Entretien. Reda Benjelloun ou comment le documentaire sur 2M réinvente la télé publique

Directeur des magazines d’information et du documentaire à 2M depuis treize ans, Reda Benjelloun se confie à Médias24 à l’occasion de la sortie de la série-évènement "Ana Bidaoui - Les mémoires de Casablanca". L’occasion aussi de faire le point sur la politique du documentaire de la 2e chaîne nationale et la situation du documentaire au Maroc. Entretien.

Entretien. Reda Benjelloun ou comment le documentaire sur 2M réinvente la télé publique

Le 30 mai 2023 à 19h11

Modifié 30 mai 2023 à 19h41

Directeur des magazines d’information et du documentaire à 2M depuis treize ans, Reda Benjelloun se confie à Médias24 à l’occasion de la sortie de la série-évènement "Ana Bidaoui - Les mémoires de Casablanca". L’occasion aussi de faire le point sur la politique du documentaire de la 2e chaîne nationale et la situation du documentaire au Maroc. Entretien.

Dans cet entretien, Reda Benjelloun insiste sur le triptyque auquel il croit : le service public, la passion et le soutien aux jeunes.

Médias24 : Comment vous est venue l'idée de réaliser un documentaire sur Casablanca ?

Reda Benjelloun : On a toujours eu envie de raconter Casablanca. Ce n'est pas une ville comme une autre ; d'abord parce qu'elle existe dans l'imaginaire mondial grâce au film Casablanca de Michael Curtiz (1942), à la Conférence d'Anfa qui s'est tenue en 1942, ou même aux tifos des supporters du Raja et du Wydad qui font à chaque fois le tour de la planète. Casablanca existe donc dans un imaginaire et une cartographie mondiale. C'est aussi une ville qui a un magnétisme très fort dont les habitants sont de toutes origines mais subissent, tous, le même magnétisme.

Casablanca a une énergie spéciale, incivique, chaotique parfois, tout en gardant son âme

Qu'on l'aime ou qu'on la déteste − car c'est une ville que l'on aime détester −, on devient tous, par la force des choses, des Casaouis. C'est aussi une ville qui a une énergie spéciale, incivique, chaotique parfois, tout en gardant son âme. Rares sont les villes qui ont ce pouvoir... On peut visiter de très belles villes, mais on sent qu'elles sont dépourvues d'âme. Il fallait que l'on raconte l'âme de Casablanca et, pour cela, il fallait prendre le temps de dire son histoire.

Beaucoup de gens pensent que Casablanca se limite à Anfa, que c'est une ville qui est née avec le Protectorat en 1912. C'est faux. Casa existe depuis la préhistoire. Il y a un musée de la carrière Thomas qui dispose d'une collection d'ossements, de dentitions, d'outillages qui prouve la présence sur le site de populations humaines depuis des centaines de milliers d'années.

Lors de la production de cette série documentaire, nous avons été confrontés à un véritable défi : comment raconter une ville qui a subi beaucoup d'assauts, notamment le tremblement de terre de Lisbonne qui a détruit une partie de Casablanca, ou les attaques des navires portugais, espagnols et anglais. Casablanca a eu plusieurs fois les genoux à terre et s'est autant de fois redressée. C'est une magnifique histoire !

Il était important pour nous de raconter tout ça, de le documenter, de l'ancrer dans nos mémoires. Beaucoup de gens vivent Casa, respirent Casa, mais ne connaissent pas l'histoire de leur ville, donc il était important pour nous de documenter tout cela. Dans le "documentaire", c’est le mot "documenter" qui est important.

- Vous avez dit que "Ana Bidaoui" allait contenir des archives inédites. Avez-vous sollicité des historiens pour avoir accès à ces informations ? Comment avez-vous eu accès aux documents ?

- Bien évidemment. Quand on parle de l'Histoire, il faut avoir un comité scientifique composé d'historiens. Le meilleur réalisateur n'est pas historien, n'est pas sociologue, n'est pas urbaniste, donc nous avons fait appel à une équipe de spécialistes qui nous ont accompagnés dans l'articulation, la narration et la vérification des faits.

