Expérimentation et adaptation, les clés de la réforme éducative au Maroc

DÉBAT. La réforme du système éducatif a été le thème de la journée d'inauguration de l'école d'été organisée par l'UM6P sur les méthodologies du développement. La complexité d'une telle réforme nécessite un long travail d'expérimentation plutôt que des politiques publiques basées sur des solutions non appuyées par des preuves.

Expérimentation et adaptation, les clés de la réforme éducative au Maroc

Le 4 juillet 2023 à 19h37

Modifié 5 juillet 2023 à 15h34

DÉBAT. La réforme du système éducatif a été le thème de la journée d'inauguration de l'école d'été organisée par l'UM6P sur les méthodologies du développement. La complexité d'une telle réforme nécessite un long travail d'expérimentation plutôt que des politiques publiques basées sur des solutions non appuyées par des preuves.

Dans tous les pays du monde, les systèmes éducatifs sont extrêmement difficiles à réformer. Malgré les innovations pédagogiques ou de politique publique, il n’y a pas de recette magique. En revanche, il est possible, en se munissant de patience et sans chercher à révolutionner tout le système, à réaliser des avancées importantes en cumulant les améliorations par le biais de l’expérimentation de différentes solutions, en les adaptant au contexte local.

"Le vrai défi, c’est d’exploiter toutes les ouvertures et d’en forcer de nouvelles à chaque occasion." C’est l’approche que préconise Esther Duflo, lauréate du prix Nobel d’économie en 2019 et spécialiste de l’économie du développement, et à laquelle semblent s’arrimer Chakib Benmoussa, ministre de l’Education nationale, et son équipe pour la feuille de route de réforme du secteur au Maroc.

Les deux sont intervenus lors de la journée inaugurale de l’école d’été "Méthodologies du développement" sur le thème "Politiques fondées sur les preuves : promouvoir l’innovation pour une éducation de qualité", organisée entre autres par l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P) en partenariat avec le Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-Pal), l’Agence française de développement (AFD) et Lab de l'emploi Maroc (MEL).

La politique publique basée sur les preuves passe par l'expérimentation

Esther Duflo, qui connaît bien le cas marocain puisqu’elle a travaillé depuis 2006 sur l’implémentation du programme Tayssir, rappelle l’importance de l’éducation dans la question du développement. En effet, le PIB par habitant dans un pays est fortement corrélé à la qualité de l’enseignement et du système scolaire.

Mais la corrélation n’est pas suffisante pour tirer des conclusions scientifiques, estime la professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT), surtout connue pour avoir introduit des méthodes expérimentales dans le monde de la recherche en économie, comme celle des "essais randomisés contrôlés".

À travers ces recherches conduites dans plusieurs pays émergents ou en développement, elle jette la lumière sur des tentatives d’amélioration de la qualité de l’éducation. C’est le cas par exemple de l’abandon du programme scolaire par la ville de Delhi, pour se libérer de ce que l’on appelle dans le jargon "la tyrannie du programme" ou "la tyrannie du curriculum". L’expérience a montré qu’à la fin de leur scolarité, les étudiants de Delhi réussissaient mieux les examens de ce même programme.

En Inde également, une application de soutien scolaire appelée "Mindspark", qui utilise l’intelligence artificielle pour s’adapter au niveau de l’élève et lui proposer des exercices sur mesure, a également fait ses preuves.

Les solutions qui paraissent évidentes ne marchent pas

En revanche, "les solutions qui paraissent évidentes ne marchent souvent pas", estime Abhijit Banerjee, co-lauréat du prix Nobel d’économie en 2019, co-fondateur et co-directeur du J-PAL avec son épouse Esther Duflo. Il a cité l’exemple de l’Indonésie où les salaires des enseignants ont été fortement augmentés sans que la qualité de l’apprentissage ne s'améliore pour autant.

Par la même occasion, il explique que contrairement à l’idée reçue, il n’y a aucune preuve que soutenir les ménages pauvres avec de l’aide financière directe encourage la paresse. Les données collectées sur les dix ans de déploiement du programme Tayssir, comme pour d’autres programmes de par le monde qui lui ressemblent, en sont la preuve, souligne-t-il.

