Séisme: risques, enseignements, explications... un tour d'horizon avec le Pr Fida Medina

ENTRETIEN EXCLUSIF. Le séisme du vendredi 8 septembre a été aussi soudain que surprenant. Pourtant, la zone est connue pour sa tectonique active. Afin de comprendre le processus qui a entraîné ce puissant tremblement de terre et mettre en évidence les enseignements à en tirer, Médias24 fait le point avec le Pr Fida Medina*, enseignant-chercheur émérite en géologie et président de l’Association marocaine des géosciences.

Fida Medina*, enseignant-chercheur émérite en géologie et président de l’Association marocaine des géosciences.

Séisme: risques, enseignements, explications... un tour d'horizon avec le Pr Fida Medina

Le 7 octobre 2023 à 16h28

Modifié 9 octobre 2023 à 7h47

ENTRETIEN EXCLUSIF. Le séisme du vendredi 8 septembre a été aussi soudain que surprenant. Pourtant, la zone est connue pour sa tectonique active. Afin de comprendre le processus qui a entraîné ce puissant tremblement de terre et mettre en évidence les enseignements à en tirer, Médias24 fait le point avec le Pr Fida Medina*, enseignant-chercheur émérite en géologie et président de l’Association marocaine des géosciences.

  • Nous avons maintenant la confirmation que l’Atlas est une chaîne à tectonique active.
  • Les répliques peuvent durer une longue période et il faut rester prudent dans les bâtiments endommagés ou les zones à risque d'éboulement ou de glissement de terrain.
  • Le séisme du Haouz est dix fois plus puissant que celui d'Agadir.
  • Il faut créer un institut multidisciplinaire sur les risques géologiques (séismes, tsunamis, volcanisme, glissements de terrain…).

La chaîne de l'Atlas est à tectonique active. Preuve en est le séisme du vendredi 8 septembre 2023. Un phénomène naturel aussi inattendu que violent, ayant fait près de 3.000 décès et des milliers de blessés. De nombreuses maisons ont été détruites tandis que d'autres sont devenues inhabitables.

Près d'un mois jour pour jour après ce phénomène naturel d'une force ahurissante, Médias24 s'est entretenu avec le Pr Fida Medina*, enseignant-chercheur émérite en géologie et président de l’Association marocaine des géosciences (AMG), afin de mieux cerner les spécificités du tremblement de terre le plus puissant enregistré à terre dans le Royaume et lister les enseignements à en tirer.

Médias24 : Est ce que le récent séisme qui a frappé le Maroc est bien le plus puissant jamais enregistré dans le Royaume ?

Pr Fida Medina : A terre, c’est en effet le plus puissant séisme enregistré au Maroc. Par contre, en mer, il y a eu des séismes plus puissants. Le tremblement de terre en 1755, d’une magnitude de 9 et un second séisme en 1969, dont la magnitude était de 8.

Depuis quelques jours, on observe un calme total à la station de Tiouine.

- Des répliques du dernier séisme sont-elles toujours à craindre ?

- En géophysique, les répliques obéissent à un phénomène normal qui suit la variation du champ de forces régional. Pour le séisme d’Agadir, de magnitude 5,7, il y a eu plus de 100 répliques et l’activité a duré 4 années selon un fichier de mon collègue Taj-eddine Cherkaoui. Donc, on peut s’attendre à une activité équivalente ou supérieure dans ce dernier cas. Même si depuis quelques jours, on observe un calme total à la station de Tiouine.

- Doit-on avoir peur des répliques de manière générale ?

- Oui. Il faut rester prudent, notamment dans le cas des maisons endommagées par le premier séisme. Mais aussi à cause des glissements de terrain et des éboulements qui pourraient survenir s’il y a une réplique de magnitude 4 ou plus.

- Le secteur touristique est important pour l’économie du pays. De fait, peut-on rassurer les touristes par rapport aux risques de répliques et de leur dangerosité ?

