Au Maroc, de plus en plus de femmes ont recours à la congélation d’ovocytes

Pratiquée au Maroc, la congélation d’ovocytes permet aux femmes souhaitant avoir des enfants de congeler leurs ovules en vue de les fertiliser et les réimplanter plus tard. Focus sur cette pratique qui recèle une profonde mutation sociale.

(C) A.B pour MEDIAS24

Au Maroc, de plus en plus de femmes ont recours à la congélation d’ovocytes

Le 24 juin 2023 à 16h32

Modifié 24 juin 2023 à 16h52

Pratiquée au Maroc, la congélation d’ovocytes permet aux femmes souhaitant avoir des enfants de congeler leurs ovules en vue de les fertiliser et les réimplanter plus tard. Focus sur cette pratique qui recèle une profonde mutation sociale.

A 31 ans, Sahar est pleine d’ambitions. Fraîchement rentrée au pays après avoir obtenu son diplôme de commerce et travaillé quelques années dans des entreprises françaises, la jeune marocaine érige sa carrière professionnelle en priorité absolue. Elle nous explique que son but est d’épargner suffisamment pour lancer plus tard un business qui lui permettra d’accéder à l’autonomie, de se libérer du joug du salariat. Elle se donne environ cinq ans pour concrétiser ses aspirations.

Sahar est bien consciente que la réalisation de cet objectif implique de nombreux sacrifices. En plus du temps investi, et des épargnes qui augurent des fins de mois difficiles, elle devrait, du moins en principe, reléguer sa vie sentimentale au second plan et renvoyer aux calendes grecques son désir de maternité. Un choix qu’elle ne veut absolument pas faire.

Comme Sahar, de nombreuses femmes sont confrontées à ce dilemme. Opposer la carrière à la vie de famille n’est pas chose aisée. Mais elle pense entrevoir un début de solution. En effet, après en avoir parlé à ses amis proches, ces derniers lui ont soufflé une idée qui a, depuis, fait son chemin. C’est décidé : elle congèlera ses ovocytes, tant qu’elle peut encore en produire, pour les implanter quelques années plus tard lorsqu’elle aura atteint ses objectifs de carrière. Les ovocytes sont les cellules sexuelles de la femme dont certains deviendront des ovules, ou cellule reproductrice féminine.

18 centres spécialisés, un cadre légal embryonnaire

Au Maroc, la congélation des ovocytes est possible. Il existe en effet 18 centres spécialisés répartis entre Casablanca, Rabat, Tanger et Oujda qui permettent de réaliser cette opération.

Le recours à cette pratique est relativement récent; car bien que la toute première naissance d’un bébé-éprouvette date de 1978, elle ne s’est démocratisée au Maroc que très tardivement.

"Actuellement, on compte 4.000 cycles de FIV (fécondation in vitro, ndlr) par an au Maroc et 20.000 cycles d’insémination artificielle", nous apprend le Dr Noureddine Louanjli, biologiste de la reproduction. En revanche, s’agissant du recours à la congélation des ovocytes, "il est encore trop tôt pour disposer de statistiques sur cette pratique au Maroc, d’autant que la période a été chamboulée par la pandémie de Covid19", ajoute l’expert.

D’ailleurs, la loi 47-14, relative à l’assistance médicale à la procréation n’a été adoptée qu’en avril 2019 et n’est entrée en vigueur qu’à la fin de la même année.

Pourtant, des mutations silencieuses mais brutales sont en train de se produire dans la société marocaine. Comme en témoignent les statistiques officielles publiées par le Haut commissariat au plan (HCP), qui révèlent que l’âge au premier mariage ne cesse  d’augmenter. D’après les derniers chiffres, il est de 25 ans et demi en moyenne chez les femmes. Cet âge passe à 26,6 ans chez les citadines.

Strong independent women !

Forte de son expérience de 23 ans, Dr Amal Chabach, sexologue ayant pignon sur rue dans son domaine d’expertise, témoigne de l’ampleur de cette transformation. "Les jeunes couples sont de plus en plus conscients de leur sexualité. Ils distinguent désormais clairement les deux rôles qui y sont rattachés : le plaisir et la procréation", observe la spécialiste.

Toutefois, ce ne sont pas les couples qui sont les plus intéressés par la congélation d'ovocytes, mais bel et bien des jeunes femmes célibataires.

"Les jeunes femmes trentenaires s’intéressent de plus en plus à leurs études et à leurs carrières. Et plutôt que de tomber dans le piège de se presser pour trouver un partenaire avec lequel elles fonderont leur foyer, elles préfèrent se focaliser sur leur autonomie en attendant de rencontrer le bon partenaire. Bon nombre de ces jeunes femmes ont recours, par sécurité, à la congélation d’ovocytes. J’en ai suivi un grand nombre", rapporte la sexologue.