En contrepartie, parmi les innovations qui sont considérées comme efficaces par Abhijit Banerjee, figure la méthode de remédiation scolaire "Teaching at the right level" (TARL) qui a fait ses preuves dans plusieurs pays qui souffrent des mêmes maux que le Maroc.

La méthode TARL adoptée au Maroc après une phase d'expérimentation et d'adaptation

Celle-ci a été initiée dans le Royaume depuis quelques années dans le cadre de l’Initiative nationale du développement humain (INDH), avant d’être adoptée par le ministère de l’Education nationale en phase pilote au cours de l’année scolaire 2022-2023. Puis elle a été élargie à un plus large spectre "d’écoles pionnières" qui se sont engagées de manière volontaire dans ce programme.

Découlant des recommandations du Nouveau Modèle de développement, l’implémentation de cette méthode se base sur l’expérimentation. Dans l’effort de construction d’une version marocaine de la méthode Tarl, une vingtaine de gestes clés à mettre en place ont été identifiés, a indiqué Youssef Saâdani, conseiller auprès du ministre de l’Education nationale, du préscolaire et des sports.

D’origine indienne, cette méthode a été adaptée à la réalité marocaine lors de la phase pilote. Elle concerne actuellement 320.000 élèves et 11.000 enseignants formés à la méthode, a précisé Chakib Benmoussa lors de son allocution. Sa généralisation progressive vise à remédier à l’accumulation des lacunes d’apprentissage.

En effet, les chiffres à disposition du ministère indiquent que deux tiers des élèves n’arrivent pas à acquérir les savoirs fondamentaux à l’issue de l’école primaire. L’objectif à moyen terme est d’au moins réduire ce chiffre à un tiers, a expliqué Youssef Saâdani.

Résoudre le problème à la base ne se fera pas d'un coup de baguette magique

Pour l’atteindre, la feuille de route du ministère s’appuie sur deux piliers. Le premier est de type curatif, qui repose sur la remédiation scolaire à travers la méthode TARL. L’autre pilier est de type préventif, visant à résoudre le problème à la base et ne plus reproduire les mêmes phénomènes d’accumulation de lacunes.

Pour ce deuxième pilier, d’autres méthodes sont expérimentées comme celle de l’enseignement explicite. Celle-ci a fait l’objet d’une présentation réalisée par Laurent Lima, directeur du Département des sciences de l’éducation de l’université Grenoble-Alpes.

Elle repose sur le système de mémoire et de fonctionnement de l’attention chez l’être humain. Elle s’appuie sur le soutien et l’étayage des enseignants aux élèves pour avancer dans l’apprentissage. Concrètement, elle consiste à segmenter les apprentissages complexes en sous-unités plus simples. Les méta-analyses sur les données de soixante ans de déploiement de ces méthodes montrent son effet favorable sur l’apprentissage.

Youssef Saâdani a expliqué, pour sa part, que la construction d’un modèle marocain se fonde sur un processus constitué d’expérimentation, de feedback du terrain, d’itération et de validation. Plusieurs méthodes sont expérimentées dans une approche d’innovation, de convergence et d’adaptation au contexte.

Un bon design d'une politique publique ne suffit pas

Pour sa part, Younes Sekkouri, ministre de l'Inclusion économique, de la petite entreprise, de l'emploi et des compétences, a souligné que même en s'assurant de bien concevoir une politique publique, cela ne suffit pas à garantir sa mise en œuvre. C'est le cas de celle du statut de l'enseignant qui peine encore à convaincre les partenaires sociaux, même si elle apporte des augmentations de salaire et des avantages financiers importants.

"On se retrouve dans des choses qui n’ont rien à voir avec la réforme, la réparation des perceptions d’injustice du passif", déclare le ministre. Mais, d'après lui, cette question est cours de résolution. Il explique que les syndicats en discussion avec le gouvernement insistent sur des revendications de promotion pour des enseignants bloqués à l'échelle 11, parfois pendant plus de vingt ans.

Trouver un accord avec les syndicats sur cette question, et celle de la réforme du secteur de l'éducation en général, permettra de débloquer d'autres dossiers sociaux, car les partenaires sociaux sont les mêmes. Mais trouver une solution nécessite du temps, puisque cela implique de renégocier les budgets, réaligner les objectifs, etc.

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