À Dakhla, les yardangs ou l’ineffaçable passage du vent

A LA DECOUVERTE DU MAROC. Peu connus, les yardangs sont des formes rocheuses spectaculaires, sculptés à travers les âges par les vents dominants. Des scientifiques ont identifié et documenté pour la première fois au Maroc ces crêtes mystérieuses, traces indélébiles du souffle du vent. Le géologue et premier auteur de l’étude consacrée aux yardangs, Driss Chahid, démystifie pour nous leur genèse et leur évolution.

Zoom sur les cavités d'un yardang à Dakhla - Crédit Photo Driss Chahid

À Dakhla, les yardangs ou l’ineffaçable passage du vent

Le 25 juin 2023 à 10h16

Modifié 25 juin 2023 à 10h18

A LA DECOUVERTE DU MAROC. Peu connus, les yardangs sont des formes rocheuses spectaculaires, sculptés à travers les âges par les vents dominants. Des scientifiques ont identifié et documenté pour la première fois au Maroc ces crêtes mystérieuses, traces indélébiles du souffle du vent. Le géologue et premier auteur de l’étude consacrée aux yardangs, Driss Chahid, démystifie pour nous leur genèse et leur évolution.

"C’est un travail de recherche inédit dans les provinces du Sud", affirme la paléoanthropologue et archéologue Aïcha Oujaa en référence à l’étude des yardangs de Dakhla qui a abouti, en avril dernier, à la publication scientifique intitulée "First identification of yardangs in the Dakhla region" ("Première identification des yardangs dans la région de Dakhla").

La professeure-chercheuse à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap), par ailleurs co-auteure de l’étude, est une spécialiste des sites archéologiques de la région du Sud.

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Le caractère inédit de cette étude réside essentiellement dans le fait que "c’est la première fois que l’on identifie ce genre de 'formes' au Maroc. On ne savait pas auparavant qu’il y avait des yardangs chez nous. On trouve ce type de reliefs dans d’autres pays comme l’Argentine et la Chine, ou encore l’Amérique", précise Driss Chahid, premier auteur de la publication scientifique sur les yardangs.

Grâce à son background de géologue et son travail sur les formations côtières du Quaternaire de l’Atlantique marocain, Driss Chahid est à même d’expliquer les principaux résultats de ce travail de recherche qui relève essentiellement de la géologie.

Les Yardangs de Dakhla - Crédit photo Driss Chahid

Désert, la terre des yardangs

"Yardang", qui est l’appellation internationalement reconnue de ces reliefs, est originaire de la langue ouïghoure, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Elle signifie "petite colline escarpée" ou encore "rive abrupte". Ce terme a été proposé au début du XXe siècle par l’explorateur suédois Sven Anders von Hedin, lorsqu’il prospectait la région de Lop Nor du nord-ouest de la Chine. L’empire du milieu possède d’ailleurs la plus grande distribution de yardangs avec environ 20.000 km2 de superficie totale.

Les yardangs sont des formes d’érosion éolienne, résultat de l’action des vents dominants. On peut les trouver aussi bien dans les zones désertiques que sur d’autres planètes, comme Mars. En plus des vents, l’eau intensifie l’effet de l’érosion éolienne, suite aux précipitations.

Plusieurs facteurs favorisent, par ailleurs, le développement des yardangs. Il s’agit notamment de la topographie plate avec peu ou pas de végétation, qui caractérise par ailleurs la région de Dakhla, un vent relativement unidirectionnel à grande vitesse et chargé de particules de sable, et la faible résistance au vent de la plupart des roches, en particulier les grès dunaires. Notons que le sable transporté par le vent à grande vitesse agit sur ces reliefs comme un outil de sculpture. Sauf que c’est un travail qui se compte en milliers d’années.

L’âge de pierre

Les yardangs de Dakhla, selon les conclusions de l’étude, présentent une forme typique de "dos de baleine" ou de "larme" avec leurs longs axes orientés parallèlement au vent régional le plus fort et dominant (NNE). "L’action des vents intensifiée par l’action des pluies donne lieu par ailleurs à l’apparition des cavités et d’alvéoles que l’on peut observer dans ces reliefs", précise le géologue.

Quant à leur datation géologique, le rythme annuel de la sculpture des yardangs à travers les âges est influencé par de nombreux facteurs, difficiles à démêler. La lithologie, correspondant à la composition des sédiments ou de la roche, joue un rôle important. Et pour cause, la formation des yardangs est plus rapide dans les matériaux mous que dans les roches dures.

"Cela dit, puisque ces yardangs sont sculptés dans des roches datées de la fin du Pléistocène moyen (entre -774.000 et -129.000 ans, ndlr), il est prudent de supposer qu’ils ont été façonnés, de manière discontinue, tout au long du Pléistocène supérieur (entre -126.000 et -11.700 ans, ndlr) et jusqu’à nos jours", avance l’équipe des chercheurs dans l’étude.

Sérendipité

Qu’est-ce qui a mis le groupe de chercheurs sur la piste des yardangs, dont l’existence était jusque-là insoupçonnée au Maroc ? "Ce fut une pure coïncidence, un hasard ! En 2020, j’aidais des collègues chercheurs à mener, dans la région de Dakhla, une autre étude relative aux sites préhistoriques, car j’étais intéressé par le concept géologique de ces sites. Et au cours de cette mission archéologique, j’ai observé ces reliefs et je me suis dit : 'voilà des formes intéressantes qui mériteraient d’être étudiées'", nous raconte Driss Chahid.