Le recours à cette pratique est plus fréquent depuis que le législateur s’est prononcé sur le sujet. Pourtant, ces jeunes femmes boudent les centres marocains d’assistance médicale à la procréation et leur préfèrent des centres basés à l’étranger, en Europe particulièrement. "Toutes celles qui m’ont consultée ont opté pour l’Espagne. Car avec les conditions imposées par la législation marocaine, elles risquent de perdre leurs ovocytes dans le cas où elles ne sont pas mariées au moment choisi pour l’implantation", révèle le Dr Amal Chabach.

Autrement dit, les femmes célibataires ont le droit de déposer leurs ovocytes pour congélation, mais avec l’interdiction du don de sperme au Maroc, elles sont dans l’impossibilité de les féconder et de les réimplanter.

En effet, la loi 47-14 relative à l’assistance médicale à la procréation dispose, dans son article 12, que "l’assistance médicale à la procréation ne peut avoir lieu qu’au profit d’une femme et d’un homme mariés, vivants et exclusivement avec leurs propres gamètes". En plus d’interdire, dans son article 5, la vente ou le don de gamètes, autrement dit, toute cellule reproductrice humaine. Spermatozoïde chez l’homme ou ovocyte chez la femme.

Un protocole médical au service de la santé reproductive

Faisant partie des établissements accrédités, l’African Fertility Center propose aux femmes désireuses de devenir mères un jour de retarder l’échéance de leur grossesse. "Notre centre est l’un des premiers dans le domaine de la FIV (fécondation in vitro, ndlr) au Maroc", souligne d’emblée Maha Haddi, directrice de l’établissement.

Mais avant de procéder à toute intervention, une batterie de tests est nécessaire. Dans les cas usuels, le centre reçoit des couples qui ont des difficultés à procréer. "Nous réalisons un nombre d’examens et de bilans pour déterminer les anomalies − hormonales ou endocriniennes −, ou encore pour tenter de détecter un problème de spermiologie ou d’insuffisance ovarienne, et de manière générale, l’ensemble des facteurs qui font que la femme n’ait pas pu concevoir naturellement sans passer par l’assistance".

En revanche, dans les cas de la congélation d’ovocytes, "l’opération démarre le deuxième jour des règles. Une prise de sang est effectuée pour connaître le niveau de production hormonale. Par la suite, une échographie est effectuée pour voir si la stimulation ovarienne est possible (injection d’hormones pour stimuler les ovaires). Cette stimulation est nécessaire pour provoquer une production d’ovocytes en quantité suffisante", précise la directrice du centre.

Pendant toute la période de stimulation, le spécialiste suit la taille des ovocytes, leur diamètre et les doses d’injections à prescrire. Au terme de cette phase, les ovocytes atteignent une dimension suffisamment grande pour être prélevés.

L’étape finale consiste à préparer la patiente pour le déclenchement de l’ovulation à l’aide d’une dernière injection. Les ovocytes seront prélevés avant l’ovulation puis congelés, dans l’espoir d’être fécondés plus tard en laboratoire avec les spermatozoïdes du partenaire.

"Cela permettra d’obtenir des embryons de très grande qualité à l’extérieur de l’utérus, qui seront réimplantés dans un délai de 3 à 4 jours dans l’utérus de la femme", indique Maha Haddi.

"Dans l’absolu, la fécondation in vitro présente de nombreux avantages. Elle permet de détecter de façon précoce l’ensemble des troubles et des maladies transmissibles à l’enfant. L’hépatite et le VIH sont par exemple détectés bien avant la conception. Il en est de même en ce qui concerne les risques inhérents à la conception entre cousins germains", poursuit la même source.

Coût élevé, couverture partielle

Le prix de l’intervention dépend du protocole à suivre, c’est au cas par cas. "Si la patiente a une insuffisance ovarienne, elle demandera des doses plus élevées qu’une autre qui n’a pas de problèmes du tout", précise la directrice du centre. Mais en règle générale, il faudra compter environ 25.000 dirhams pour les analyses, les médicaments et les honoraires du médecin. Les frais de congélation s’élèvent, quant à eux, à 2.500 dirhams annuellement.

L’African Fertility Center a été fondé par l’un des pionniers de la fécondation in vitro au Maroc, le professeur Omar Sefrioui, qui occupe également le poste de président de la Société marocaine de médecine reproductive.

