Sociétés cotées : comment se prépare la parité dans les organes d’administration

En début d’année prochaine, les organes d’administration et de contrôle des sociétés qui font appel public à l’épargne devront comprendre 30% de femmes. Cet objectif est-il réalisable dans les temps ? Comment se préparent les entreprises concernées ? Réponses de la présidente de CFA Maroc, Amina Figuigui, et de l’avocat d’affaires, Me Omar Zizi.

Sociétés cotées : comment se prépare la parité dans les organes d’administration

Le 20 octobre 2023 à 11h42

Modifié 20 octobre 2023 à 12h48

En début d’année prochaine, les organes d’administration et de contrôle des sociétés qui font appel public à l’épargne devront comprendre 30% de femmes. Cet objectif est-il réalisable dans les temps ? Comment se préparent les entreprises concernées ? Réponses de la présidente de CFA Maroc, Amina Figuigui, et de l’avocat d’affaires, Me Omar Zizi.

Dès janvier 2024, les femmes devront représenter au moins 30% des organes d’administration et de contrôle des sociétés qui font appel public à l’épargne, conformément aux dispositions de la loi 19-20. Le même texte prévoit un second palier : celui d’atteindre les 40% en 2027.

À trois mois de la première échéance fixée par cette loi qui a été publiée au Bulletin officiel en 2021, plusieurs questions se posent : cet objectif est-il réalisable dans les temps impartis ? Les sociétés concernées sont-elles conscientes de l’enjeu ? Jouent-elles le jeu actuellement ? Quel est l’état des lieux en matière de parité dans les sociétés visées par le texte ?

Pour répondre à ces questions, Médias24 a sondé Amina Figuigui, présidente du Club des femmes administrateurs (CFA Maroc), et Me Omar Zizi, avocat au barreau de Casablanca et associé du cabinet KZ and Partners.

“Plusieurs prérequis s’avèrent nécessaires”

Selon Amina Figuigui, “l'obligation d’atteindre 30% en 2024 et 40% en 2027 est le couronnement de plusieurs actions menées depuis plus d’une décennie, notamment par le gouvernement, la société civile et les entreprises, pour promouvoir la diversité de genre dans le monde des affaires.

Pour atteindre ces objectifs, plusieurs prérequis s’avèrent nécessaires, notamment :

  • les programmes de sensibilisation et de formation visant à encourager la participation des femmes aux conseils et à les préparer aux responsabilités liées à l'administration et au contrôle des sociétés ;
  • les actions de sensibilisation auprès des sociétés concernées pour qu’elles impulsent ce changement des mentalités et qu’elles prennent des mesures concrètes pour promouvoir la diversité de genre, et permettre ainsi aux talents féminins de briser le plafond de verre ;
  • la mise à disposition des sociétés d’un vivier avec un nombre suffisant de femmes qualifiées pour occuper les postes d’administrateur ;
  • l’accompagnement des pouvoirs publics, au profit des entreprises concernées, pour la mise en œuvre de la loi 19.20 à travers un mécanisme de suivi régulier pour évaluer la conformité des entités concernées aux dispositions légales.

Selon elle, “c’est dans ce contexte que le Club des femmes administrateurs (CFA Maroc) a été créé en 2012, avec pour principal objet de promouvoir et développer l’accès des femmes au poste d’administrateur”.

En 2023, 21,4% des administrateurs sont des femmes dans les entités faisant APE

Elle poursuit en expliquant que l’état des lieux actuel conforte l’ambition d’atteindre l’objectif prévu par la loi. Selon Amina Figuigui, “à la fin de l’année 2021, CFA et IFC ont lancé une étude auprès des entreprises marocaines faisant appel public à l’épargne (APE), afin d’analyser la relation entre la diversité de genre et la performance des organes de gouvernance desdites entreprises. Cette étude, qui constitue une première au Maghreb, a été menée à une période où la diversité au sein des organes de gouvernance au Maroc était au cœur des différents débats.