En télévision, on fait de l'image avant tout. Donc l'accès aux documents visuels est une priorité. Ce n'est pas toujours évident au Maroc car nous avons une culture de l'oralité et beaucoup de choses ne sont pas sauvegardées. Il existe des pans entiers de notre histoire que l'on a du mal documenter visuellement.

L'équipe a toutefois réussi à faire un travail remarquable. C'est d'ailleurs l'une des premières fois où nous avons créé un poste dédié de documentaliste. C'est simple de se connecter sur YouTube et d'y collecter des images de Casa, mais pour être exploitée, l'image doit être sourcée et contextualisée, sinon elle perd toute sa valeur.

Si on parle d'un fait précis, il ne suffit pas seulement de l'illustrer, il faut le mettre en image. L'immense travail de documentation visuelle qui a été réalisé intègre aussi bien de la photographie que des sources cinématographiques ou cartographiques.

Nous avons pu avoir accès à des fonds de photos extraordinaires, des images jamais partagées avec le grand public. On a même utilisé de l'intelligence artificielle pour faire vivre les photos.

- Avez-vous rencontré des difficultés à récolter les informations dont vous aviez besoin ?

- Bien sûr. Il y a des éléments d'information qui sont à l'étranger et qui coûtent très cher. Il y a de la matière qui est au Maroc mais elle appartient à des fondations ou à des collections privées. Ce n'est pas seulement une histoire d'argent ; il faut aussi retrouver ces éléments. Ce qui est important lorsque l'on fait un travail pareil, c'est de pouvoir révéler aux gens des choses qu'ils n'ont jamais vues.

On a vu la Marche Verte en long, en large et en travers, mais ce sont toujours les mêmes images que l'on revoit. Il existe des photos, des films que personne n'a jamais vus. C'est dommage.

Le même exemple s'applique pour plein d'évènements qui concernent Casablanca, et surtout pour les périodes historiques où il n'y avait ni photographie, ni télévision. Le vrai défi est donc de trouver les bonnes sources d'images et d'illustrations.

- Pouvons-nous avoir une idée du budget alloué à la production de Ana Bidaoui ?

-Je ne parle jamais de chiffres, ce n'est pas ma partie. Il y a des gens qui s'occupent de ça. Mon seul souci est de donner naissance à ce projet, de le faire grandir et de l'amener à bon port.

- Vous avez annoncé que Ana Bidaoui allait comporter des mises en scène. De quel genre de mise en scène s'agit-il ? Y aura-t-il plusieurs acteurs ?

- On avait fait un appel à projets. C'est une initiative que nous prenons deux fois par an à 2M. Nous avons reçu beaucoup de projets, certains étaient bons, d'autres un peu moins, mais nous avons retenu celui de Ana Bidaoui, parce que Ali'n Productions nous a fait une belle promesse. Ils nous ont proposé un documentaire sur la ville de Casa et ont choisi pour thème "Casablanca comme vous ne l'avez jamais vue". C'est-à-dire racontée grâce à un dispositif de narration où l'histoire, l'architecture et les témoins sont magnifiés par un véritable parti pris esthétique et de mise en scène.

Quand vous verrez la série, vous constaterez qu'il y a un personnage, un homme âgé nommé le "voyageur", qui est le seul acteur dans le dispositif de tournage. C'est notre personnage fil rouge, que l'on va suivre avec sa voix-off, ses pensée intimes et personnelles ainsi que ses états d'âme. Il va nous faire visiter Casablanca à travers les espaces et les siècles.

Par ailleurs, et cela est inédit, nous avons décidé de faire appel à un réalisateur de fiction pour qu'il apporte son regard sur la matière documentaire, et que d'une certaine façon, il la "fictionnalise".

Cela a été un pari extraordinaire que Nour-Eddine Lekhmari a relevé avec brio. Ce choix est fort, d'autant plus que l'on connaît ce réalisateur pour Casanegra, un film qui raconte le côté obscur de la ville.

Avec Ana Bidaoui, il nous offre un regard esthétique et assume un vrai point de vue de réalisation. C'est ce qui nous a convaincu d'introduire une infime partie de fiction dans une narration historique factuelle et documentaire, et on se retrouve au final avec un résultat inédit au Maroc.

- N'avez-vous pas "cinématisé" le documentaire avec des choix pareils ?