"La congélation des ovocytes s’est développée à un rythme exponentiel grâce à la technique de congélation par vitrification qui, contrairement à la méthode ancienne de congélation lente, limite considérablement la casse et la perte d’ovocytes. Cette nouvelle technique permet de récupérer jusqu’à 95% des ovocytes et jusqu’à 99% des embryons, avec une qualité quasiment similaire à celle d’un embryon frais", souligne le Pr Sefrioui.

Le Pr Omar Sefrioui, fondateur de l'African Fertility Center, professeur agrégé en gynécologie obstétrique et président de la Société marocaine de médecine de la reproduction. (C) A.B pour MEDIAS24

Mais en définitive, le succès de l’opération dépend d’une multitude de facteurs; car en plus de l’âge, c’est le nombre d’ovocytes qui détermine les probabilités de succès. "C’est une opération mathématique ou arithmétique. L’idéal, c’est d’avoir 16 ovocytes pour avoir une chance de 90 à 92% de tomber enceinte. Au Maroc, la moyenne est beaucoup plus basse", alerte notre source.

Un taux d’infertilité galopant

"En pratique, lorsque l’on compare à certains pays où la moyenne tourne autour de 16 ovules, au Maroc nous sommes à une moyenne de 8 ovules. J’ignore pour quelle raison. C’est une question que je me pose depuis vingt ans", observe, dubitatif, le professeur Omar Sefrioui.

Les hommes ne sont pas en reste. En effet, l’une des études récentes publiées dans la revue scientifique Human Reproduction Update, parue fin 2022, révèle que la fertilité masculine a drastiquement décliné dans le monde. Pour preuve, la concentration des spermatozoïdes dans le sperme humain a été divisée par deux en l’espace de 45 ans. Des facteurs à la fois endogènes et exogènes seraient à l’origine de cette évolution : la pollution, l’obésité et la mauvaise alimentation seraient ainsi des facteurs aggravants.

Une récente étude de l’Organisation mondiale de la santé publiée en avril 2023 vient appuyer ce constat. On y apprend que 17,5% de la population adulte, soit une personne sur six dans le monde, est touchée par l’infertilité.

"L’infertilité est un vrai fléau, et je pense qu’à un moment ou un autre elle devra être considérée comme un problème de santé publique au Maroc", alerte le professeur. "Nous espérons davantage d’actions concrètes de la part des responsables. Actuellement, on a des ébauches et des discours positifs de la part des responsables, accompagnés de mesures parmi lesquelles figure la prise en charge par l’Assurance maladie obligatoire de certains médicaments et de certaines analyses."

En l’état, cette prise en charge couvre environ 45 à 50% des coûts liés à la congélation et à la réimplantation des ovules fécondés.

La FIV, une lutte fondamentalement féministe

L’évolution de la structure familiale au Maroc vers des modèles de familles nucléaires, monoparentales, de parents divorcés ou de mères célibataires, traduit une tendance vers le rééquilibrage des rapports entre les femmes et les hommes dans la société marocaine.

Mais en pratique, le poids de la tradition et l’influence des aïeuls persiste. "Le facteur social fait que la plupart des couples qui ont recours à la FIV le font à l’insu de leurs parents", nous apprend Amal Chabach. "Beaucoup de couples demandent aux médecins, lors de l’accouchement par césarienne, par exemple, de ne pas dévoiler à leurs familles que la grossesse a été médicalement assistée. Le sujet reste encore tabou", ajoute la sexologue.

D’un autre côté, une composante importante de la société civile estime qu'il est de la responsabilité du législateur de faire évoluer les pratiques, en s’adaptant aux réalités sociales. Notamment en ce qui concerne le respect du choix des femmes souhaitant accéder à la maternité en dehors de l’institution du mariage.

"Il s’agit évidemment d’un abus, parce que cela va à l’encontre du droit des femmes à disposer librement de leurs corps", souligne Sonia Terrab, réalisatrice de films documentaires et co-fondatrice du mouvement des Hors la loi. Pour elle, la situation n’est pas étonnante "dans un pays où les relations sexuelles hors mariage sont passibles d’une peine de prison".

Pour l’artiste-activiste, la question du recours des femmes célibataires à la fécondation in vitro est un arbre d’anomalies qui cache une forêt d’injustices. "La question est de savoir si l’abrogation de l’article 490 (criminalisant les rapports sexuels hors mariage, ndlr) permettrait de résourdre le problème de la FIV dans le cas des femmes célibataires", s’interroge Sonia Terrab, sans manquer de soulever les inégalités que cette problématique met à nu : "Comme d’habitude au Maroc, plus on a d’argent, plus on est libre. Les femmes qui en ont les moyens pourront toujours faire cette procédure en Espagne. Au final, c’est la partie de la population la plus défavorisée qui subit le plus les conséquences de ces lois et de ces interdictions."

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