Benchaâboun et Alj à l’UE-Africa Business Summit : voici ce qu’ils ont dit

Le patron du Fonds Mohammed VI et le président de la CGEM ont représenté le Maroc au sommet économique entre l’Union européenne et l’Afrique qui se tient actuellement à Bruxelles. Leur façon de parler tranche avec les discours ambiants en Afrique et en Europe. Médias24 était présent à l'événement. Florilège.

Benchaâboun et Alj à l’UE-Africa Business Summit : voici ce qu’ils ont dit

Le 15 juin 2023 à 18h52

Modifié 15 juin 2023 à 19h08

Le patron du Fonds Mohammed VI et le président de la CGEM ont représenté le Maroc au sommet économique entre l’Union européenne et l’Afrique qui se tient actuellement à Bruxelles. Leur façon de parler tranche avec les discours ambiants en Afrique et en Europe. Médias24 était présent à l'événement. Florilège.

Bruxelles (Envoyé spécial). Mardi 15 juin, Cercle royal gaulois, au cœur du Parc royal de Bruxelles. C’est dans ce lieu mythique créé au début du XIXe siècle par l’intelligentsia belge que s’est tenue, dans la matinée, la session d’ouverture de l’édition 2023 de l’UE-Africa Business Summit.

Le panel d’ouverture, dédié au développement des relations économiques entre les deux continents, a connu une présence marocaine remarquée. Parmi les quatre panélistes africains invités à intervenir, deux étaient marocains : Mohamed Benchaâboun, directeur général du Fonds Mohammed VI pour l'investissement, que les organisateurs présentent comme un "fonds souverain marocain", et le patron des patrons, Chakib Alj.

Le discours des deux personnalités marocaines était direct et tranchant, apportant un peu de fraîcheur dans les discussions habituelles entre Africains et Européens dans ce genre de rencontres, devenues à la mode depuis la naissance du concept de l’afro-optimisme au début de la dernière décennie.

Intervenant à distance, Albert Muchanga, commissaire de l’Union africaine (UA) chargé du Développement économique, du commerce, de l’industrie et des mines, a axé son intervention sur ce qui ne va pas entre Européens et Africains. Il a évoqué notamment les dégâts causés par les pays industrialisés sur le climat, dont souffre en premier lieu l’Afrique, appelant les Européens à prendre leur responsabilité et à tenir leurs promesses quant au soutien du continent dans la lutte contre ce phénomène dévastateur.

Il a aussi signalé l’impact négatif de la guerre russo-ukrainienne qui, selon lui, a fait exploser les budgets de défense des pays de l’Union européenne au détriment de l’aide au développement pour l’Afrique. Tout en rappelant l’énorme potentiel du continent dans le domaine de l’investissement, notamment dans la transformation des matières premières, et le facteur démographique qui joue en faveur de l’Afrique, et que l’Union européenne et ses compagnies devraient prendre en compte. Des données qui doivent, selon Albert Muchanga, permettre à l’Afrique de devenir un membre du G20 et avoir sa place parmi les décideurs mondiaux. "C’est un peu son rôle en tant que responsable de l’UA de rappeler ces éléments", commente un consultant présent à cette conférence. Dont acte.

Benchaâboun appelle Africains et Européens à réfléchir "out of the box"

Cet angle de traitement de sujets business entre l’UE et l’Afrique, très courant dans notre continent, n’est pas celui qui a été choisi par Mohamed Benchaâboun. L’ancien patron de la BCP et ex-ministre des Finances, ancien ambassadeur du Maroc en France, aujourd’hui à la tête du Fonds Mohammed VI, est venu avec un discours nouveau.

Rappelant que le Maroc est un vieux partenaire de l’UE, avec la signature dès 1996 d’un accord de libre-échange, Mohamed Benchaâboun a souligné que le volume du commerce entre le Royaume et l’Union européenne a atteint les 40 milliards de dollars, faisant du bloc européen le premier partenaire commercial du Maroc, et du Royaume le premier partenaire africain de l’UE. Mais cela reste insuffisant, tempère-t-il, au vu du grand potentiel qui n’est pas encore exploité.

"Malgré toute cette progression dans les échanges commerciaux, il y a encore un grand potentiel pour développer notre partenariat. Et cela passera par le secteur privé qui doit désormais jouer un rôle crucial dans le développement des relations économiques et d’affaires entre les deux parties", a-t-il déclaré, ouvrant une fenêtre pour citer l’exemple du fonds qu’il dirige et qu’il a présenté comme un nouvel outil qui peut permettre de booster les investissements européens au Maroc, et dont l’Europe et l’Afrique peuvent s’inspirer pour développer leurs relations.

Pour Mohamed Benchaâboun, l’approche menée jusque-là doit changer. "Il faut réfléchir out of the box, à cause des budgets limités des Etats, créer de nouveaux outils d’investissement qui permettent d’exploiter les grandes potentialités dans les secteurs de la transition digitale et énergétique en Afrique. Et cela peut passer par des véhicules comme le Fonds Mohammed VI", explique-t-il.

Pourquoi cet outil peut-il apporter plus de valeur, plus d’IDE ? La réponse tient en un mot, selon Mohamed Benchaâboun : "Le levier." Le montage du Fonds Mohammed VI est un exemple édifiant : avec une participation étatique de 15 milliards de dirhams, le fonds cible une taille initiale de 45 milliards de dirhams, créant ainsi un levier de 30 milliards à travers des fonds qui viendront aussi bien d’investisseurs marocains qu’internationaux. Des fonds qui seront investis dans des entreprises privées, actives dans des secteurs à fort potentiel, avec des outils de pilotage et de gouvernance modernes.