-J'ai toujours l'habitude de dire que le documentaire, c'est du cinéma au même titre que la fiction. Qu'est-ce qu'un documentaire ? C'est une histoire forte avec une dramaturgie et des personnages qui sont eux aussi forts. Si l'on y ajoute une longue temporalité, on a des ingrédients qui valent aussi bien pour le documentaire que pour la fiction, sauf que dans le documentaire, la matière est réelle.

On ne serait pas surpris de retrouver Ana Bidaoui sur des chaînes internationales parce que les standards d'écriture et de créativité sont très élevés.

On voit aujourd'hui beaucoup de films devant lesquels le spectateur se demande s'il s'agit réellement d'une fiction ou bien d'un documentaire. Ainsi le film Kadib Abyad, de la jeune Asmae El Moudir, qui a remporté le prix de la mise en scène dans la prestigieuse section "Un certain regard" de la sélection officielle du Festival de Cannes, est un mélange de plusieurs procédés : documentaire, fiction, slow-motion, animation, pâtes à modeler... Doit-on considérer ce film comme une fiction ou comme un documentaire ? Aujourd'hui, il faut que l'on casse cette dichotomie, parce que la créativité des nouvelles générations nous donne des formats hybrides. On doit arrêter de se poser des questions sur le format et savourer l'émotion que nous apporte le film.

- Que pensez-vous du résultat final de Ana Bidaoui ?

- Cela serait prétentieux de dire que l'on a voulu faire une série de dimension internationale, mais effectivement le résultat final va dans ce sens. D'ailleurs, nous proposons une version bilingue, française et arabe, mais aussi une version en anglais. On ne serait pas surpris de retrouver Ana Bidaoui sur des chaînes internationales parce que les standards d'écriture et de créativité sont très élevés.

Nous avons mis le documentaire en prime time sur 2M, Ce que ne fait aucune chaîne généraliste et publique au monde

Je n'aimerais pas utiliser le terme "Premium" pour ne pas donner l'impression que la série est destinée à une élite. A mon avis, le documentaire est un cinéma qui doit toucher tout le monde. D'ailleurs, pourquoi a-t-on mis le documentaire en prime time sur 2M ? Ce que ne fait aucune chaîne généraliste et publique au monde. On l'a décidé parce que nous sommes un service public et que nous nous adressons au plus grand nombre. C'est Salim Cheikh qui a pris cette décision politique il y a douze ans. Nous entamons notre treizième année et si cette pratique s'est installée, c'est parce qu'elle fonctionne.

Quand je discute avec mes homologues européens, asiatiques ou américains, et que je leur parle des audiences que nous faisons, ils me répondent que s'ils en faisaient la moitié, ça serait la fête chaque jour. Le choix du prime time s'est installé à 2M parce que le documentaire a une utilité première. Il permet aux gens de se connaître et de se réconcilier avec leur image. Nous sommes un pays d'oralité où les gens lisent peu voire pas. Comment veut-on alors qu'ils puissent accéder à leur histoire ?

On sent sur les réseaux sociaux que les gens ont un appétit d'histoire extraordinaire : l'histoire avec un grand H mais aussi les histoires du quotidien. Un des plus beaux compliments que j'ai reçu en 12 ans de documentaire, c'est de la part d'un épicier qui m'a dit : "ah hier, vous nous avez fait passer du bon temps". Je lui ai répondu : "Pourquoi ? Le documentaire qu'on a passé hier n'a rien à voir avec vous. On n’a pas parlé de votre région".

Il m'a dit: "Je me suis vu, j'ai vu mes parents parce qu'on a le même vécu que dans le village en altitude où vous avez tourné". Cette appropriation de son image est quelque chose d'extraordinaire pour un peuple. "J'existe, parce que je me vois à la télé, dans ma différence, dans ma pluralité linguistique".

Quand j'ai commencé, j'avais rencontré une personnalité du documentaire qui m'avait dit : "Si vous voulez vous faire une idée sur la santé d'un pays, regardez sa production documentaire". Si les gens arrivent à affronter leur image en bien ou en mal, à considérer leur réalité, cela veut dire qu'on est dans un pays qui est mûr, un pays qui s'accepte dans sa différence, ses beautés et laideurs, sa capacité au progrès et ses côtés passéistes, voire arriérés.

