi, elle est vouée à exploser car le désespoir accumulé depuis des décennies ne peut créer que de la haine et de la violence.

Confronté aux images quotidiennes des massacres de civils qui n'ont pas où se réfugier, l’Occident, qui aime donner des leçons en termes de démocratie et d’égalité, a été pris en flagrant délit de mensonges et de double discours.

- Et de parti pris ?

- Cela dépasse le parti pris ; c’est de l’injustice.

Le soutien israélien sans faille de l'Occident s'explique par ses intérêts énergétiques

Prendre parti, c’est dire qu’Israël a raison de se défendre mais aujourd'hui nous sommes dans une situation où les soutiens occidentaux d'Israël sont en train d'encourager le drame actuel en laissant Netanyahou et les extrémistes faire ce qu’ils veulent en les armant et en les finançant.

Idem pour les médias occidentaux qui ne sont pas simplement pro-israéliens mais clairement anti-palestiniens.

- Comment expliquer cet alignement sur Israël ? Est-ce par culpabilité par rapport à ce qu’il s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale ?

- Il y a en effet une part de culpabilité mais cela n’explique pas tout ; les Etats-Unis et l’Angleterre n’ont en effet aucune raison de se sentir coupables, comme ça a pu être le cas des Français de Vichy où des Allemands.

Cet alignement sur Israël s’explique davantage par la méfiance des pays capitalistes occidentaux à l’égard du Moyen-Orient. Il y a aussi le fait qu’ils ont besoin d’une base militaire et technologique sur place pour sauvegarder leurs intérêts pétroliers et garder un œil sur la sécurité d'une région, mise à mal par des organisations terroristes, créées ou tout du moins encouragées par eux, comme l'Etat islamique de Ben Laden qui a fait ses premières armes contre la Russie en Afghanistan.

De plus, la proximité de l’Iran, de la Turquie, le passage de la mer Caspienne et de la mer Noire vers la Russie, ont poussé les Etats-Unis, et leurs alliés de l’OTAN, à faire d’Israël une zone tampon et une base arrière pour surveiller leurs intérêts.

En se limitant uniquement à leurs intérêts immédiats, on se rend compte que les stratèges américains ne connaissent pas le monde. A ce propos, le redessinement qui s’opère actuellement montre bien les nombreux échecs américains au Pakistan, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye, en Turquie, en Iran, en Russie, en Chine, en Afrique, en Amérique latine, avec les BRICS...

Voir le monde à travers des intérêts à court terme est contraire à toute stratégie digne de ce nom, qui consiste à gérer les rapports de force en fonction des projections vers l’avenir alors que les Américains persistent à s’enfermer dans l’immédiateté.

Partant de ce constat, l’image de bloc démocratique que l’Occident a construite depuis 50 ans ne peut que s’effondrer.

La reconfiguration du monde profitera d'abord à la Chine

- Peut-on parler d’une fracture irrémédiable entre le Nord et le Sud ?

- Je ne pense pas, mais nous allons assister à une reconfiguration mondiale qui profitera à des pays comme la Chine

Une puissance économique et financière qui essaie d’élargir le spectre sans s’appuyer sur un ou deux pôles et en faire des vecteurs de domination du monde.

Sa principale force est de travailler ses multiples réseaux sans exclure personne et d'ailleurs on le voit bien avec la Route de la soie, avec les relations croissantes avec l’Asie du Sud et de l’Est, avec le Pacifique, avec les BRICS...

D'autre part, contrairement au passé, ce pays ne vise plus l’impérialisme politique, mais plutôt à jouer un rôle de superpuissance prête à partager le pouvoir avec d’autres pays du monde.

Pour y arriver, elle se positionne économiquement et commercialement, mais aussi stratégiquement en prenant des positions politiques qui apparaissent du coup beaucoup plus modérées et équilibrées que celles des Etats-Unis.

Je ne sais pas si elle y parviendra, mais devant ses succès croissants notamment en Afrique, c’est un dur coup porté au système unipolaire des Américains, d’autant que la Russie n’a plus la possibilité de jouer dans la cour des grands.

La vengeance cruelle d'Israël contre des civils palestiniens est en train d'alimenter une haine contre elle et ses soutiens occidentaux

- La haine contre l’Occident que l’on voit s’exprimer en Europe va-t-elle s’accroître ?

- Absolument et pour une raison très simple : les cycles de vengeance du Hamas et d’Israël sont en train d’échapper à tout le monde et ne peuvent plus être cantonnées à cette région.

Il y aura inévitablement d'énormes répercussions sur Israël et sur l’Iran qui vise une suprématie régionale, sur la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Egypte, l’Irak, la Syrie...

Cette lame de fond va aller très loin, et logiquement commencer en Israël et en Palestine par une implosion politique.

- Le retour aux négociations est-il encore possible alors que même les Israéliens modérés ont basculé dans une dynamique de vengeance ?

