L'éco-système de la distribution au Maroc change de plus en plus rapidement. Les premières transformations importantes et à grande échelle ont été entamées pendant la période Covid ; à l'époque, il s'agissait surtout de transformation digitale et de canaux de livraison à domicile. Aujourd'hui, les principaux acteurs mènent une transformation approfondie. Marjane est l'un des acteurs les plus en vue de cette dynamique.

Les consommateurs veulent être livrés à domicile, surtout en ce qui concerne les produits standardisés comme l'alimentaire ou la technologie. Ils exigent le meilleur service, le plus rapide, avec une offre variée. Parallèlement, cette profusion et cette digitalisation ouvrent la voie à la collecte de la data, de sorte que des propositions personnalisées sont mises en avant par les vendeurs en fonction de la consommation antérieure. Des points de fidélité ou des gestes de fidélisation sont également octroyés aux clients, et il n'est pas exclu que le système évolue au Maroc jusqu'au financement des achats par l'octroi immédiat de petits crédits ; comme le fait Alibaba par exemple, devenu un partenaire à vie pour ses clients.

Pour ce qui est du marché marocain, l'un des événements majeurs est le lancement de Marjane Mall (marjanemall.ma). Marjane tout court est un retailer (détaillant) en ligne. Marjane Mall est une marketplace, où sont présents une multitude de marques et de vendeurs qui rencontrent une multitude d'acheteurs.

Le bilan des 6 mois

Ce mercredi 4 octobre a été l’occasion pour le groupe Marjane de faire le bilan des six premiers mois de sa marketplace "Marjane Mall". Certes, son lancement s’est fait de manière discrète pour prendre le temps de roder la plateforme avant la grande révélation, mais les résultats sont d'ores et déjà encourageants : plus de 60.000 commandes, plus de 250.000 produits certifiés, plus de 200 emplois directs et indirects et 700 vendeurs. Le groupe promet de les améliorer davantage à l’horizon 2025. Une ambition qui prend l'allure d'un événement business dans le domaine de la distribution.

Mais au-delà de ces chiffres, qu'est-ce qui a motivé la création de cette marketplace ? Quel est son business model ? et comment a-t-elle été montée ? Réponses.

Le groupe prend le virage du digital

Avec Marjane Mall, le groupe a pris le virage du digital. "Marjane a porté une réflexion sur les considérations du digital depuis un certain temps, ce qui nous a poussé à élaborer une stratégie", qui a mené à la création de cette marketplace, a expliqué Ayoub Azami, PDG du groupe.

"Le digital nous amène à revisiter un certain nombre de choses, mais dans la continuité de ce que nous faisons déjà. Nous pensons également que l’activité du digital va déterminer la manière de faire notre métier, et va conditionner son évolution", a-t-il ajouté.

"La création de notre marketplace est à la fois une aventure humaine et stratégique", a-t-il souligné. "Elle est stratégique parce qu’elle a des implications, et oblige à un certain nombre d’apprentissages. Elle ouvre également, fatalement et fortement, la voie à une manière différente de faire."

"C’est aussi une aventure stratégique dans la mesure où Marjane se positionne de manière volontaire comme étant un acteur digital, en agissant au moins sur trois dimensions importantes, dont la première est étroitement liée au secteur de la distribution et au retail. Elle a été celle de rajouter, en synergie complète avec nos canaux physiques, un canal digital, qui touche à la distribution et à la distribution alimentaire."

"La seconde dimension est celle de pouvoir développer nos compétences en termes de structuration de data, laquelle est mise à profit pour la relation que nous détenons avec nos clients, et pour le bénéfice de ces derniers. La troisième et la dernière dimension, toujours dans la continuité de tout ce que fait le groupe, est le lancement de notre marketplace. C’est le pari le plus audacieux de Marjane. Il s’agit d’une activité dans laquelle nous voulons nous inscrire pour devenir une référence en la matière dans le pays, dans l’ambition d’un développement à l’extérieur du Royaume dans les prochaines années", a conclu Ayoub Azami.

Une marketplace développée par une équipe majoritairement marocaine

"Contrairement aux sites de e-commerce classiques, une marketplace est un intermédiaire entre plusieurs vendeurs et des millions de clients que nous allons chercher, pour venir acheter les produits proposés. Cette opération passe par des investissements marketing très significatifs", a pour sa part précisé un autre membre du groupe.

"Un e-commerçant tout seul ne pourra jamais avoir suffisamment de puissance pour aller chercher le million de clients tout seul. Derrière cette opération, il y a également un aspect logistique, dans lequel il faut qu’on se déplace chez les vendeurs pour récupérer les produits. On ne peut pas être efficient et proposer des délais courts à des coûts bas si on n’a pas une économie d’échelle. Les sites de e-commerce qui travaillent dans leur coin n’auront jamais le bon niveau d’efficience, ni de logistique, ni de viabilité économique."

"Il y a donc trois piliers à maîtriser : le grand nombre de produits et de clients, ainsi que l’optimisation de la logistique. Cela repose essentiellement sur la technologie, et c’est l’une des difficultés majeures de la marketplace, dans la mesure où l'on parle de dizaines de plateformes connectées en temps réel, qui doivent communiquer entre elles sans aucun problème ni bug. C’est à cause de telles complexités qu’il y a peu de retailers qui décident d’aller sur ce terrain, réservé aux purs player digitaux."