Pour moi, le documentaire est d'utilité publique. Je ferai le parallèle avec l'Instance Equité et Réconciliation où des gens sont venus dans le cadre d’audiences publiques relire les pages du passé pour construire l'avenir. Quand les gens voient leur réel, leur vécu, les acceptent et les digèrent, c'est pour moi un signe de maturité extraordinaire pour le pays.

- Ces documentaires ont donné parfois naissance à des polémiques au sein de notre société, surtout ceux qui abordaient l'amour. Comment appréhendez-vous cela ?

- Oui, on avait fait une fois une série de documentaires qui portait sur l'amour. Nous avions donné carte blanche à dix réalisateurs, cinq seniors et cinq jeunes, cinq femmes et cinq hommes. Le regard des jeunes réalisatrices était extraordinaire. Bien sûr qu'il y a eu des polémiques, mais cela veut dire que la société est vivante, on crée une réaction, et c'est exactement la force du documentaire. Un documentaire ne doit pas laisser indifférent, il doit susciter des émotions et des réactions.

Il y a également eu des contextes politiques qui ont fait que certains films comme Tinguir, Jérusalem ont fait l'objet de questions orales au Parlement et donné lieu à de manifestations devant le siège de la chaine.

Le documentaire sur l'amour de Leila Merrakchi a, lui, suscité des réactions sur les réseaux sociaux qui fustigeaient la chaîne. Je défie personnellement quiconque de dire là où nous avons fauté. Un documentaire peut parler à une majorité de personnes comme à une minorité et la Constitution de notre pays a consacré le droit des minorités.

- Est-ce qu'on peut parler de tout dans un documentaire ?

- Bien sûr qu'on peut parler de tout. Ce qui est interdit dans un documentaire est interdit à tous les Marocains, ce qui est autorisé dans un documentaire est autorisé pour tous les Marocains.

- Est-ce qu’il y a des sujets qui font plus d'audience que d'autres ?

- Franchement, les personnes qui peuvent vous dire que tel sujet fera de l'audience, et que tel autre ne le fera pas, il ne faut jamais les croire.

Je peux vous assurer que je ne sais jamais à l'avance ce qui va marcher. Parfois, on produit des films moyens et on se dit qu'ils risquent de ne pas plaire parce qu'ils comportent des faiblesses; et ils finissent par cartonner. D’autres fois, on est sûr que des films vont plaire, mais les gens n'aiment pas.

Une réalisatrice nommée Hind Benchekroun et son mari turc Sami Mermer sont partis filmer un documentaire qui s'appelle Xalko, qui est le nom du village d'où vient le réalisateur Sami Mermer. Il s'agit d'un village où il ne reste plus que des femmes. La première scène montre une vache en train de vêler puis elle accouche d'une femelle. Les femmes se mettent à rire. On découvre après que tous les maris sont partis travailler en Europe.

Sami Mermer filme son village sur une longue durée avec de l'humour, de la poésie et de la tristesse. Le film est passé sur 2M en kurde, sous-titré en français et en arabe. Je jette un coup d'œil à l'audience le lendemain de sa diffusion et je constate avec stupeur que le film a tenu en haleine 2,7 millions de téléspectateurs. Cette histoire tord le cou à tous les préjugés sur le documentaire et, notamment, qu'il ne serait pas destiné au prime time, alors qu'il s'agissait d'un cinéma d'auteur et qu'il était nécessaire de doubler les voix parce que les gens ne lisent pas les sous-titres.

L'expérience du documentaire telle qu’on la vit au Maroc n'existe nulle part ailleurs

Ma seule certitude aujourd'hui, c'est qu'il y a 12 ans, nous faisions un million de téléspectateurs, ce qui était un excellent chiffre à l'époque pour le documentaire. Aujourd'hui, on en fait plus de 2 millions, chiffre qu'on considère comme normal, avec parfois des pics à 3 ou 3,7 millions.

