Qui est Butec, le groupe libanais qui a repris les activités d’Engie au Maroc

Propriétaire du géant Butec, un groupe de référence au Moyen-Orient dans les métiers de la construction industrielle, la famille Younes est le premier gros investisseur libanais au Maroc. Le groupe a racheté les activités de services du français Engie en Afrique subsaharienne et dans le Royaume, où il compte devenir un précurseur du stockage des énergies renouvelables. Voici son histoire et sa stratégie...

Qui est Butec, le groupe libanais qui a repris les activités d’Engie au Maroc

Le 26 juin 2023 à 10h40

Modifié 30 juin 2023 à 10h40

Propriétaire du géant Butec, un groupe de référence au Moyen-Orient dans les métiers de la construction industrielle, la famille Younes est le premier gros investisseur libanais au Maroc. Le groupe a racheté les activités de services du français Engie en Afrique subsaharienne et dans le Royaume, où il compte devenir un précurseur du stockage des énergies renouvelables. Voici son histoire et sa stratégie...

Janvier 2022. Un nouvel acteur fait son entrée sur le marché marocain de la construction industrielle en rachetant les activités de services du français Engie dans le Royaume, mais aussi en Afrique subsaharienne. Derrière ce groupe, inconnu dans notre région, une famille libanaise du nom de Younes, la première à investir dans un projet de cette taille au Maroc. Le père, Nizar Younes, un ingénieur et un économiste chevronné, auteur de plusieurs ouvrages sur le Liban, a fondé le groupe en 1964, et c’est son fils, Ziad Younes, qui le dirige actuellement. Le groupe est tellement méconnu au Maroc et en Afrique que la BMCI (filiale de BNP), banque principale d'Engie, décide de fermer les robinets de crédit au nouvel acquéreur, déclenchant un rififi judiciaire entre la banque et la firme.

>> Lire aussi : Rififi judiciaire entre Engie Services Maroc et BMCI 

Les choses sont vite rentrées dans l’ordre quand les banquiers d’Engie ont rencontré le nouveau patron : un jeune ingénieur, passé par l’école Polytechnique et le prestigieux MIT, qui dirige un des plus grands groupes de construction industrielle au Moyen-Orient, avec un track record et des références à rendre jaloux les géants mondiaux du secteur.

"C’était un malentendu causé certainement par un manque de communication. Les banquiers ne nous connaissaient pas, mais on a appris à se connaître, et cette histoire est aujourd’hui derrière nous", nous confie le président du conseil d’administration de Butec, Ziad Younes.

Du Liban aux pays du Golfe, un développement à pas de géant

Si le groupe est né au Liban, dans la capitale Beyrouth, toutes ses grandes réalisations se situent dans le Golfe : en Arabie saoudite, au Qatar, en Irak, en Jordanie, aux Emirats arabes unis, où Butec a installé son siège social, dans la cité d’affaires de Dubaï, avec comme actionnaires la famille fondatrice, les salariés du groupe (plus de 6.000 dans une dizaine de pays) et la filiale de la Banque mondiale, la SFI. La spécialité de Butec : construire et livrer des usines industrielles clés en main. Et ce, dans des secteurs de pointe : l’énergie, l’eau, le pétrole, le gaz et les industries lourdes.

Au Moyen-Orient, le groupe a comme référence tout ce que compte la région comme géants industriels, à l’image des mastodontes Aramco et Qatar Energy.

"Avec ces deux leaders mondiaux dans le domaine Oil & Gas, nous avons travaillé sur des installations de stockage, de transport, de traitement du gaz… Réaliser de gros projets industriels clés en main, c’est notre métier historique. Et quand on dit des projets clés en main, cela peut porter aussi sur des usines d’épuration d’eaux usés comme aux Emirats, des unités de dessalement de l’eau de mer au Qatar, ou des réseaux de transmission et de distribution d’assainissement d’eau potable, d’unités de production d’électricité en Irak…", décrit Ziad Younes.

Le groupe s’est illustré aussi par son sens de l’innovation et de l’anticipation des tendances dans le secteur de l’énergie. Il a été par exemple le premier à réaliser des centrales de stockage d’électricité dans des batteries, projet réalisé pour le compte de l’agence émiratie d’électricité. Et ce dès 2009 ! "C’était le tout premier projet pilote dans la région. Personne ne parlait à l’époque de stockage d’électricité…"

Dans l’industrie lourde, le groupe a bâti également la méga usine d’aluminium d’Abu Dhabi, la plus grande unité de profilé d’aluminium au Moyen-Orient, ainsi que des usines d’acier un peu partout dans la péninsule arabique.