Dans la conception technologique de sa plateforme digitale, le groupe affirme s’être appuyé sur des experts dans le domaine. "Depuis le départ, vu les niveaux de complexité auxquels nous avions fait face, nous avons cherché des partenaires potentiels pour nous conseiller et nous accompagner sur la partie technologique. Un choix gagnant, qui nous a permis d’accélérer l’apprentissage."

"Toutefois, sur la partie technologique, il y a beaucoup de spécificités entre les marchés. On s’est donc retrouvé à faire beaucoup plus de choses que prévu, voire quasiment tout, par rapport à ce que l’on avait imaginé durant les premiers jours du projet. Finalement, on peut dire que 90% de la technologie a été développée par des talents majoritairement marocains."

Rigueur dans le choix des partenaires pour garantir la confiance

Les dirigeants du groupe décrivent Marjane Mall comme étant une plateforme digitale tiers de confiance entre les vendeurs – allant des grandes enseignes, marques nationales ou internationales, aux producteurs locaux – et les acheteurs.

"Quand on parle d’intermédiation, ce sont des millions de clients et de produits, et ça ne peut pas fonctionner correctement si on n’est pas capable d’amener cette confiance, d’abord au niveau des partenaires vendeurs, ce qui nous amène à être très rigoureux dans le choix de ces derniers", explique l’un des responsables de Marjane.

"Ce registre de confiance est très structurant, parce qu’on sait que dernière les process de Marjane Mall, il y avait la possibilité de faire des raccourcis pour simplifier les choses, mais parfois on a fait le pari de prendre le chemin le moins court en se disant que, in fine, la vérification des produits prendra une demi-journée ou une journée de plus pour garantir la qualité au client final. Ces derniers vont donc accepter d’attendre une demi-journée ou une journée complète de plus si, derrière, la marchandise est garantie."

"La notion de confiance revient également souvent dans le cas d’achats par carte bancaire, et dans la capacité de rembourser les clients en cas de problème, sans leur poser trop de questions."

Deux schémas logistiques et une sélection de produits rigoureuse

Marjane Mall est donc dans l’intermédiation. Elle ne détient pas tous les produits et n'est pas dans une supply chain. Elle les achète plutôt auprès des vendeurs, pour les présenter aux clients qui vont les acquérir avec une marge.

Les deux schémas logistiques selon lesquels elle opère sont le Cross Dock et le fullfilment, autrement dit la consignation. Dans le cas du Cross Dock, la marketplace va chercher les produits stockés chez le vendeur, les vérifier, les emballer et les expédier au client final. D’ailleurs, tous les produits livrés le sont dans un package de Marjane Mall. Cette opération se déroule au niveau d’une plateforme logistique à Mohammédia, qui se déploie sur près de 6.000 m2.

Dans l’autre cas, dit de fulfillment, la marketplace propose au vendeur de stocker pour lui un ensemble de produits les mieux vendus, ce qui lui permet d’être rapide en termes de livraison, laquelle se fait en partenariat avec un multi-commerçant ou un acteur exclusif à Marjane Mall.

Quid de la vérification des produits et des critères pris en considération ? "Elle se fait en amont", nous explique un membre du groupe. "C’est au moment du choix des partenaires que tout se joue. Ce choix, très rigoureux, repose sur plusieurs critères, notamment le registre de commerce l’ICE… Après ce filtre, près de 80% des demandes reçues au début de notre aventure ont été éjectées."

"Le deuxième aspect a trait à la vérification des produits que l’on récupère auprès des vendeurs. En cas de problème après livraison –puisqu’il peut y en avoir –, on s’excuse auprès du client, et on démarche directement le vendeur."

Un chiffre d'affaires d'un milliard de DH à l'horizon 2025

Quel est le bilan des six premiers mois de lancement de Marjane Mall ? La marketplace, qui a nécessité un investissement de plus de 350 millions de DH et deux ans et demi de préparation, a pu générer 60.000 commandes, avec un taux de satisfaction de plus de 90%. "Un niveau de performance de bon augure pour la suite", estime le groupe.

En termes de partenaires, elle en compte 700 à ce jour, contre 150 au démarrage. "C’est donc environ cinq à six fois plus, et c’est très appréciable." Elle accueille plus de 1.000 enseignes internationales et nationales, ainsi que des producteurs locaux.

En ce qui concerne les produits, la plateforme a pu en référencer plus de 250.000, soit trois fois plus que ce qu’elle proposait il y a six mois. Par ailleurs, pas moins de 200 emplois directs et indirects ont été générés.

À l’horizon 2025, Marjane Mall ambitionne de devenir définitivement et officiellement la marketplace préférée des Marocains. "On veut que les Marocains nous préfèrent à ce qui se fait autour de nous."

L’offre atteindra pour sa part plus d’un million de produits. Le groupe espère également avoir initié, d'ici 2025, une première expérience sur le reste du continent africain.

S’agissant de la marge de livraison entre acheteur et vendeur, "on voudrait avoir une notion de GMV (Gross Merchandise Value, ndlr), c’est-à-dire la valeur de la marchandise dont nous faisons l’intermédiation", souligne pour sa part Ayoub Azami. "Nous visons un chiffre d’affaires d’au moins un milliard de DH d’ici à 2025, avec une marge qui s’exprimerait en une commission d’intermédiation avec un pourcentage dépendant des différentes catégories, avec une moyenne de 5%."

Ce volume d’affaires se traduit par plusieurs millions de commandes sur une année, soit une multiplication par 10 ou 15 du point de départ actuel, dans les années à venir.