L’enquête a fait ressortir les constats suivants :

- 15% des conseils sont présidés par une femme, principalement au sein des PME avec un actionnariat familial ;

- 15% affirment compter des femmes dans le conseil des entreprises publiques ;

- 95% des répondants considèrent que les femmes contribuent à l’efficacité des conseils : engagement et sens des responsabilités (60%), participation active aux différents comités (55%) et différence d’approche des sujets (46%) ;

- 28% des répondants affirment que leur conseil envisage d’intégrer des femmes pour respecter les bonnes pratiques de gouvernance et pour améliorer l’efficacité du conseil”.

Amina Figuigui poursuit en soulignant que l’étude menée par le cabinet O Finance en 2022, auprès des émetteurs, révèle que le nombre de femmes siégeant dans les conseils d’administration ou de surveillance a atteint 176, soit 22% du nombre total des mandats des administrateurs des émetteurs.

“De surcroît, les statistiques de l’AMMC montrent qu’en 2023, les femmes représentent 21,4% des administrateurs des entités faisant APE, et 37% des postes d’administrateur indépendant sont occupés par des femmes. Tous ces chiffres confortent notre optimisme quant à l’atteinte des quotas prévus par la loi”, avance-t-elle.

Un optimisme dont les entreprises concernées sont conscientes selon les analyses d’Amina Figuigui et de l’avocat d’affaires Me Omar Zizi. Sondé par nos soins, ce dernier déclare que “cette obligation (d’atteindre les 30% de femmes en 2024 dans les conseils d’administration et de contrôle, ndlr) ne pèse que sur les sociétés anonymes marocaines faisant appel public à l’épargne et ne s’applique donc pas aux sociétés non cotées (qu’elles soient à capitaux publics ou privés). Celles-ci doivent uniquement poursuivre ‘la recherche d’une représentation équilibrée des femmes et des hommes’ dans leurs conseils d’administration ou de surveillance”.

La nomination de femmes en tant qu’administrateurs indépendants permet de répondre directement aux deux exigences légales

Pour Me Omar Zizi, “l’efficacité de ce type de mesures dépend des sanctions qui y sont associées. Pour les sociétés qui font appel public à l’épargne, la loi prévoit que toute nomination intervenant au sein des organes de gouvernance en violation de la réglementation sur la parité homme/femme est susceptible d’être annulée. En outre, les membres des organes de gouvernance irrégulièrement constitués ne pourront pas percevoir de jetons de présence. Ces sanctions sont claires et suffisamment dissuasives pour prévenir toute violation de la loi”.

“En revanche, s’agissant des sociétés non cotées, la mention selon laquelle ces sociétés doivent poursuivre la recherche d’une représentation équilibrée des femmes et des hommes n’est assortie d’aucune sanction spécifique. On peut donc légitimement douter de son application”.

Et d’ajouter : “Tout ceci constitue un bon début, en adéquation avec l’article 19 de notre constitution qui prévoit que l’État marocain oeuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes. Nous espérons qu’un cap supplémentaire sera franchi en imposant aux grandes entreprises publiques un seuil minimum de femmes au sein de leurs organes de gouvernance et des sanctions claires et appliquées de manière cohérente pour dissuader les violations de la loi (à l’instar de ce qui est prévu pour les entités privées faisant appel public à l’épargne)”.

De son côté, Amina Figuigui souligne que “l'impact de l’obligation des quotas au Maroc varie d'une entreprise à l'autre, en fonction notamment de la culture d'entreprise, de la réceptivité à la diversité, et de la manière dont ces quotas sont mis en œuvre et contrôlés”.

“L’étude menée par CFA et IFC a révélé que bien que l’apport en termes de compétences et d’expérience des administratrices soit quasi unanimement reconnu par la grande majorité des répondants et qu’une réforme réglementaire soit en cours, la question de la diversité de genre n’est que peu abordée par la plupart des conseils, et peu lui accordent l’intérêt et la priorité qu’elle mérite. D’un autre côté, selon l’étude menée par le cabinet O Finance en 2022 auprès des émetteurs, 97% des sociétés du panel ont communiqué l'information sur la représentation des femmes au sein de leurs conseils. Un chiffre en amélioration par rapport à 2021 (93%)”, poursuit-elle.