"Des métiers d’ingénierie où la productivité dépend de la matière grise de vos ingénieurs, car votre valeur ajoutée est de réfléchir avec le client pour faire des optimisations techniques et créer de la valeur. C’est le prototype parfait de ce que nous avons appris à l’école en tant qu’ingénieurs, faire de l’optimisation sous contrainte", nous explique Younes Ziad, avec un brin de passion pour ce métier qu’il a hérité de son père.

17 firmes en Afrique, avec Casablanca comme base arrière

En parallèle de son métier historique, Butec s’est diversifié également dans les services techniques. "Des métiers où nous avons besoin de la même population d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers spécialisés, mais avec des objets contractuels différents, des travaux d’efficacité énergétique ou hydraulique, des travaux d’installations d’ouvrages électromécaniques, des services de maintenance technique, tout ce qui est facility management, mais aussi des services de gestion déléguée de service public", nous explique le patron de Butec, dont la firme gère actuellement le service de distribution d’eau et d’électricité sur un tiers du territoire libanais. Un peu comme la Lydec à Casablanca ou la Redal à Rabat.

Et c’est à partir de là qu’est venue l’idée de croître en Afrique, un continent où ce type de services techniques est en plein essor.

"Dans nos métiers, l’Afrique affiche un grand potentiel sur les cinquante prochaines années. Nous nous intéressons particulièrement à des pays qui sont déjà développés en matière d’infrastructures et qui sont aptes à utiliser ces services, et dont l’économie n’est pas liée au marché du pétrole. Quand on met ces contraintes-là, il ne vous reste pas beaucoup de choix en Afrique, puisque les pays qui répondent à ces critères sont d’abord le Maroc, la Côte d’Ivoire et l’Afrique du Sud. Ce sont des marchés mûrs, accueillants, avec des économies de marché qui fonctionnent bien", raconte le patron du groupe libanais.

Cette réflexion stratégique lancée par Ziad Younes a coïncidé avec la décision d'Engie de se désengager du continent en 2019 dans les activités de services, pour des raisons davantage liées au changement de la stratégie mondiale du groupe français qu’à des problématiques de marché ou de potentiel de croissance.

"En effet, à la fin du mois de mars 2022, et pour des raisons de simplification du Groupe, Engie a cédé une partie seulement de ses activités de services à l’énergie, en Afrique et au Maroc, au groupe libanais Butec. Les activités concernées comprennent les opérations d’efficacité énergétique, de maintenance, de ventilation et climatisation, d’installation industrielle, de maintenance multi-techniques et de facility management", nous précise Anas Hamri, chargé des relations institutionnelles, de la communication et de la RSE au sein d’Engie Afrique du Nord. Le bureau du Groupe Engie basé à Casablanca pilote ses activités au Maroc, en Egypte et au Sénégal.

Et d'ajouter, "ceci dit, le Groupe Engie n’a quitté ni le continent africain ni le Maroc et reste un acteur présent et actif en Afrique à travers ses autres activités de production d’énergie renouvelable à faibles émissions de carbone, de dessalement d’eau de mer et de production d’électricité associée, de développement et d’études d’infrastructures énergétiques bas-carbone, du vecteur hydrogène, ...".

Ziad Younes saisit l’occasion au vol et entre en discussion avec le groupe français. Bilan des courses : Engie cède les activités concernées au groupe libanais, incluant celles basées au Maroc, dont Ziad Younes a décidé de faire sa base arrière pour piloter le nouveau business en Afrique.

En plus du Maroc, Butec se retrouve ainsi propriétaire de l’ensemble des 17 sociétés du groupe Engie en Afrique, opérant essentiellement dans les métiers d’efficacité énergétique, de maintenance, de ventilation et climatisation, de mobilité verte, de maintenance multi technique et de facility management. Des activités présentes dans une quinzaine de pays et qui sont portées principalement par Engie Services Maroc et Engie Services Côte d’Ivoire.

Mais c’est à Casablanca que Ziad Younes a décidé d’installer son quartier général, lui qui se définit aujourd’hui comme bidaoui.

"Le Maroc est central pour nous. Et ce qui est intéressant ici, c’est que même si la société a changé plusieurs fois d’actionnaires, elle a toute une histoire propre à elle, avec des ressources humaines d’une grande qualité et qui ont développé au fil des années une grande expertise. C’est une vraie entreprise marocaine, pas une entreprise d’expatriés, qui a de vraies compétences et un savoir-faire sur lequel on peut bâtir notre développement. L’essentiel pour nous, c’est que cette entreprise garde son âme."