Je ne sais pas si vous le réalisez mais ce sont des chiffres de science-fiction ! L'expérience du documentaire telle qu’on la vit au Maroc n'existe nulle part ailleurs. Je connais des gens d'Arte, de France Télévisions, de la RTBF, la RTS suisse, de NHK, de SVT. Ils n'atteignent jamais nos chiffres. Il y a un appétit des Marocains pour le documentaire, pour se voir, entendre la pluralité de leur langue, partager leur vécu. C'est ce qui fait la force de l’expérience du documentaire dans notre pays.

- Quels sont les documentaires qui ont eu le plus d'audience ?

-On retrouve le documentaire Transes, réalisé par Ahmed El Maânouni sorti en 1981 et numérisé par Martin Scorsese, et Le thé ou l'électricité, de Jérôme Le Maire. Ces deux films cartonnent à chaque fois qu'on les passe.

- Est-ce que vous croyez que vous êtes en concurrence avec d'autres chaînes ?

- Non, je ne pense pas qu'on soit en concurrence parce qu'il y a plusieurs formes de documentaires : le documentaire animalier, le documentaire découverte, le documentaire voyage, le documentaire d'investigation internationale.

A 2M, on est dans le "cinéma documentaire". Pour réaliser une bonne œuvre, il faut une bonne histoire, avec de bons personnages, une bonne épaisseur psychologique, de la dramaturgie, une longue temporalité et de l'esthétique. C'est notre vision des choses. Nous croyons en un cinéma d'auteur qui est aussi un cinéma du réel, un cinéma populaire. Donc je ne crois pas qu'on soit en concurrence avec les autres chaînes marocaines ou même internationales.

- Pourquoi avez-vous dépassé les frontières du Maroc pour aller filmer des documentaires dans des pays arabes ?

- Le monde de l'image est sans frontières. L'expérience du village de Xalko est une expérience qui existe au Maroc. Pourquoi les gens ont apprécié un film kurde ? Parce que l'histoire qu'ils ont vue leur parle. Dans la région de Beni Mellal ou Lfquih Ben Saleh, il y a aussi plein de villages où il n’y a plus que des femmes, parce que les hommes sont partis travailler à l'étranger…

C'est dire qu'il peut y avoir des histoires tunisiennes, algériennes, libanaises ou égyptiennes qui nous parlent. Lorsqu'on a lancé "Des Histoires et des Hommes", c’était au moment des Printemps arabes, synonymes de libération des esprits. Les histoires étaient écrites à la première personne et on ressentait une certaine nécessité de raconter.

Pour moi, en image, les frontières n’existent pas, et le documentaire est un genre qui permet à tous de s'identifier à des histoires et de se les réapproprier.

- Quel rôle joue le documentaire dans le paysage audiovisuel marocain ?

-Le documentaire a aujourd'hui trouvé sa place. Il y a un appétit et une jeunesse. Ce qui me fait plaisir avec H&H, c'est qu'on a pu constituer un cercle vertueux avec d'autres partenaires. Pour qu'il y ait une économie du documentaire, il faut d’abord des jeunes qui veulent raconter des histoires. Ensuite, ces jeunes doivent être formés, d'où l'utilité des cursus dédiés à cette spécialité qui existent aujourd'hui un peu partout au Maroc. On a également des festivals, comme le FIDADOC à Agadir, le Festival international du film de Marrakech avec les Ateliers de l'Atlas où on développe des projets de documentaires.

Le film de Asmae El Moudir récompensé à Cannes est d'ailleurs passé à Marrakech et Agadir. Donc avec les jeunes, les écoles, les festivals et les financements publics, que ce soit le CCM, 2M ou SNRT, puis l'exposition au grand public, on voit aujourd'hui l'émergence d'une petite économie du documentaire. Dans ce domaine, le Maroc est une vraie exception en Afrique et dans le monde arabe.

- Comment financez-vous vos documentaires ?

- Tous nos documentaires sont financés par 2M, et le montant de chaque projet est intégré dans l'appel d'offres. C'est au producteur d'aller ensuite chercher les financements complémentaires auprès du CCM par exemple ou bien auprès de guichets mondiaux, comme celui d'OIF à Paris, AFAC à Beyrouth, Doha Film Institute à Qatar, où les producteurs déposent leurs projets et reçoivent des financements s'ils sont retenus. Cet argent est dédié soit au développement, à la production ou à la post-production.