- Cela dépend de la mentalité des touristes. Les touristes sédentaires qui passent leurs journées dans les hôtels ou à la piscine, auront certainement des appréhensions et vont privilégier des endroits éloignés de l’épicentre. Mais il y a aussi des touristes aventuriers qui n’ont aucune crainte, comme les Français et les Espagnols qui aiment faire notamment du trekking en haute montagne. Donc une des priorités serait de reconstruire les gîtes et maisons d’hôtes endommagés ainsi que les accès (pistes, sentiers…).

- Est ce que toutes les failles et zones sismiques du Maroc sont connues et documentées ?

- Absolument. Du moins pour celles de surface grâce au Plan national de cartographie géologique (PNCG) et à la carte néotectonique du Maroc, publiée dans les années 2000. Cette dernière gagnerait à être actualisée car il y a de nouvelles failles.

Cette carte montre les failles les plus importantes dans la région de Marrakech. On y voit notamment que le front Atlassique est parcouru de failles cartographiées comme celle de Tizi N'test et la faille d’El Medinet au Nord. Par contre, les failles profondes ne sont que partiellement connues via les rares profils sismiques pétroliers publiés.

- Quand et comment ces failles se sont-elles formées ?

- Elles ont été formées depuis le Précambrien. Mais si on ne s’intéresse qu’à la période dite Alpine, elles résultent de l'inversion d’âge tertiaire d’un rift triasico-jurassique complexe. Il y a aussi de nouvelles failles qui se sont formées en fonction des discontinuités qu’il y avait dans la roche.

- Quelles sont les différences entre le séisme d’Al Hoceima, d’Agadir et le plus récent, dans le Haut Atlas ?

-Le séisme d’Al Hoceima a été provoqué par une zone de faille permanente qui traverse la mer d’Alboran et qui rentre par Al Hoceima à travers ce qu’on appelle la faille d’Al Idrissi. Il y a une zone très fracturée de plusieurs kilomètres de large qui s’appelle South Alboran Shear Zone ou la zone de faille de Dillon en référence au chercheur qui l’a découvert en 1980.

Cette zone rentre à Al Hoceima pour s’accommoder en failles d’effondrement dans la plaine de Nekor. En plus, le séisme d’Al Hoceima est né d’un mouvement (on dit aussi jeu) latéral contrairement à celui du Haut Atlas qui est provoqué par un mouvement inverse. A cause de cette zone de fracture, il y a beaucoup de séismes. Et de temps à autre, quand l’énergie s'accumule, il y a un puissant séisme.

Dans l’Atlas, les séismes sont rares mais puissants car les contraintes et forces s'y accumulent lentement (slow motion) jusqu’au jour où l’énergie accumulée est relâchée. A l’inverse d’Al Hoceima, Agadir n’est pas considérée comme une zone à forte activité sismique. Il y a eu le séisme de magnitude 6 puis le calme plat interrompu par quelques séismes sporadiques de magnitude inférieure à 5.

- En cas de séisme, quelles sont les attitudes à adopter ?

- Dans le cas du tremblement de terre, on ne dispose que de très peu de temps (quelques secondes) et il faut agir rapidement en cherchant les endroits sûrs (sous les tables par exemple). A cet égard, j’aimerais rappeler que l’Institut scientifique avait distribué dans le temps une brochure destinée aux élèves et enseignants, qui indiquait la conduite à tenir lors d’un tremblement de terre. Il faudrait en faire de même à travers le ministère de l’Education nationale.

La sismologie instrumentale est une science jeune

- Pourquoi la science est toujours incapable de prévoir les séismes ?

- Je vous fais remarquer que la sismologie instrumentale est une science jeune et n’est apparue qu’au 20e siècle. Le premier sismographe au Maroc n’a été installé qu’en 1934 ! Et la démocratisation de la technologie satellitaire indispensable au suivi des failles (GPS) ne date que des années 2000.

Quant à la prévision, si la faille a une trace superficielle (San Andreas, Levant, Turquie), il y a actuellement des méthodes géodésiques et géophysiques pour en faire le suivi (GPS, microsismicité) en temps réel.

De même, sur la base du principe de migration des zones de rupture, développé par les universités américaines, on peut prévoir les zones de risque maximum lors du prochain séisme. Par exemple, tous les sismotectoniciens s’accordaient à dire que la zone de Kahramanmaras (Turquie) allait subir un mégaséisme. C'est documenté dans des articles bien avant ce séisme.