Autre point que soulève Ziad Younes, et qui est intéressant à noter venant d’un investisseur étranger qui s’installe au Maroc, c’est le positionnement stratégique du Royaume en Afrique et son système bancaire.

"Le Maroc est intéressant pour notre politique d’expansion en Afrique de l’Ouest, car il y a une vraie facilité à développer des affaires au sud du Sahara depuis le Royaume. Nous sommes d’ailleurs en train de créer une entreprise à CFC pour ce volet développement africain. Et l’autre grand avantage quand on est au Maroc, c’est qu’on se fait accompagner par un système financier qui est présent en Afrique du Nord et de l’Ouest, qui connaît bien le terrain et les réalités économiques dans ces pays-là."

Stocker de l’énergie renouvelable par l’hydrogène, l'ambition marocaine de Butec

Mais si ce passionné d’ingénierie a récupéré les actifs d’Engie au Maroc et en Afrique, avec un portefeuille de projet déjà existant, il ne veut pas continuer de faire du 'Engie', mais apporter sa propre touche.

"Le groupe a beaucoup de choses à apporter au niveau de l’expertise technique, en injectant le savoir-faire que nous avons, en exploitant aussi nos capacités d’achat à travers nos centrales, et en mettant en place nos méthodes de gestion de projets. Et l’objectif au Maroc n’est pas de venir faire la compétition aux entrepreneurs marocains qui font des ouvrages d’art. Il ne s’agit pas de créer de la valeur en faisant ce que les autres savent faire, mais en investissant des créneaux nouveaux… C’est dans ces créneaux-là que nous, en tant qu’entreprise marocaine Butec Maroc, nous voulons travailler, nous développer…", explique le président de la firme.

La stratégie de Ziad Younes et de son conseil d’administration : continuer de développer l’existant, tout ce qui est projets de construction industrielle avec OCP et d’autres grands donneurs d’ordre public et privé marocains (Tour Mohammed VI de Salé, ONEE, opérateurs télécoms, industriels de tous genre…), mais miser sur un créneau d’avenir : l’efficacité énergétique et hydraulique, en utilisant des process nouveaux, innovants.

"Au Maroc, il y a une réalité économique et un marché très développé dans les énergies renouvelables. Ces énergies n’ont plus besoin d’être subventionnées, car elles sont rentables. Et il y a une vraie prise de conscience de l’importance de contrôler sa facture énergétique, mais aussi hydrique, dans la consommation d’eau. Si on pousse le raisonnement, ce qui s’est passé dans la production d’énergies renouvelables qui est devenue économiquement rentable va se passer à l’avenir dans le stockage de ces mêmes énergies. Et c'est dans ce créneau du stockage de l’énergie renouvelable où l'on veut être actifs", nous confie le patron de Butec.

Et pour stocker de l’énergie, un vaste chantier que nombre d’opérateurs et d’Etats explorent encore, Ziad Younes a déjà une idée en tête : utiliser l’hydrogène vert.

"Je m’attends à ce que l’hydrogène soit la façon la moins chère pour stocker les énergies renouvelables. Pour moi, c’est ce qui va se faire dans le futur. L’énergie qui va être produite, par exemple dans les heures de soleil, va servir à produire de l’hydrogène vert, qui va servir par la suite à être consommé pendant les heures où il n’y pas de soleil", nous explique-t-il.

Et pour cela, pas besoin, selon notre ingénieur, de grands projets trop gourmands en capitaux.

"Je ne suis pas un adepte des grands projets de transport d’hydrogène continentaux selon le modèle français. Je suis plutôt dans l’approche décentralisée allemande, transformer de façon décentralisée l’énergie renouvelable en hydrogène, et l’utiliser dans les bus des villes, dans les réseaux de gaz, alimenter les réseaux d’électricité ou l’utiliser dans l’industrie. Nous voulons être un acteur de ce trend, accompagner cette transition, être utile dans la politique d’efficacité énergétique du Royaume", détaille le patron de Butec.

Une vision en phase avec les gros projets lancés par le Maroc dans l’hydrogène vert qui sont portés pour l’instant par OCP, avec qui le groupe collabore sur d’autres projets industriels.

"OCP, on travaille déjà avec lui. Ça va être en effet le premier investisseur pour lancer le marché de l’hydrogène vert, c’est un peu son rôle d’être le précurseur. Sa réussite fera des émules et attirera d’autres opérateurs dans le secteur. Je suis de ceux qui pensent que la chance ne vient pas par hasard. Il faut être là, l’accompagner et la capturer, être attentif au marché, à ce qui se passe, aux évolutions futures…", conclut Ziad Younes.

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