"Le Maroc a lancé ce fonds après la pandémie du Covid, qui nous a poussés à réfléchir autrement pour relancer notre économie. Et nous avons compris que la relance post-Covid ne peut passer que par le développement du secteur privé et l’investissement. Nous avons besoin de faire les choses différemment dans le futur. C’est ce qui permettra au Maroc et à l’Afrique d’exploiter son grand potentiel de développement", explique le DG du Fonds Mohamed VI.

Et de conclure : "Quand on a une nouvelle approche, avec de nouveaux outils, ça intéresse les gens. Nous travaillons justement avec la Commission européenne pour trouver de nouvelles solutions pour exploiter ce grand potentiel de développement."

Le cas marocain, une "success story" selon un responsable européen

Ce discours pragmatique, basé sur des faits, des réalisations et des approches nouvelles est apprécié en Europe. Et par tout investisseur étranger qui veut à la fois diversifier son portefeuille géographique en Afrique, exploiter le potentiel de croissance du continent, tout en misant sur des véhicules modernes, transparents, avec une gouvernance et une gestion des risques qui collent aux standards internationaux.

Jean-Marc Peterschmitt, Managing Director de l’industrie, du commerce et de l’agribusiness à la BERD l’a exprimé sans détours.

"Je suis totalement d’accord avec Mohamed Benchaâboun sur le rôle que doit jouer le secteur privé. Nous avons atteint la limite de l’intervention étatique. Il faut que le privé prenne le relais." Il connaît bien le Maroc, sa banque étant un des investisseurs institutionnels européens les plus présents au Maroc, avec des mises aussi bien dans le secteur financier que dans des entreprises industrielles, grandes comme moyennes.

En termes d’IDE européens vers l’Afrique, le responsable de la BERD qualifie d’ailleurs le cas marocain de "success story", citant le développement rapide des secteurs automobile et aéronautique qui a été réalisé grâce à des partenariats scellés entre opérateurs européens et institutionnels marocains.

Le Maroc présente, selon lui, l’avantage d’être à la fois bien connecté à l’Europe, tout en étant fortement présent en Afrique subsaharienne. Ce qui en fait une belle porte d’entrée pour les investisseurs européens qui souhaitent développer leurs portefeuilles en Afrique.

"L’Afrique, la Chine du futur" (Chakib Alj)

Et à Chakib Alj, président de la CGEM, de confirmer cette spécificité marocaine, plaidant pour un Maroc porte d’entrée vers le continent.

Pour illustrer cette double connexion Nord-Sud, le patron des patrons a cité l’exemple de la CGEM qui a ouvert elle-même un bureau à Bruxelles pour être proche des décideurs européens. Une organisation qui représente une grande majorité des opérateurs privés marocains, qui sont à la fois très actifs au Maroc, en Afrique subsaharienne et de plus en plus en Europe, à travers des opérations d’acquisition et de croissance externe.

Chakib Alj a tenu aussi à adresser un message aux investisseurs européens, rappelant le potentiel considérable qui existe dans l’industrie, évoquant cette Afrique qui exporte ses matières premières, mais qui doit désormais passer au stade de la transformation pour assurer son développement social et économique, faire émerger une classe moyenne, et devenir un gros marché de consommateurs, à l’image de ce qu’est devenue la Chine actuellement.

Le potentiel est énorme, selon Alj, surtout avec la zone de libre-échange continentale, la Zlecaf, qui permettra de remédier à une situation aberrante : celle de l’étroitesse des échanges intra-africains qui se limitent à 16%.

Un chiffre plus alarmant : 2,7%. Il s'agit de la part de tout le continent africain dans le commerce international. "Un chiffre qui choque quand on sait qu’un pays comme Singapour participe à lui seul à 6% des échanges commerciaux dans le monde !", s’alarme-t-il, appelant les investisseurs européens à profiter de cette fenêtre de tir s’ils veulent être partie prenante de l’énorme potentiel de développement qui s’offre au continent.

Et de signaler qu’au-delà des opportunités business pour des acteurs privés, la réussite de ce challenge du développement africain est aussi un sujet politique et stratégique pour l’UE, mettant le doigt sur ce que les européens qualifient de "grand danger" qui guette leur continent : la migration.

"Cette zone de libre-échange africaine favorisera la mise en place de chaînes de valeur industrielles en Afrique et créera des emplois pour la population florissante africaine. Et nous connaissons parfaitement l'importance de ce dossier pour faire face à l'immigration. L'impact potentiel de la Zlecaf, estimé par la Banque mondiale, est de sortir 40 millions de personnes de l'extrême pauvreté et d'augmenter les revenus africains de 7 % d'ici 2035. Atteindre ces objectifs exige de la vision, de la patience et de la confiance. L'Afrique doit faire confiance à l'Afrique, et l'Europe doit soutenir et faire confiance à l'Afrique", conclut le patron de la CGEM. Il n’oublie pas de signaler que le cadre de partenariat entre l’UE et le Maroc doit lui-même connaître une évolution, une modernisation, car datant de plus de vingt ans et ne correspondant plus aux réalités économiques d’aujourd’hui…

Un message qui n’est certainement pas tombé dans l’oreille d’un sourd, surtout dans un contexte où les Européens peinent à décrocher, à quelques jours de l’expiration de l’actuel accord de pêche, un nouveau deal avec le Royaume.

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