Parc national de Talassemtane. Au cœur des sapinières enneigées du Rif

Ce sont les seules sapinières du pays. Protéger ce conifère endémique était l’objectif premier de la création du parc national de Talassemtane, il y a près de vingt ans. En plus de ses sapinières, l’originalité des paysages rifains fait de ce territoire une destination unique. Kaoutar Aouane, directrice de ce parc national, nous en fait faire le tour.

Parc national de Talassemtane. Au cœur des sapinières enneigées du Rif

Le 1 août 2023 à 12h44

Modifié 1 août 2023 à 17h22

Ce sont les seules sapinières du pays. Protéger ce conifère endémique était l’objectif premier de la création du parc national de Talassemtane, il y a près de vingt ans. En plus de ses sapinières, l’originalité des paysages rifains fait de ce territoire une destination unique. Kaoutar Aouane, directrice de ce parc national, nous en fait faire le tour.

Talassemtane, "la source froide" en amazighe est à l’origine le nom donné à la montagne, Jbel Talassemtane. Ce mont se caractérise, en effet, par son grand froid et son épais manteau de neige, l’hiver. Certes, il n’est pas le plus haut sommet du parc national dont il fait partie. Il culmine à 1.941 mètres seulement. Mais c’est le sommet montagneux qui se couvre de la plus grande surface de sapins marocains : 2.270 hectares. Une raison suffisante pour l’associer au parc national éponyme. Jbel Tazaout avec ses 734 hectares est le deuxième bloc de sapins au parc.

"Talassemtane et Tazaout accueillent les deux grands peuplements uniques au monde de l’Abies marocana, nom scientifique de cette espèce. D’où le logo du parc national représentant deux sapins de taille différente. Le plus grand fait référence bien sûr à la sapinière de Jbel Talassemtane et le plus petit symbolise la sapinière de Jbel Tazouate. Au Maroc, il n’y a pas de sapinière dans d’autres endroits", explique Kaoutar Aouane, directrice de ce parc national depuis 2019.

Le sapin marocain, Chouh Al Maghribi en darija, est un conifère rare pouvant atteindre jusqu’à 50 m de haut. Dans le parc de Talassemtane, ces arbres tutoient le ciel. Ils s’enracinent à une altitude allant de 1.400 à 2.000 m. Ces sapinières, souvent enveloppées par des brumes persistantes, sont parsemées d’autres essences comme le cèdre de l’Atlas ou encore le pin noir.

Originalité géographique

"Talassemtane a été créé en 2004 dans l’objectif premier de protéger le sapin marocain. Il s’étend sur une vaste superficie de près de 60.000 ha. C’est donc un territoire très vaste, à cheval entre deux provinces : Chefchaouen et Tétouan. La grande partie du parc est localisée à Chefchaouen avec plus de 70% du total de la surface", indique l’ingénieure forestière.

Le parc national de Talassemtane est situé dans le Rif occidental, l’une des régions les plus originales du pays d’un point de vue géographique, climatique et écologique. Le Rif occidental est aussi considéré comme l’une des zones les plus intéressantes sur le plan biologique et biogéographique.

Plus intéressant encore, Talassemtane fait partie du territoire de la réserve de biosphère intercontinentale de la Méditerranée (Rbim). Cette réserve a été déclarée en 2006 par l’Unesco comme étant une richesse écologique, historique et culturelle partagée entre le nord du Maroc et le sud de l’Espagne, en Andalousie. Ce territoire forme un arc passant par le détroit de Gibraltar.

Selon l’Unesco, la réserve est la première de son genre au monde à s’étendre entre deux pays situés sur deux continents séparés par la mer. Le détroit est un passage vital pour l’avifaune africaine et européenne. Plus de 1.000 oiseaux y transitent toutes les heures, ainsi que d’autres espèces comme le phoque moine et les dauphins. Le parc Talassemtane a donc ceci de particulier d’être au cœur de cette réserve unique au monde. (voir aussi Carte)

Carte du parc de Talassemtane et de la Réserve de biosphère intercontinentale de la Méditerranée (RBIM)-Source: PNTLS

Hotspot de la biodiversité

Cette réserve n’est pas la seule particularité de Talassemtane. Ce parc est considéré comme l’entité écologique la plus originale de la chaîne rifaine, voire du Maroc. Les écosystèmes forestiers du parc sont constitués d’une flore exceptionnelle qui le situe aux premières places en matière de biodiversité nationale, régionale et mondiale.

"Le parc abrite plus de 1.380 espèces végétales - 86 espèces endémiques du parc, 65 espèces rares, 81 espèces très rares et neuf espèces extrêmement rares -, dont un grand nombre sont endémiques. Mis à part la sapinière qui est l'emblème du territoire, il y a plusieurs autres espèces comme le pin noir, Pinus nigra, qui existe uniquement à Talassemtane, au Maroc, et aussi en Algérie. Ce sont les deux seuls pays où le pin noir existe encore. Cet arbre est endémique de notre parc, et c’est donc une espèce rare. Il y a aussi le cèdre de l’Atlas, Cedrus atlantica, qui est aussi une espèce endémique de l’Afrique du Nord. Et toutes ces espèces végétales sont remarquables", souligne notre interlocutrice.

