Ouvrières agricoles. L’insécurité routière, un des aspects de la précarité de ces femmes invisibles

Victimes récurrentes d’accidents de la route dans les transports collectifs, les ouvrières agricoles sont également en proie à des conditions de travail difficiles.

Ouvrières agricoles. L’insécurité routière, un des aspects de la précarité de ces femmes invisibles

Le 6 juillet 2023 à 13h46

Modifié 6 juillet 2023 à 13h51

Victimes récurrentes d’accidents de la route dans les transports collectifs, les ouvrières agricoles sont également en proie à des conditions de travail difficiles.

Le 28 juin, sur la route reliant Souk El Hed à Kénitra, un véhicule transportant des ouvrières agricoles a été impliqué dans un accident de la route, blessant 28 personnes.

La fréquence de ce type daccidents interroge sur les conditions de travail de cette catégorie douvriers, en particulier celles des femmes, qui subissent davantage de contraintes, notamment discriminatoires, comme le relèvent plusieurs études dont celles menées par Lisa Bossenbroek, docteure en sociologie rurale, affiliée à lInstitute of Environmental Sciences, RPTU – Landau (Allemagne) et au laboratoire LADSIS de la faculté des lettres et des sciences humaines Aïn Chock ; et par Hind Ftouhi, professeure de sociologie à lInstitut national daménagement et durbanisme (INAU).

Contactées par Médias24, elles reviennent sur les conditions précaires des ouvrières agricoles, notamment lorsquil sagit dinsécurité routière, lune des problématiques phares auxquelles elles font face et qui a récemment été soulevée au Parlement.

Le ministère a suggéré plusieurs solutions

Le récent accident survenu sur la route de Kénitra sajoute à la longue liste évoquée à la Chambre des conseillers ce mardi 4 juillet par le groupe parlementaire de la CDT, qui a interpellé Mohamed Abdeljalil, ministre du Transport, sur la récurrence de ces accidents dans lesquels périssent des ouvriers agricoles.

Khlihan El Karch, coordinateur du groupe de la CDT, parle dun "phénomène" qui soulève de nombreuses interrogations, puisquentre février et mai 2023, quatre gros accidents impliquant des ouvriers agricoles ont été enregistrés dans différentes régions :

- Martil (février) : un véhicule de transport douvrières a été renversé, causant un décès et 30 blessées ;

- Province de Khemisset (mars) : un car transportant 32 personnes renversé. Bilan : une dizaine de décès et plusieurs blessés ;

- Sidi Bibi (avril) : 16 blessés dont quatre cas graves ;

- Choutak Ait Baha (mai) : 14 blessés. 

Pour le ministre, la question ne concerne pas uniquement les ouvriers agricoles. Elle s’inscrit dans la problématique plus large de la sécurité routière, dont les indicateurs "ont connu une amélioration durant les derniers mois, bien qu’ils restent en dessous des objectifs de la stratégie nationale".

Concernant le cas particulier des ouvriers agricoles, et compte tenu du caractère local et saisonnier du transport qui les concerne, Mohamed Abdeljalil a indiqué que son département avait "proposé d’introduire ce type de transport dans les travaux de la commission chargée de mettre en œuvre le chantier régional élargi", mais aussi de "renforcer le contrôle routier". 

De plus, parmi les solutions envisageables, il a évoqué "le recours des employeurs, au niveau des exploitations ou des coopératives agricoles, à l’utilisation du transport du personnel, qui est encadré pour garantir la sécurité des employés".

La sociologue Lisa Bossenbroek, qui a mené des entretiens, sur le terrain, avec les ouvrières agricoles, nous explique : "L’insécurité liée au transport est un sujet récurrent, qui est souvent revenu lors de mes échanges avec les ouvrières agricoles. Elles soulignent les infractions fréquentes au Code de la route, les véhicules dangereux et non conformes au transport du personnel et les entassements de 25 à 30 ouvriers dans des véhicules ne pouvant en accueillir qu’une dizaine, et qui donnent lieu, parfois, à des accidents de la route, ainsi qu’à des attouchements sexuels et non souhaités."

Selon cette sociologue du monde rural, "les transporteurs sont, parfois, rémunérés par personne transportée ; une grande partie d’entre eux a donc intérêt à faire monter le plus de personnes possible". D’autant que dans de nombreux cas, la distance à parcourir est conséquente. "Certains agriculteurs ou certaines entreprises agricoles parcourent 100 km pour trouver une main-d’œuvre et récupérer les ouvrières. Il faut dire aussi que la route est souvent impraticable dans le rural, ce qui rend le transport des ouvrières plus dangereux".

"A une échelle locale, la responsabilité revient au caporal, qui est responsable du groupe de femmes, mais aussi à l’agriculteur qui, pour minimiser les coûts de la production, a intérêt à faire transporter le plus d’ouvrières possible. Au niveau régional et national, la responsabilité incombe aux décideurs politiques et au ministère de tutelle, qui doit imposer des sanctions pour empêcher le transport dans des conditions précaires", complète de son côté Hind Ftouhi.

La précarité saccentue en période de crise

Cette précarité va au-delà de linsécurité routière. "Elle saccentue au moment des crises", souligne Hind Ftouhi. Ce fut le cas pendant la crise sanitaire, qui a "aggravé les conditions précaires dans lesquelles vivent ces femmes. Obligées de sortir pour chercher du travail malgré les restrictions, elles se sont heurtées à un dilemme : d’un côté, la nécessité de sortir travailler pour subvenir aux besoins de la famille ; de l’autre, la culpabilité de devenir un vecteur de transmission".

"De plus, certaines ouvrières n’ont pas pu bénéficier des aides allouées par l’Etat, même en étant responsables de leur ménage. N’étant pas considérées comme cheffes de foyer, elles n’ont pas été déclarées éligibles aux aides", poursuit Hind Ftouhi.

Depuis, "les anciennes pratiques avant le Covid ont persisté", reprend Lisa Bossenbroek. Beaucoup de ces ouvrières "continuent de travailler comme elles le faisaient auparavant, c’est-à-dire dans des conditions de travail sans contrat et sans sécurité sociale, avec peu de considération pour leur activité et toujours la même nécessité d’obtenir un salaire qui permette de subvenir aux besoins de leur famille".

"Ces femmes ne disposent pas vraiment d’opportunités d’ascension professionnelle, contrairement aux hommes. Certaines sont aussi victimes de harcèlements sexuels et verbaux, bien que le sujet, encore tabou, soit difficile à aborder pour elles."

Lisa Bossenbroek estime que "l’idéal, pour régler ces contraintes, est dabord de valoriser leur travail auprès de lopinion publique, de respecter le cadre légal du travail agricole en termes de rémunération et de sécurité sociale, garantissant un travail digne et continu, même si certaines préfèrent le paiement journalier pour mieux négocier en fonction des périodes de pic, notamment celle de la récolte. Enfin, il est urgent de créer les mécanismes d’organisation du transport agricole pour éviter de tels malheurs sur la route".

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