Violences sexuelles sur mineurs: les enfants victimes, grands oubliés des politiques publiques

L’affaire du pédophile de la plage d’El Jadida a profondément scandalisé l’opinion publique marocaine. Si la dénonciation de telles situations est moins rare que par le passé, notamment grâce aux réseaux sociaux, les ONG tirent fréquemment la sonnette d’alarme sur le peu d’efforts déployés pour réparer les vies brisées de ces enfants. Éclairage sur le circuit de prise en charge des mineurs victimes de violences sexuelles et ses défaillances.

Violences sexuelles sur mineurs: les enfants victimes, grands oubliés des politiques publiques

Le 27 août 2023 à 16h40

Modifié 27 août 2023 à 16h40

L’affaire du pédophile de la plage d’El Jadida a profondément scandalisé l’opinion publique marocaine. Si la dénonciation de telles situations est moins rare que par le passé, notamment grâce aux réseaux sociaux, les ONG tirent fréquemment la sonnette d’alarme sur le peu d’efforts déployés pour réparer les vies brisées de ces enfants. Éclairage sur le circuit de prise en charge des mineurs victimes de violences sexuelles et ses défaillances.

Après l’affaire du viol collectif sur une mineure à Tiflet, le drame d’El Jadida relance le débat sur la nécessaire refonte du Code pénal pour une justice plus répressive à l’égard des agresseurs sexuels. Les débats portent particulièrement sur le durcissement des peines contre ces derniers. Certaines organisations de la société civile appellent même à l’adoption de la castration chimique comme peine à l’encontre des individus condamnés pour viol sur mineur, tandis que d'autres préconisent la peine de mort.

Si tous les regards se tournent vers les criminels, très peu s’attardent sur l’avenir des victimes et la nécessité de les prendre en charge correctement, mais aussi de les protéger d'une éventuelle récidive. Symptômes d'une société qui accorde plus d'importance à la répression qu'à la protection, et qui reste myope face au sort de ces enfants qui, une fois le verdict rendu, sombrent dans l’oubli ? Peut-être. Il n'est toutefois pas trop tard pour ouvrir les yeux.

Que deviendra la fillette de Tifelt qui, à l’âge de 18 ans, sera responsable d'un enfant de 8 ans ? Quel est l'avenir de cet enfant d’El Jadida pour qui les vacances seront le rappel annuel d'un traumatisme dont ont été témoins des milliers de personnes derrière leurs écrans ?

Chaque année, des milliers de cas d'agression sur mineur

Ces deux cas largement médiatisés ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ils sont des milliers de mineurs victimes de toute sorte de violences. Les seules statistiques fiables sont celles du ministère public dont le rapport annuel comporte un chapitre dédié à l’enfance.

Attouchements sexuels, viols, harcèlements, exploitation sous forme de prostitution et de pornographie, chantage, extorsion sexuelle en ligne, etc. Les violences sexuelles sur mineurs peuvent prendre plusieurs formes.

Selon le dernier rapport, les violences sexuelles figurent en tête de liste des crimes commis à l’encontre des mineurs, avec un taux d’environ 47% contre 27% pour les agressions physiques. Des chiffres inquiétants, d'autant plus que les violences sexuelles ont connu une importante augmentation au cours de l’année 2021, avec 2.998 cas enregistrés contre 2.261 cas en 2020.

Il est également à noter que les filles sont davantage victimes de crimes sexuels : 2.640 filles contre 472 garçons. Dans le détail, pas moins de 185 filles mineures ont été violées en 2021, 1.592 ont été victimes d'attentats à la pudeur avec violence, contre 320 sans violence. En outre, 539 filles ont été sexuellement agressées sans violence, mais avec des circonstances aggravantes, et 4 ont été exploitées à des fins de prostitution, indique le rapport du ministère public.

Qu’advient-il de tous ces mineurs ? Pour mieux comprendre le sort qui leur est réservé, Médias24 s’est penché sur le circuit de prise en charge de ces enfants.