Mais si la faille est profonde et ne s’exprime pas en surface (on dit qu’elle est "aveugle"), cela dépendra de l’état des études géologiques et géophysiques autour d’elle.

Dans le cas du séisme de l’Atlas, il y a des études tectoniques et néotectoniques depuis 1970 et géomorphologiques depuis 1941 qui indiquent que les sédiments récents sont déformés et/ou fracturés et donc qu’il y a une tectonique active et un risque de séisme malgré l’absence de séismes historiques certains.

Maintenant, on s’attendait plutôt à des séismes à l’avant de la chaîne, mais pas au centre, et la puissance est 10 fois celle d’Agadir. Le principe de migration des failles vers l’avant-pays (piggy-back) ne semble pas avoir été respecté. Ce sont plutôt les failles arrières qui ont joué (out-of-sequence). Mais il est encore prématuré de se prononcer car il y a encore de nombreuses vérifications à faire concernant la répartition des répliques, leurs profondeurs, les mouvements des failles…

- Que pensez-vous du fameux scientifique néerlandais et de ses prédictions concernant les séismes en Turquie et au Maroc ?

- J’ai un peu regardé ses vidéos. Pour la sismologie, il se base sur la probabilité d’occurrence des séismes, une méthode très commune utilisée par les sismologues. Quant à l’influence des planètes, il devrait convaincre les autres scientifiques par des équations et des démonstrations quantitatives. Les forces et pressions intérieures se chiffrent en Mégapascal (MPa), Gigapascal (GPa) et Kilobar (Kbars) quand même. Aucune force externe n’atteint ces valeurs.

- Que peut-on apprendre de l'expérience japonaise en matière de séismes ?

- Le Japon est avec les Etats-Unis le pionnier des recherches sismologiques. On peut citer Aki, Okada, Kanamori et d’autres. Son ingénierie parasismique est mondialement connue. Cependant, cela n’a pas empêché le désastre de Fukushima et les 20.000 morts du tsunami. En outre, le pays se trouve dans une zone de subduction avec des vitesses énormes de déplacement atteignant 8 cm/an et des séismes profonds, ce qui est différent du cas du Maroc.

- Quel est le ou les pays dont l’expérience et la sismicité s’approchent le plus de celles du Maroc ?

- Comme le Maroc se situe à la croisée de la Méditerranée et de l’Atlantique, notre géologie est en partie partagée avec nos plus proches voisins ibériques qui malgré des séismes plus faibles, ont une recherche très poussée et plusieurs programmes de recherche géophysique ont été menés au Maroc. Je citerais Topo-Iberia et Picasso par exemple qui ont fourni d’énormes quantités d’informations qu’on n’a pas encore exploitées par manque d’étudiants.

En outre, leurs institutions de prévention des catastrophes organisent des journées de simulation de tremblements de terre et de tsunamis à laquelle participent tous les citoyens des villes choisies. On pourrait organiser des exercices communs par exemple.

- Quels enseignements scientifiques peut-on tirer de ce séisme ?

- Ce sont les mêmes enseignements tirés après les séismes d’Al Hoceima et Alboran en 1994, 2004 et 2016. Sur le plan géologique, nous avons la confirmation que l’Atlas est une chaîne à tectonique active sur toute sa longueur et que l’absence de sismicité sur certains segments n’est que le résultat d’une récurrence longue par rapport à la longévité humaine, et qui peut durer un millénaire …On devrait donc tenir compte de ce facteur pour le développement futur.

Ensuite, il est certain que les paramètres cinématiques, dynamiques et énergétiques habituellement attribués à l’Atlas doivent être revus à la hausse, comme cela a été fait après les séismes d’Al Hoceima, et leurs conséquences sur l’évaluation des risques.

Le meilleur moyen serait la création d’un institut multidisciplinaire

- Le renforcement de notre résilience doit passer impérativement par le développement de compétences spécialisées dans le domaine et à travers la R&D. Qu’en pensez-vous ?