Le parc de Talassemtane est qualifié comme un hotspot de la biodiversité. C'est la raison pour laquelle "les chercheurs scientifiques viennent le visiter toute l’année. Quand ils prospectent les Zones d’importance pour les plantes (ZIP) dans le monde, Talassemtane ressort parmi celles-ci. La richesse floristique présente un intérêt scientifique pour les chercheurs dans ce domaine".

 

À l’état sauvage

Si le sapin marocain occupe la place d’honneur dans le cortège floristique du parc, le singe magot, lui, règne sur la faune. Espèce endémique de l’Afrique du Nord, le Macaca sylvanus occupe essentiellement des forêts de sapins ou de cèdres, des forêts mixtes, des falaises et des gorges dominées par une végétation de broussailles. Dans le parc, cette espèce emblématique se rencontre souvent dans la sapinière de Talassemtane, à Jbel Bouslimane, dans la sapinière de Tazaout, à Jbel Kelti, sur la falaise d’Akchour, les gorges d’Oued Lao, à Talat n'Adrhousse, et dans les gorges de l'oued Kelaa.

"Avec le singe magot, la loutre, Lutra Lutra, est l’autre espèce caractéristique du parc de Talassemtane. On la trouve essentiellement dans les nombreux cours d’eau du parc. La faune du parc est riche d’environ 37 espèces de mammifères au total. On peut citer le chacal, le renard, le lièvre, le sanglier, la mangouste, etc.", décrit Kaoutar Aouane.

Contrairement au singe magot, la loutre est plus difficile à repérer dans le parc. C’est une espèce réputée pour sa discrétion. "Au cours d'un circuit, le visiteur peut facilement repérer un singe magot. Cela dit, ce dernier ne s’approche pas souvent des visiteurs contrairement au singe magot du Moyen Atlas. Les peuplements de cette espèce sont plus sauvages ici", précise-t-elle.

Mosaïque faunistique

La direction du parc accorde une importance particulière au singe magot. Et pour cause, le Maroc dispose des plus grandes populations de ce mammifère sur toute l’aire de sa répartition géographique qui s’étend en Algérie et à Gibraltar. Il vit à l’état sauvage dans les montagnes du Rif, du Moyen Atlas et du Haut Atlas. Ce singe est considéré, depuis 2008, comme "en danger" et figure sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union mondiale pour la conservation de la nature (UICN). Le Royaume a donc élaboré un plan d’action national pour la conservation du singe magot en 2012, avec l’objectif du maintien et de la restauration des populations de cette espèce au niveau de ses aires naturelles.

>>>Lire aussi notre article : Aires protégées du Maroc. La nature en partage

Le parc héberge également neuf espèces d’amphibiens et 24 espèces de reptiles. Parmi ces reptiles, neuf sont endémiques du Maroc, dont la vipère de Lataste. À Talassemtane, on peut rencontrer aussi la tortue grecque, la tarente, le caméléon, le gecko, le lézard ocellé, l’agame, l’érémias de Pasteur, et plusieurs espèces de lézards, de seps, de scinques, de couleuvres et de vipères. À cela s’ajoutent pas moins de 255 espèces de macro invertébrés aquatiques. La recherche scientifique internationale porte également un grand intérêt à l’étude des espèces aquatiques du parc.

Sa directrice Kaoutar Aouane nous apprend par ailleurs que les gorges et les falaises de ce territoire rifain abritent une avifaune riche de 117 espèces recensées, dont certains oiseaux sont emblématiques. C’est le cas notamment de l'aigle royal, Aquila chrysaetos. Le parc compte, par ailleurs, quatre espèces d'oiseaux endémiques. Il s'agit du pic de Leveillant, du rougequeue de Moussier, du gobemouche de l'Atlas et du troglodyte mignon.

La directrice du parc national de Talassemtane, Kaoutar Aouane, dans la grotte Knadel, face à une chauve-souris - CP PNTLS

Vertige des sommets

Il n’y a pas de période spécifique pour visiter le parc de Talassemtane. Toutes les saisons s’y prêtent. "On reçoit des visiteurs toute l’année. Pendant l’hiver par exemple, la sapinière enneigée est quelque chose d’exceptionnel. Les paysages sont magnifiques. Les deux sapinières de Jbel Talassemtane et Jbel Tazaout en font partie. Les amateurs de la nature aiment beaucoup visiter le parc pendant cette période. Et on peut skier aussi", indique la directrice du parc.

"Les personnes qui aiment faire les sommets viennent escalader Jbel Lkraâ pendant l’hiver et l’automne. C’est le point culminant du parc. Jbel Kelti est aussi une destination pour les amoureux des pics. D’autres visiteurs effectuent même tout le circuit des sommets."