Pas de signalement, pas de prise en charge

Le signalement est le premier pas vers la prise en charge. Malgré l’importance des chiffres plus-haut, ces abus, qui laissent des cicatrices à vie, sont peu identifiés et signalés, constatent les travailleurs sociaux contactés par nos soins.

Si le signalement est une étape nécessaire pour enclencher la machine de prise en charge, ce dernier n'est pas systématique. Entre les victimes réduites au silence, les parents qui couvrent les violences sexuelles intra-familiales et les agressions sexuelles ensevelies sous le voile du tabou, les obstacles au signalement sont nombreux et bloquent l'accès aux victimes à la prise en charge.

Or, la détection et le signalement, une obligation pour tous, selon l'article 299 du Code pénal.

Ainsi, tout adulte ayant connaissance d'un abus sexuel présumé envers un enfant est tenu, par la loi, de le signaler aux autorités compétentes. En cas d’inaction, l’adulte risque de se voir poursuivi pour non-assistance à personne en danger (Art. 431 du Code pénal).

Le signalement d’un acte de violence sexuelle peut se faire au niveau de la police ou de la Gendarmerie royale (dans les zones rurales), comme il peut être directement adressé au tribunal de première instance, au niveau de la cellule de prise en charge des femmes et enfants victimes de violence.

Un circuit de prise en charge à 5 entrées 

Une fois l’acte présumé de violence sexuelle sur mineur signalé, la prise en charge des victimes peut se faire théoriquement à travers cinq canaux différents.

Il s’agit, d’une part, des structures qui relèvent de l’Entraide nationale, notamment les Unités de protection de l’enfance (UPE), les cellules de protection de l’enfance, les centres d’accompagnement pour la protection de l’enfance (CAPE) et les Comités provinciaux de la protection de l’enfance.

Selon le site du ministère de la famille, il en existe neuf dans plusieurs villes. Cette organisation assure la protection d’urgence, la prévention ainsi que la production de données statistiques sur les enfants victimes de violence, peut-on lire sur le site du ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille.

Elle intervient aussi dans les différentes étapes de la prise en charge des enfants violentés : de l’accueil à l’écoute de l’enfant, en passant par l’orientation de celui-ci au sein de la structure vers les services juridique, social ou psychologique en assurant son accompagnement durant tout le processus de prise en charge.

En effet, une fois qu’un acte présumé de violence sexuelle sur mineur est détecté, les travailleurs sociaux au sein des CAPE et des cellules se déplacent chez la victime pour lui assurer une orientation correspondant à ses besoins ainsi qu’un accompagnement durant toutes les procédures. Voici sur ce lien, la liste des contacts des équipes d'assistance sociale dans les différentes régions.

Dans ces structures, la prise en charge est holistique, mais le service d’hébergement d’urgence n’est pas prévu. C'est pourquoi les victimes sont souvent orientées vers les cellules spécialisées (santé, police et justice) et des associations qui peuvent les accueillir (Bayti, Touche pas à mon enfant…)

Le deuxième canal de prise en charge des mineurs victimes de violences sexuelles est juridique. Il s’agit des cellules de prise en charge des femmes et enfants victimes de violences, présentes au sein de tous les tribunaux de première instance et de toutes les cours d’appel. Ces cellules sont présidées par un juge des mineurs et emploient des assistants sociaux qui prennent généralement les dépositions avant de présenter le dossier au juge des mineurs qui accordera ensuite l’autorisation à la police d’enquêter.

Le troisième canal est représenté par la police (Brigade des mineurs) dans les zones urbaines et la Gendarmerie royale (Brigade judiciaire) dans les zones rurales.

Le quatrième canal est l’Unité intégrée de prise en charge des enfants et femmes victimes de violences au sein des hôpitaux. Cette structure s’occupe d’élaborer le certificat médico-légal qui constate les preuves de violences, et qui sera envoyé au juge des mineurs. Elle offre également une prise en charge médicale et psychologique de l’enfant.

Les associations qui travaillent de près ou de loin avec les enfants représentent le cinquième canal de prise en charge des enfants victimes de violences. La prise en charge consiste en l’accueil, l’écoute et l’accompagnement de ces enfants. Par ailleurs, les associations font un travail de sensibilisation auprès de la famille des victimes, des enfants et des différentes institutions afin de prévenir les violences ou la récidive, si l’acte a déjà été commis auparavant.