Ainsi, selon Amina Figuigui, “il y a une certaine réactivité, qui a certes besoin d’être boostée, mais qui reste prometteuse, d’autant plus que, depuis la publication de la loi 19.20, CFA Maroc a été très sollicitée pour communiquer sa base de données aux entreprises désireuses de nommer des femmes au sein de leurs conseils”.

Elle rappelle que le Maroc a “décidé d’adopter une législation contraignante, à l’instar des pays qui, ayant prévu des sanctions, enregistrent les progrès les plus importants en termes de parité au sein des organes de gouvernance”.

“Des efforts vont donc devoir être faits pour se mettre en conformité avec la loi, faute de quoi les sociétés encourent :

  • la nullité de toute désignation d'un administrateur, en violation du pourcentage légal et n'ayant pas pour objet de régulariser la composition dudit conseil ;
  • la suspension de la rémunération à titre de jetons de présence à l’ensemble des administrateurs siégeant dans les conseils ne respectant pas le quota légal.”

Quid du facteur compétence ?

Amina Figuigui rappelle que “cette approche est transitoire car elle vise à corriger les inégalités historiques. Elle repose sur l'idée que la diversité au sein des conseils améliore la prise de décision, la performance et la responsabilité sociale de l'entreprise. Promouvoir la représentation équilibrée des femmes au sein des organes de gouvernance ne doit pas nous faire perdre de vue les standards élevés en matière de compétences et d'expérience”.

“Certes, ces mesures transitoires constituent un outil puissant pour promouvoir la diversité et l'inclusion, mais elles doivent être mises en œuvre de manière réfléchie pour garantir que les compétences et la qualité de la gouvernance ne soient pas compromises. La mise en place de ces mesures peut effectivement susciter une crainte que la priorité accordée à la diversité puisse entraîner la nomination de candidats moins qualifiés”, poursuit-elle.

Elle estime alors que “pour répondre à ces préoccupations, il est important de trouver un équilibre entre la promotion de la diversité et le respect des compétences nécessaires pour exercer efficacement un rôle au sein des organes de gouvernance. Au Maroc, les compétences féminines au sein des conseils sont de plus en plus reconnues et valorisées. Les femmes occupent de plus en plus de postes de haute direction dans divers secteurs de l'économie marocaine. Partant de là, il suffira de faire l’effort d’identifier les bons profils en piochant dans les bases de données de CFA Maroc et des lauréats de l’Institut marocain des administrateurs (IMA) par exemple ; sachant que la liste n’est pas exhaustive”.

Elle rappelle que “CFA Maroc dispose aujourd’hui à lui seul d’un vivier de plus de 120 membres, et ce chiffre ne cesse d’évoluer”.

De son côté, Me Omar Zizi estime qu’en plus de “devoir se conformer aux règles relatives à la parité homme-femme, les sociétés anonymes marocaines sont dans l’obligation de nommer des administrateurs indépendants. La nomination de femmes en tant qu’administrateurs indépendants permet de répondre directement à ces deux exigences légales”. Selon lui, “certaines critiques soutiennent que la discrimination positive en faveur des femmes dans les conseils d’administration des grandes sociétés peut conduire à la nomination de femmes moins qualifiées par rapport à leurs homologues masculines et compromettre ainsi la compétence et l’efficacité des conseils d’administration. Cet argument doit être mis en balance avec tous les avantages associés à cette mesure”.

“D’une part, la discrimination positive vise à corriger les déséquilibres historiques et structurels entre les hommes et les femmes dans les postes de direction. En donnant aux femmes des opportunités égales d’accéder aux postes d’administrateurs, cela peut contribuer à réduire les inégalités de genre et à promouvoir l’égalité des chances. D’autre part, la discrimination positive contribue à une plus grande diversité de perspectives, d’expériences et de compétences. Les femmes apportent souvent une sensibilité accrue aux questions sociales et un style de leadership collaboratif. Ce qui peut contribuer à une meilleure gouvernance et des résultats plus équilibrés. Dans quelques années, nous pourrons faire un bilan et déterminer si une telle mesure a été bénéfique économiquement et socialement. Il serait par ailleurs intéressant d’examiner les conséquences de ces mesures en Norvège et en France qui ont adopté des lois similaires respectivement en 2006 et 2011”, conclut-il.

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