Notons que les plus hauts sommets du Rif occidental sont localisés dans le parc. Il s'agit de Jbel Lkraâ : 2.159 m ; Jbel Tissouka : 2.122 m ; Sfiha Telj : 2.038 m ; Jbel Taloussisse : 2.005 m ; Jbel Talassemtane : 1.941 m ; Jbel Kelti : 1.926 m ; Jbel Bouhalla : 1.848 m ; Jbel Bouslimane : 1.822 m ; Jbel Tazaout : 1.725 m ; Jbel El Kelaa : 1.616 m et Jbel Akroud : 1.660 m.

Il faut savoir que 95% du territoire du parc présente une pente supérieure à 35%.

En plus du massif montagneux, le parc de Talassemtane offre aux visiteurs de grandes falaises abruptes à formes contrastées, qui surplombent le vaste espace maritime de la Méditerranée. "Les visiteurs, qu’ils soient nationaux ou internationaux, viennent également ici pour escalader ces falaises", affirme notre interlocutrice.

Marcher sur l’eau

Le parc de Talassemtane connaît son pic de visites au cours du printemps et de l’été. "Il faut savoir qu’il y a des endroits, ici, très connus aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale mais que les gens n’associent pas nécessairement au parc. C’est le cas notamment d’Akchour qui est une destination touristique mondiale. Les visiteurs viennent voir le pont de Dieu ou faire le circuit des cascades, mais ils ne savent pas que ces endroits font partie du parc de Talassemtane. Les piscines naturelles d’Akchour sont à ce titre très prisées, surtout l’été", explique Kaoutar Aouane.

Oued El Kennar et ses gorges forment aussi une destination appréciée localement et mondialement pour leurs piscines naturelles. La quasi-totalité du parc national est drainée par les oueds Laou, El Kanar et partiellement Bouhya.

"Les randonneurs au Maroc organisent souvent des circuits dédiés à oued El Kennar. Les agences de voyages proposent aussi des excursions qui lui sont consacrées. Akchour et oued El Kennar sont des sites récréatifs au sein du parc. Les sources d’eau associées à un massif forestier séduisent les amoureux de la nature. Le canyonisme est par ailleurs une autre activité pratiquée à oued el Kennar et à oued Talambote", souligne la directrice.

On peut aussi simplement faire de la randonnée ou encore du vélo. Talassemtane prévoit d'ailleurs des circuits consacrés au cyclisme.

 

Au fond du gouffre

Le parc est célèbre pour ses grottes et ses gouffres. Chaque année, plusieurs excursions spéléologiques y sont organisées. "Il existe des cavités verticales et horizontales qui n’ont pas encore été explorées, et nous n’avons toujours pas d’information sur leur profondeur ni sur ce qu’elles contiennent. C’est pour cela qu’on parle d’un important potentiel spéléologique. Des associations et clubs étrangers viennent régulièrement explorer ces grottes. Les chercheurs eux aussi s’intéressent à ces cavités dans le cadre de leurs études sur certains mammifères comme les chauve-souris", soutient Kaoutar Aouane. "Nous avons dans le parc la grotte la plus profonde du pays et la deuxième en Afrique. Il s’agit de Kehf Toghobeit (772 m de profondeur, ndlr)."

Contrairement aux grottes du parc de Tazekka, celles du parc de Talassemtane ne sont pas aménagées. Elles ne sont donc pas ouvertes au grand public. C'est pourquoi la directrice insiste sur le fait qu’il faut être expérimenté ou accompagné par des spéléologues ayant le matériel nécessaire pour pratiquer cette activité tout en respectant les règles de sécurité.

>>>Lire aussi notre article : Parc national de Tazekka. Dans le domaine forestier du cerf de l’Atlas

La richesse spéléologique de Talassemtane sous l'œil expert de Kaoutar Aouane, directrice du parc. CP PNTLS

Suivre le guide

Pour visiter le parc ou y séjourner, il existe plusieurs options. "La majorité des visiteurs qui viennent de l’étranger passent par des agences de voyages localisées à Tanger, Tétouan ou même Casablanca. Il y a aussi les internationaux qui viennent en van pour camper dans le camping du parc. Ceux-là ont juste besoin d’une carte pour suivre les différents circuits du parc", explique la directrice. (voir aussi carte).

Quant aux touristes locaux, ils effectuent généralement leur visite sans passer par une agence. "Sur place, on a des guides qui peuvent accompagner les visiteurs qui ne connaissent pas bien les différents sites", souligne-t-elle.

Avec l’Agence de coopération internationale allemande (GIZ), le parc de Talassemtane a créé la coopérative d’écotourisme Rif Explorers, dont les guides sont des jeunes de Chefchaouen. Parmi eux, certains travaillaient auparavant comme guides officiels, d’autres étaient animateurs nature. L’idée est d’améliorer l’expérience-client du visiteur du parc lors de son séjour tout en impliquant des habitants de la région.

Deux guides de la coopérative d’écotourisme Rif Explorers au parc de Talassemtane - CP PNTLS

 

Carte écotouristique du parc national de Talassemtane - CP PNTLS

 

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.