Vers une expansion de l'arbitrage grâce à l'intelligence artificielle au Maroc, selon l'avis de Me Amin Hajji

ENTRETIEN. Me Amin Hajji, avocat au barreau de Casablanca et président de la Cour d'arbitrage "Mizan", fait le point sur la place qu'occupe actuellement l'intelligence artificielle dans le règlement des différends, et en prédit une expansion massive.

Vers une expansion de l'arbitrage grâce à l'intelligence artificielle au Maroc, selon l'avis de Me Amin Hajji

Le 25 juillet 2023 à 10h46

Modifié 25 juillet 2023 à 15h46

ENTRETIEN. Me Amin Hajji, avocat au barreau de Casablanca et président de la Cour d'arbitrage "Mizan", fait le point sur la place qu'occupe actuellement l'intelligence artificielle dans le règlement des différends, et en prédit une expansion massive.

L'intelligence artificielle prend de l'ampleur même en matière de modes alternatifs de règlement des différends. Au Maroc, son utilisation en est à ses prémices, selon Me Amin Hajji, avocat au barreau de Casablanca (Hajji & associés) et président de la Cour d'arbitrage "Mizan".

Cet expert en matière d'arbitrage, y compris le volet numérique et technologique, explique à Médias24, comment l'intelligence artificielle, dans le règlement des différends, est appelée à gagner du terrain jusqu'à se substituer à l'humain dans certains cas. Encore faut-il développer la data juridique disponible, de manière à ce qu'elle soit exacte et suffisante.

Si "la machine" peut remplacer l'humain dans le règlement de certains types de litiges, Me Hajji estime que la complexité et la nature d'autres différends ne peuvent être soumis à une solution numérique. Du moins pour le moment.

Médias24 : Quelle place occupe aujourd’hui l’intelligence artificielle dans le règlement, voire la prévention des différends ?

Me Amin Hajji : L’utilisation de l’intelligence artificielle dans le règlement ou la prévention des différends en est encore à ses prémices. Il faudrait sans doute évoquer les outils d’intelligence artificielle actuellement disponibles sur le Net, à titre gratuit ou payant, comme des instruments juridiques d’aide à la décision pour appréhender des questions d’ordre juridique qui peuvent se poser à des juristes ou non-juristes ; avec un rendu en langage naturel facile à lire et dans toutes les langues, y compris la langue arabe.

Il reste bien entendu l’importante question liée à la disponibilité de la bonne et exacte data juridique, qui n’est accessible et incluse dans le Big Data ou dans des bases privées de prestataires spécialisés en intelligence artificielle dédiés au domaine du droit, que pour des pays généralement occidentaux ayant ouvert l’accès au public de leurs données juridiques ; incluant les lois et les jurisprudences des tribunaux régulièrement mises à jour.

- Pensez-vous que la place qu’occupe l’intelligence artificielle dans le règlement des différends est appelée à prendre de l’expansion ?

- Sans doute. Cette expansion se fera naturellement avec l’amélioration en quantité et en qualité des données juridiques disponibles dans le Big Data et qui serait assimilable par les programmes algorithmiques élaborés, notamment pour approcher des questions litigieuses qui peuvent être soumises aux juridictions judiciaires ou arbitrales.

L’accès immédiat à la juste information juridique est primordial

- Dans quelle mesure l’intelligence artificielle peut-elle servir l’arbitrage ?

- L’arbitrage, qui est connu pour être un mode alternatif et privé de règlement des différends par rapport à celui des tribunaux étatiques, est celui qui est naturellement le plus permissif pour accueillir de telles technologies qui fonctionnent sous une programmation d’intelligence artificielle.

Il faut également relever que l’arbitrage a bien souvent une dimension internationale qui peut référer à des juridictions différentes, tant sur le fond du litige que sur le procédure arbitrale. Le sujet est complexe, mais pour rester simple, l’accès immédiat à la juste information juridique est primordial pour appréhender en amont toutes les questions de droit qu’il faudrait considérer, avec mesure, sur les faits, et décider de la meilleure stratégie à adopter pour la défense de ses intérêts tant en demande qu’en défense.

Et ceci, sans oublier que le tribunal arbitral devrait aussi bénéficier de tels outils pour mener à bien sa mission qui est de rendre justice à des personnes en contentieux.

Les litiges de masse peuvent être confiés à des solutions d’arbitrage numérique sans intervention humaine- Quelles en sont donc les limites ?