- Ce choc émotionnel prendra un certain temps à se résorber, mais il n’y a pas d’autre solution que la paix car la vengeance ne peut engendrer que des violences supplémentaires.

L'interdiction des manifestations pro-palestiniennes en Europe peut créer des débordements violents

- Le fait d’interdire les manifestations pro-palestiniennes en Europe ne risque-t-il pas de déboucher sur des actes de haine voire de terrorisme ?

- Je ne vois aucune raison objective permettant d’interdire les manifestations pro-palestiniennes ou pro-israéliennes.

- C’est pourtant ce qui se passe en France ?

- Toute manifestation peut déborder, comme cela a été le cas pour celles des gilets jaunes ou des opposants à la réforme des retraites, mais on ne peut pas interdire ce genre de manifestations dans une démocratie où le droit à manifester est consacré par la constitution.

Si les Etats craignent de ne pas être capables de maîtriser les manifestations, ils peuvent autoriser des manifestations partielles ou limitées dans le temps, mais ils ne peuvent pas interdire à certaines personnes données d’exprimer leurs opinions et dans le même temps autoriser celles qui sont pro-israéliennes.

Contrairement à ce que certains prétendent pour les interdire, manifester pour la paix et contre la politique de Netanyahou n'est pas un acte antisémite, et si certains manifestants violent la loi avec des insultes raciales ou des slogans punis par le code pénal, ils devront en payer les conséquences.

- Cette politique peut provoquer des débordements voire des attentats ?

- C’est possible car lorsque l’on interdit aux gens de s’exprimer pacifiquement, certains pourront chercher d’autres moyens d'expression plus radicaux, voire violents.

On doit donc les laisser exprimer librement leur opinion dans la rue, ou alors si on ne les autorise pas à le faire, on doit interdire aussi bien les manifestations pro-palestiniennes que celles pro-israéliennes.

- Peut-on imaginer qu’une partie de la communauté musulmane en Europe et aux Etats-Unis se retourne contre leur pays d’accueil.

- Je ne pense pas, car la majorité des immigrés de confession musulmane sont en majorité des démocrates. Je leur fais confiance pour dire stop au carnage actuel sans débordements violents.

- Vous ne croyez donc pas à la radicalisation d’une minorité ?

- Il y aura certainement des dérapages mais je ne pense pas que cela deviendra la règle.

- En dehors du monde arabo-musulman, peu de pays occidentaux se prononcent clairement en faveur de la création d’un État palestinien...

- C’est une grave erreur car la politique, c’est l’art du compromis et parce qu'il n'y a aucune autre solution.

Quoiqu'en pensent certains extrémistes israéliens, il est impossible d’envoyer des millions de Palestiniens qui tiennent à leurs terres vers des pays voisins comme l'Égypte ou la Jordanie.

Il est donc nécessaire de revenir aux frontières de 1967 dans le cadre de la résolution 242 du Conseil de sécurité de l'ONU sans quoi ce conflit ne prendra jamais fin et pourra s'étendre au reste du monde.

- Vous croyez vraiment que l’Occident va imposer à Israël de revenir aux frontières de 1967 alors qu’elle s’est accaparée tout le territoire palestinien, y compris Jérusalem-Est ?

- Les grandes puissances occidentales ainsi que la Russie et la Chine, qui ont toujours été hypocrites sur la question palestinienne, n’ont d’autre choix que de revenir à l’idée de deux Etats en mettant d’abord fin à la colonisation israélienne.

Pour cela, il faudra nécessairement mettre en œuvre des moyens de pression contre Israël en lui supprimant les milliards de dollars d'aides annuelles et les armes issues des puissances occidentales.

Malgré le contexte actuel, quand on voit les énormes manifestations contre la politique israélienne qui ont eu lieu aux Etats-Unis, souvent organisées par des Américains de confession juive, tout n'est pas perdu.

Israël a fait en sorte de ne plus avoir d'interlocuteur politique chez les palestiniens démocrates

- Avec qui négocier alors que Mahmoud Abbas et son gouvernement n’ont plus aucune légitimité au sein de la population palestinienne ? A qui pensez-vous, Marwan Barghouti, emprisonné en Israël ?

- Par exemple, mais contrairement à ce que certains pensent, il y en a beaucoup d’autres. D'ailleurs, je connais personnellement un certain nombre de responsables palestiniens tout à fait capables de négocier une paix durable.

- Mais ils sont invisibles voire inexistants ?

- Car ils ont été discrédités par Israël et pris pour cible par le Hamas. On les a réduits à de la figuration et à un pouvoir qui vit de l’assistanat.

- Leur degré de corruption n’arrange rien ?

- C’est vrai.

Mais au sein de l’Autorité palestinienne, il y a des musulmans, des chrétiens, des socialistes, des capitalistes, des communistes qui ont été délibérément laminés par Israël, qui n’a jamais voulu d’un Etat démocratique.

En réalité, ce n’est pas parce que l’on a massacré, au sens propre et figuré, de très bons leaders qu’ils n’existent pas et pour s’en convaincre, il n’y a qu’à écouter des gens comme Leila Chahid ou Majed Bamya.