Les cinq acteurs travaillent en étroite collaboration, chacun étant considéré comme une porte d’entrée pour la prise en charge des enfants victimes de violences. Les informations recueillies sont ensuite centralisées au niveau des cellules de prise en charge dans les tribunaux afin de lancer la procédure judiciaire.

Une prise en charge psychologique défaillante 

Les acteurs associatifs contactés par nos soins s’accordent sur la fragilité du suivi psychologique offert aux enfants victimes de violences au sein des organisations de l’Entraide nationale, mais aussi au niveau des unités intégrées au sein des hôpitaux.

Ils évoquent notamment le manque de moyens. "Les psychologues sont rarement disponibles, et leur travail est généralement fait par des assistants sociaux." Par ailleurs, "les procédures de prise en charge psychologique sont généralement longues, ce qui décourage les acteurs œuvrant dans la protection de l’enfance au vu des faibles moyens financiers et de l’effectif réduit des psychologues étatiques".

Les cellules de prise en charge psychologique font ainsi souvent appel à des psychologues qui travaillent dans le secteur privé, ce qui peut s’avérer coûteux lorsque la procédure est longue. Il est aussi fréquent qu’on charge les assistants sociaux d’assurer les missions de psychologues, fait-on savoir.

Les acteurs associatifs pointent également du doigt le manque d’hébergements d’urgence et l’absence de centres d’hébergement et d’accueil dédiés aux enfants victimes de violences sexuelles. En effet, "les enfants victimes de violences sexuelles se retrouvent souvent placés avec des enfants qui ne partagent pas la même détresse", nous apprend Amina Bougdir, assistante sociale à la cellule de prise en charge de l’hôpital Souissi à Rabat.

"Face au manque de moyens, il est difficile dans certaines situations d'offrir une prise en charge thérapeutique adaptée. La prise en charge psychologique fait parler l’enfant de faits traumatisants qu’il a vécus et ravive des blessures. Si la libération de la parole n’est pas faite correctement, elle peut enfoncer la victime dans son mal et impliquer une prise en charge très longue et fastidieuse pour l’enfant et/ou sa famille", poursuit notre interlocutrice.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les parents et tuteurs légaux des mineurs victimes de violences sexuelles "sont très demandeurs d’une prise en charge psychologique", révèle une étude réalisée par l’association AMANE qui lutte contre toutes les formes de violences à l’égard des enfants. Toutefois, l’effectif réduit de psychologues ne permet pas de combler ce besoin.

Renforcer les dispositifs de détection et de signalement 

Les acteurs œuvrant dans la protection de l’enfance font face à une panoplie d’obstacles matériels, administratifs, et au manque de compétences spécifiques, a-t-on retenu de nos discussions avec ces derniers. Les programmes de la PPIPEM sont également pointés du doigt pour leur inefficacité concernant "la mise en place d’un cadre juridique protecteur de l’enfance, d’une justice adaptée à l’enfance, des alternatives à l’institutionnalisation, des mesures préventives ainsi que des mécanismes de suivi, d’évaluation et de redevabilité".

Dans ce sens, l’association AMANE a émis un certain nombre de recommandations, notamment :

  • la mise en œuvre des protocoles de prise en charge qui intègrent l’approche genre et limitent la re-victimation des enfants, par exemple en évitant les dépositions répétées des enfants ou en assurant la confidentialité lors de ces déclarations ;
  • le renforcement des capacités d’hébergement provisoire et d’urgence des enfants victimes/survivants de violences ;
  • l’appui de la réhabilitation (psychologique, sociale et juridique) des enfants victimes de violence et de leur famille tout au long du processus de prise en charge ;
  • le renforcement des capacités des centres éducatifs en tant qu’espaces clés pour la détection et le signalement des violences de genre à l’encontre des enfants ;
  • l’adaptation des dispositifs de signalement pour qu’ils soient accessibles à tous les enfants.
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