À ce jour, Dakhla est la seule région où l’on peut observer ces affleurements. Et grâce à l’article scientifique "First identification of yardangs in the Dakhla region", l’existence de ces affleurements est désormais documentée.

Pour les besoins de cette étude, des images satellites haute résolution ont été utilisées pour observer la surface terrestre et effectuer une analyse géomorphologique de la région de Dakhla-Oued Ed-Dahab à l’aide du logiciel Google Earth. La faible végétation de cette zone désertique facilite d’ailleurs les mesures morphologiques des yardangs observables.

Pour aboutir à la publication scientifique d’avril dernier, Driss Chahid et ses collègues ont d’abord commencé par une mission de terrain en février 2021, pour observer de plus près la morphologie des yardangs et déterminer leur lithologie et leur structure sédimentaire. Cette mission a également permis une observation détaillée des surfaces rocheuses constituant ces monticules, en vue de déterminer les processus impliqués dans leur formation géologique.

Après cette mission de terrain, s’en sont suivies l’étude au laboratoire et l’analyse sur ordinateur de l’ensemble des données collectées. L’étude a nécessité en tout un an et demi de travail. "Après la rédaction du papier, nous l’avons soumis en 2022 pour publication", précise le géologue.

Erosion de la surface d’un yardang à Dakhla - Source Hal Open Source

Sur les pas du souffle

Si le vent est l’élément central dans la formation des yardangs, ceux de la région de Dakhla se caractérisent par leur puissance. Ils se dirigent du nord vers le sud et leur accélération peut parfois atteindre 70 km/h. La quasi-absence d’une couverture végétale dans de très vastes plaines facilite de facto aux vents violents de Dakhla le traçage de leurs sillons et la formation de ces reliefs.

Il existe par ailleurs différents types de yardangs. "Les yardangs se développent à différentes échelles : les micro-yardangs (échelle centimétrique), les méso-yardangs (échelle métrique) et les méga-yardangs, également appelés ravins, qui peuvent mesurer plusieurs dizaines de mètres de haut et plusieurs kilomètres de long. Ils se forment dans plusieurs lithologies, allant des matériaux mous aux roches dures. Les méso-yardangs peuvent se former dans des roches hétérogènes, tandis que les méga-yardangs sont principalement développés dans des matériaux résistants", peut-on lire dans l’article scientifique.

À Dakhla, dans la zone d’Aguerguer, allant du sud de Bir Gandouz à Lagouira, ce sont des méso-yardangs qui ont été identifiés, puisqu’il s’agit de formations géologiques de plusieurs mètres de long et de large. Les mesures effectuées sur le terrain montrent que les yardangs ont une hauteur moyenne comprise entre 1 et 7 mètres, leur largeur maximale se situant le plus souvent vers l’avant.

Carte géologique simplifiée de la région étudiée - Source Hal Open Source

Arc de vie

Ces méso-yardangs sont le résultat d’une série de transformations. Ces reliefs éoliens n’échappent pas au cycle de l’expansion et de la contraction, ce double mouvement alternatif qui régit toute chose. Les reliefs éoliens de la frange côtière au sud de Dakhla ont ainsi subi trois principales étapes de développement. Cette conclusion a été possible grâce aux données collectées pendant le travail de terrain des chercheurs et d’autres modèles relatifs à différentes parties du monde.

Durant la première phase de développement d’un yardang de Dakhla, les vents très puissants creusent des couloirs dans les irrégularités et fractures préexistantes de la topographie. Cela conduit à la formation d’escarpements et de surfaces segmentées.

Modèle d’évolutions des yardangs de Dakhla - Source Hal Open Source

La deuxième étape de la formation de ces reliefs est caractérisée, elle, par l’érosion continue et la déflation éolienne s’accompagnent par la dissolution des roches carbonatées. C’est ce que les géologues appellent des méga-yardangs. "Ces méga-yardangs sont des reliefs avec des formes kilométriques au sens de la largeur et la longueur", précise Driss Chahid.

Avec le temps, ces méga-yardangs commencent à se rétrécir pour donner lieu à des meso-yardangs. Ces derniers sont les yardangs que l’on observe actuellement. Ils sont plus petits et vont se rétrécir jusqu’à leur disparition totale. Ce qui nécessitera bien sûr plusieurs milliers d’années. C’est la troisième et dernière phase de l’arc de vie d’un yardang. Et encore aujourd’hui, le vent continue à les impacter. Quand ils disparaîtront totalement, ces yardangs laisseront place à des champs de dunes mobiles.

Pour les chercheurs, le travail sur ces reliefs éoliens ne s’arrête pas là. Selon le géologue Driss Chahid, cette première identification des yardangs de Dakhla fournit à la recherche une base scientifique pour des investigations futures, toujours en lien ces formes géologiques. L’une des pistes à explorer est la datation du grès d’Aguerguer dans lequel ces yardangs ont été taillés. Ce qui permettrait d’avoir encore plus d’informations sur la chronologie et l’évolution de ces "rives abruptes".

Cette étude géologique vient ainsi confirmer l’intérêt hautement scientifique des régions du Sud. Ces provinces constituent un terrain immense pour la recherche, dont la majeure partie reste encore à explorer. Le Sud est en ce sens un inestimable catalogue des multiples couches du passé historique, archéologique, géologique, paléontologique...

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