- Les limites sont celles qui différencient la machine de l’humain. Les litiges récurrents, sans aucune complexité de contenu et d’une valeur faible que l’on pourrait appeler "litiges de masse", peuvent être confiés à des solutions d’arbitrage numérique sans intervention humaine. À titre d’exemple, cela se fait actuellement en Chine et à Singapour.

Les grands opérateurs de commerce électronique, comme l’américain Amazon ou le chinois Ali Baba, ont élaboré des solutions de ce type qui permettent à leurs millions de clients qui pourraient avoir des contestations quant aux produits ou prestations offerts ou rendus, d’accéder à des plateformes numériques de règlement des différends pour définitivement trancher et indemniser ces mêmes clients mécontents ; dont la cause aurait été bien analysée dans les faits en droit par la solution privée de règlement des différends.

En revanche, les litiges complexes qui peuvent impliquer plusieurs parties de différents pays avec un objet de contentieux à multiples dimensions ne pourraient actuellement être soumis à une solution entièrement numérisée.

La machine intelligente pourrait se substituer à l’Homme pour ne laisser à ce dernier que la possibilité d’accepter ou de refuser de signer

- Selon vous, faut-il tout miser sur la technologie prédictive ?

- Absolument. La prédiction scientifique n’est pas de la voyance au sens traditionnel. La puissance d’analyse de la personne humaine ne pourrait que se bonifier avec une technologie prédictive pour aller encore vers une justice objective, tempérée avec l’empathie de l’Homme chargé de trancher en bonne justice un litige.

La technologie prédictive devrait être considérée, pour longtemps encore, comme un outil d’aide à la décision de l’Homme et qui peut toujours et de bonne foi faire des erreurs.

- La technologie prédictive se base sur les précédents, émanant d’humains. Or, le droit évolue avec son temps. Pouvons-nous dire que la technologie prédictive se limite à un outil d’aide à la décision seulement ?

- Oui. C’est l’Homme qui crée la machine, aussi prédictive qu’elle soit. Cependant, il est à noter que ces solutions algorithmiques sont auto-apprenantes et elles devraient atteindre, au fur et à mesure qu’elles atteignent un niveau de maturité, une forme de perfection dans les réponses analytiques rendues aux personnes qui les auraient sollicitées.

La prédiction scientifique n’est pas de la voyance

L’évolution machine et Homme devrait progresser d’une manière parallèle en fonction de l’évolution de la matière première qui est le droit ou la data juridique normalisée et accessible librement dans le monde entier. Dans le futur, la machine intelligente pourrait se substituer à l’Homme pour ne laisser à ce dernier que la possibilité d’accepter ou de refuser de signer une décision valablement établie dans la forme et motivée au fond.

- Les parties vont-elles accorder leur confiance à un arbitre virtuel ?

- À date d’aujourd’hui, une telle solution pourrait être mise en œuvre par les grands comptes qui ont des millions de clients et qui auraient des petits litiges non susceptibles d’être soumis à la justice étatique ni confiés à des avocats. Ces entreprises publiques ou privées, comme la CNSS, Maroc Telecom, Inwi, la RAM, l’ONCF et d’autres, devraient elles-mêmes prendre de telles initiatives pour des solutions qui seraient apportées par un arbitre virtuel ; sans pour autant que les règles de l’arbitrage applicables ne soient appréhendées comme des règles procédurales obligées.

Le législateur marocain devrait sans doute prendre en considération de telles potentielles évolutions technologiques pour les inclure dans la prochaine production législative en matière d’arbitrage interne en particulier.

- Pensez-vous que les arbitres et centres d'arbitrage seront remplacés par l'intelligence artificielle ? 

- Il est encore trop tôt pour l’affirmer. Il faut d’abord que les machines intelligentes prennent de la maturité avec les apprentissages transmis par l’Homme, avant de pouvoir faire de l’auto-apprentissage, puis enfin devenir autonomes en termes de décision.

Toutefois, le processus pourrait être très rapide avec les progrès actuels de la physique quantique appliquée aux sciences algorithmiques. Un centre d’arbitrage, ouvert à ces nouvelles technologies pourrait, par exemple, proposer à ses potentiels utilisateurs, qui seront toujours des humains, des solutions d’arbitrage en mode présentiel pour les litiges complexes ; ou en mode digital pour ce qui est des litiges de complexité moyenne. Et ce, avec des plateformes dédiées, sans requérir la présence physique des parties, de leurs conseils ou des arbitres. Mais aussi, en mode numérique pour de petits ou moyens litiges, avec un ou des arbitres virtuels, avec la possibilité de présence physique d’un arbitre uniquement, pour valider, ou non, une sentence d’arbitrage numérisée rendue dans un contentieux présentant une certaine complexité.

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