En rejettant l'idée de deux Etats, Israël, le Hamas et l'Iran ont rendu insoluble l’équation palestinienne.

Le calcul de l’un pour détruire Israël et le calcul de l’autre pour détruire la Palestine se sont malheureusement rejoints, en faisant des Palestiniens démocrates les principales victimes.

Mais selon moi, il y aura des forces dans tous les pays qui vont se soulever contre cette injustice, car toute la rhétorique habituelle d’Israël prétendant qu’Israël serait un état démocratique est en train de voler en éclat.

La solution de deux Etats est la seule alternative pour régler ce conflit qui dure depuis 75 ans

- Dans le cycle actuel de vengeance, la solution des deux Etats aura-t-elle lieu de notre vivant ?

- Peut-être pas, mais pour que l’Etat palestinien existe, il faut faire en sorte que les lois internationales soient respectées avec des pressions des Américains, des Russes et des Chinois, qui se taisent depuis des décennies.

Pour cela, il faudra revenir à la légalité en se basant sur le fait qu’il y a des lois internationales auxquelles tout le monde doit se soumettre et que les pays qui ne le feront pas devront être mis hors-jeu.

Pour que cette solution devienne viable, les forces démocratiques de la région devront nécessairement être renforcées et soutenues par la communauté internationale, à commencer par le Liban.

La communauté internationale doit en effet œuvrer pour mettre en place non pas la démocratie, mais au moins l’ordre qui fait défaut à cette région.

Pour cela, il faudra aider les Palestiniens à s’unir en délogeant dans un premier temps les nombreux colons, et en leur donnant des moyens financiers qui leur permettront de développer leurs ressources.

La politique doit prendre le dessus et s’il le faut, il faudra aussi mettre en place des forces d’interposition militaires internationales entre les belligérants pour que la Palestine morcelée puisse enfin constituer une entité.

Rien ne pourra évoluer dans le bon sens si l’on ne pose pas les fondations d’un État palestinien.

- Connaissant le parti pris assumé par une grande partie de la classe politique en Europe et aux Etats-Unis, comment pouvez-vous espérer un tel basculement pro-palestinien ?

- Parce que je reste persuadé qu'il existe beaucoup de gens modérés.

Dans la majorité des pays du monde, la pression populaire peut créer une conscience mondiale, et si cela ne se produit pas, nous allons vers une déflagration planétaire voire une guerre mondiale larvée.

En effet, si la dynamique guerrière actuelle continue, il y aura une guerre entre le Liban et Israël puis entre l'Iran et Israël avec un effet domino où tous les pays arabes prendront parti pour les pays musulmans.

Nous n’avons pas le choix ; sans quoi on se dirigera vers une déflagration mondiale, avec une catastrophe qui ne profitera à personne ; avec des attentats et la multiplication de régimes autoritaires partout dans le monde.

- En étant optimiste, à quel horizon pourrait avoir lieu la solution à deux Etats ?

- En commençant de suite et en arrêtant l'offensive israélienne actuelle, ce processus devrait prendra entre dix à vingt ans.

En aidant l’Autorité palestinienne, en lui donnant les moyens d’exercer le pouvoir et de jouer le rôle de seul partenaire politique d’Israël, cela contribuera à relancer le processus de paix.

A contrario, si on laisse la situation actuelle pourrir, les extrémistes israéliens et palestiniens se renforceront et l’on se retrouvera avec un mouvement bien pire contrôlé directement par l’Iran ou le Hezbollah, voire par des trafiquants de drogue et d’armes.

- Au final, Israël ne risque pas de tuer la cause palestinienne ?

- Pas du tout, car malgré ses efforts depuis 1948, il y a un effet boomerang qui est en train de lui revenir au visage, et si ses dirigeants politiques ne prennent pas les bonnes décisions aujourd'hui, je suis persuadé qu’il y aura une implosion d’Israël.

- ...qui risque de contaminer le monde entier ?

- Absolument.

Les événements tragiques de Gaza sont en train de créer un monde multipolaire

- Se dirige-t-on vers un énorme fossé et un monde Orient contre Occident ?

- Plutôt un monde multipolaire avec des pôles moins puissants mais plus éclatés et surtout avec une démondialisation politique et économique où les Etats-nations reviendront en force avec des régimes autoritaires.

Sachant que les Etats-Unis, la Russie et la Chine ont été incapables de jouer les arbitres, on se dirige actuellement vers une période de repli total car en réalité la globalisation politique et la mondialisation économique ont toujours eu besoin d’un arbitre international qui n’existe plus aujourd’hui.

Quoi qu'il advienne à l'avenir, je reste cependant optimiste et persuadé que les forces démocratiques finiront par avoir le dernier mot car elles ont pris conscience du fait que les événements tragiques du 7 octobre et les massacres israéliens des civils palestiniens qui ont suivi et qui continuent pourront à terme impacter très négativement toute l’humanité.