J'incite les jeunes à participer à cette économie mondiale. Les ressources n'existent pas seulement au Maroc. On peut faire de bons films maroco-marocains avec des petits bouts de bois, comme on peut faire des films avec une réelle économie et des investissements lourds, à travers des co-productions avec ARTE, France Télévisions, la RTBF, la RTS, les chaînes tunisiennes ou libanaises.

- Qu'est-ce que "Grand Angle" a apporté à votre carrière ?

- Grand Angle a été quelque part les prémisses du documentaire. Nous nous sommes donnés pour mission de traiter de sujets d'actualité en donnant une place importante au Marocains dans leur vécu, avec leur langue, leurs interactions quotidiennes avec le politique, l'économique et le social. Même si notre traitement était journalistique, on était dans une démarche visant à humaniser et documenter l'espace marocain, et je pense que c'est ce qui a fait le succès du magazine, c'est-à-dire moins de journalistes et plus d'ambiance, moins de voix-off et plus de vécu.

C'était et c'est toujours une des marques de fabrique de "Grand Angle". Maintenant que je le regarde avec du recul, c'était peut-être annonciateur du documentaire. Aujourd'hui d'ailleurs dans "Grand Angle", ce sont parfois des enquêtes, parfois des sujets sociaux et parfois aussi des sujets conçus comme de véritables documentaires, ce qui veut dire pas de voix-off et plus de vécu que de démonstratif.

- Est-ce que l'on peut faire carrière dans le documentaire au Maroc ?

-Bien sûr. Cela fait 50 ans que Izza Génini et Simone Bitton ne font que des documentaires, et Ali Essafi, 30 ans. C'est vrai qu’on ne va pas passer ses vacances aux Seychelles, mais on peut faire carrière dans le documentaire au Maroc.

Il a juste pris le numéro de 2M, appelé le standard qui me l'a passé et, trois mois plus tard, il était à l'antenne. C'est ça pour moi le miracle marocain.*

- Quels sont les conseils que vous donneriez aux jeunes qui aimeraient se lancer dans la réalisation de documentaires ?

- Je leur conseillerai de poursuivre leurs rêves. Si on peut être à leurs côtés, on le sera et on les poussera de l'avant. En 12 ans, on a fait dix films marocains par an, ce qui fait cent vingt films. Si on estime que seulement quinze à vingt de ces films vont plaire et rester dans l'imaginaire national, cela veut dire qu'il y a plein de jeunes qui se sont accomplis et ont réalisé une part de leur rêve.

Pour moi, il n'existe pas de plus belle chose que de voir un jeune venir et me dire qu'il a une histoire qu'il souhaite raconter.

Je vais vous citer une dernière anecdote. Une personne d'Agadir qui n'a rien à voir avec le documentaire m'appelle un jour et me dit : "J'ai un documentaire à vous proposer". Je lui ai répondu : "D'accord. Envoyez-le-moi". Il me l’envoie et je le regarde. Tout de suite après, je le rappelle et lui dit : "C'est d'accord. On va le diffuser". Il me répond : "C'est bon ! Prenez-le et diffusez-le". J’ai dû lui expliquer que ça ne se passait pas comme ça, qu'on devait tout d'abord lui acheter et signer un contrat en bonne et due forme.

L'idée du film était qu'une fois par an cet homme montait voir sa famille dans son village, à 3.000 mètres d'altitude, dans les hauteurs de Taroudant. Le village est agricole. Les habitants moissonnent puis posent la moisson sur la place du village et attendent le vent. Dès que le vent se lève, les habitants s'entraident pour séparer la paille du grain à l'aide de fourches.

Cet homme a filmé l'invisible, le vent et l'attente, et a fait un film beau et poétique. Le documentaire raconte aussi comment fonctionne le village, le rôle des femmes, celui des hommes et la place des enfants. Il a tourné ce documentaire avec ses propres moyens et n'a rien demandé à personne. Il a juste pris le numéro de 2M, appelé le standard qui me l'a passé et, trois mois plus tard, il était à l'antenne. C'est ça pour moi le miracle marocain. Le documentaire s'appelle "En attendant le vent".

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