- Sur le plan recherche, l’ampleur de ce séisme montre que les géo-risques devraient occuper une plus grande place dans le panorama de recherche marocaine, au même titre que la recherche pétrolière ou minière.

En raison de la variété de risques géologiques (séismes, tsunamis, volcanisme, glissements de terrain…) et météo-climatiques (orages, climat, fulgurites), le meilleur moyen serait la création d’un institut multidisciplinaire (peut-être à travers la mise à niveau de l’ING existant) auquel seraient associées des unités de recherche universitaires (UR), et ayant un budget suffisant pour travailler et financer les UR.

De même, la recherche océanographique indispensable à l’amélioration des connaissances sur la géologie marine se verrait grandement renforcée par la création d’un institut océanographique associant les chercheurs universitaires (à travers l’expansion de l’INRH par exemple), à l’image de IEO espagnol.

- Est ce qu’il y a des lacunes dans ce domaine sur le plan académique ?

- Les laboratoires universitaires devraient s’intéresser beaucoup plus aux géorisques. En effet, il est malheureux que les géosciences soient peu attirantes pour les étudiants, surtout ceux nés en ville.

Pire, on a vu beaucoup d’étudiants arrivés en doctorat abandonner leurs thèses pour le marché du travail. L’un des labos de l’Institut scientifique a perdu ses 5 doctorants partis en une journée en enseignement secondaire.

Par exemple, cela fait 2 années qu’on cherchait avec les facs de Marrakech un étudiant pour réétudier les failles actives du front nord-atlassique, sans succès. Il faudrait réfléchir à une solution à ce problème en octroyant des bourses et en multipliant les stages de formation notamment.

- Face à ce genre de phénomènes inattendus, quel pourrait être l’apport des associations scientifiques ?

- Sur le plan partage des connaissances, on regrettera l’absence totale des associations scientifiques du panorama de l’information liée à ce séisme. Et pour cause, elles ne reçoivent pas l’attention qu’elles méritent, alors que ce sont elles, et non pas les administrations, qui réunissent les scientifiques et les institutions publiques et privées.

Les sociétés de géosciences en Europe (EAGE, SGE, SGP, SGF etc..) et aux Etats-Unis (la toute puissante AAPG, la SEG) sont très estimées par les gouvernements et les citoyens. Il faudrait en faire de même au Maroc, où les associations équivalentes ont toutes été un échec : la SGM, la MAPG, l’AMArgiles etc…

La nôtre (AMG/MAG) est en voie d’extinction aussi à cause de l’absence de réponse des autorités de tutelle à nos réclamations depuis deux années.

- Justement, est-ce que les décideurs politiques gagneraient à prendre davantage en considération les géorisques ?

- Il faut que les décideurs politiques et économiques ne considèrent plus les géorisques comme une entrave coûteuse au développement. Au contraire, ils sont appelés à solliciter les scientifiques pour toute étude sérieuse préalable, voire à financer des projets pour éviter les contretemps graves.

Par exemple, le risque de tsunami a fait l’objet de plusieurs thèses de chercheurs marocains compétents mais qui à notre connaissance n’ont pas été consultés. A titre d’exemple de collaboration et de partenariat, le gouvernement andalou se réunit périodiquement avec les universitaires pour établir le programme environnemental régional. Dans la région nantaise (France), il y a également une forte collaboration entre scientifiques et gestionnaires du territoire, sans oublier que c’est un Marocain qui dirige l’unité de recherches environnementales. Un exemple à suivre.

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* Né à Tétouan en 1955, Fida Médina, enseignant-chercheur émérite, est président de l’Association marocaine des géosciences. Après avoir obtenu son baccalauréat au lycée Hassan II à Rabat, il fréquente les bancs de la faculté des sciences puis ceux de l'Université Paris VI pour son doctorat. Par la suite, il est nommé professeur au département de Géologie de l’Institut scientifique de Rabat, entre autres fonctions. Actuellement membre de l’EAGE (European Association of Geoscientists and Engineers) et de la Sociedad Geológica de España.

Le Pr Fida Medina : “À Rabat, il y a encore des traces du passage du tsunami de 1755”

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