Le Maroc face à une opportunité historique de développer une industrie du dessalement

Le Maroc a entamé un large programme d'investissement dans la construction de stations de dessalement d'eau de mer. Médias24 a sondé des professionnels du secteur avec lesquels nous explorons les capacités des opérateurs marocains et les opportunités de développement de ce savoir-faire au Maroc.

L'usine de dessalement d'Agadir. Photo : MAP

Le Maroc face à une opportunité historique de développer une industrie du dessalement

Le 5 mai 2023 à 14h06

Modifié 5 mai 2023 à 15h38

Le Maroc a entamé un large programme d'investissement dans la construction de stations de dessalement d'eau de mer. Médias24 a sondé des professionnels du secteur avec lesquels nous explorons les capacités des opérateurs marocains et les opportunités de développement de ce savoir-faire au Maroc.

  • L’industrie du dessalement présente un intérêt stratégique autant qu’économique pour le Maroc.
  • Les entreprises marocaines de travaux maîtrisent la partie la plus risquée de la construction d’une station de dessalement.
  • Le programme d’investissement marocain est une opportunité pour effectuer le transfert de technologie.

Le Maroc a une opportunité historique d'acquérir un savoir-faire dans l’industrie du dessalement d’eau de mer. Une industrie stratégique appelée à prendre de l’importance à travers le Royaume et dans le monde.

Face aux effets du changement climatique et au déficit hydrique croissant, le Maroc compte sur les ressources en eau non conventionnelles en général, et sur le dessalement d’eau de mer en particulier, pour répondre à ses besoins en eau potable ou d’irrigation pour l’agriculture.

Le développement d’une industrie nationale du dessalement de l'eau de mer est non seulement possible, mais à portée de main, si l'on arrive à saisir l’opportunité qui se présente pour combler les lacunes en la matière.

Le programme d’investissement marocain comme opportunité

Un ambitieux programme d’investissement dans les stations de dessalement d’eau de mer a été mis en place par le ministère de l’Equipement et de l’eau et le groupe OCP. Le Royaume qui compte déjà 9 stations, prévoit d’en construire 20 autres à l’horizon 2030, ce qui devrait tripler sa production et la porter à 1,3 milliard de m3 par an.

Au-delà de l’aspect stratégique que revêt pour le pays la maîtrise de ce savoir-faire par des opérateurs marocains, compte-tenu de son importance pour la souveraineté alimentaire nationale, c’est aussi une réelle opportunité économique étant donné la forte croissance de ce marché au Maroc comme à l’international.

Le pays pourrait capter plus de richesse sur ces projets programmés s’il arrive à acquérir le savoir-faire qui lui manque et à maîtriser une partie plus importante de la chaîne de valeur de cette industrie.

Le ministre de l’Equipement et de l’eau en est conscient. Interpellé par Médias24 sur le sujet en avril dernier, à l’occasion d’un événement de l’Alliance des économistes istiqlaliens, Nizar Baraka avait déclaré, concernant le projet de station de Casablanca, "ils ont tenu à ce qu’il y ait des opérateurs marocains parmi les trois consortiums retenus pour qu’ils puissent demain s’approprier la technologie".

Il a par la même occasion donné l’exemple du projet de port de Dakhla, dont le marché de construction a été remporté par un consortium exclusivement marocain composé d'entreprises qui avaient participé à la construction des ports de Tanger Med 2 et Nador West Med en compagnie de grandes sociétés étrangères.

Les opérateurs marocains détiennent déjà une partie du savoir-faire nécessaire

En effet, pour le méga-projet de station de dessalement de Casablanca qui devra produire 300 Mm3 par an à terme, trois consortiums ont été retenus après la phase d’appel à manifestation d’intérêt. L'un est constitué de Somagec (Maroc), SGTM (Maroc), IDE Technologies (Israël), Mitsui (Japon) ; un autre de Nareva (Maroc), Suez (France) et Itochu (Japon) ; le troisième d’Afriquia Gaz (Maroc), Green of Africa (Maroc) et Acciona (Espagne).

Sollicité par Médias24, l'un des professionnel du secteur qui requiert l'anonymat explique que les opérateurs marocains, notamment ceux opérant dans le domaine des travaux publics, ont l’avantage de maîtriser la composante des travaux maritimes, essentielle dans le cas du Maroc.

D’après lui, les conditions naturelles des côtes marocaines ne sont en rien comparables à celles des pays du Moyen-Orient, qui sont les premiers consommateurs d’eau dessalée au monde. La force des vagues et leur hauteur font que la construction des équipements pour la prise d’eau brute en mer est très difficile et requiert une compétence particulière.

Si ces travaux maritimes constituent 35% du coût d’un projet de station de dessalement, ils représentent 80% du risque, notamment pour le cas du Maroc. C’est la raison pour laquelle, selon lui, le cahier des charges de la station de Casablanca a stipulé la nécessité d’intégrer des entreprises de travaux dans les consortiums concurrents.

Si les responsables marocains ont tenu à le faire, c’est en raison des mauvaises expériences qu’ils ont vécues dans d’autres projets, tels que ceux d’Agadir, Dakhla et Laâyoune, où la mauvaise estimation des coûts et de la difficulté de ces travaux maritimes a causé des retards et des surcoûts importants.

L’Etat a dû faire appel aux spécialistes marocains des travaux maritimes pour débloquer la situation. Quant aux spécialistes internationaux du dessalement d’eau de mer tels qu’Acciona, Suez, Engie et IDE, leur expertise s'est développée principalement dans les pays du Moyen-Orient où les conditions maritimes sont tout autres.

La composante maritime est importante, parce qu’il s’agit de recueillir l’eau à des distances suffisamment éloignées pour garantir la qualité de l’eau brute et éviter le circuit fermé ; c’est-à-dire que le rejet de saumure ne se mélange pas avec l’eau brute extraite de l’océan.

Le transfert de technologie n’est pas impossible

L’autre composante importante dans la construction de stations de dessalement est celle de l’ingénierie de process. Elle constitue le cœur de métier des géants mondiaux du dessalement. Ces derniers ne construisent rien par eux-mêmes, ils se fournissent en équipements de fabricants spécialisés et sous-traitent la réalisation opérationnelle du projet.

Ils œuvrent donc plutôt comme des bureaux d’études, capables d’analyser, de dimensionner, de mettre en œuvre et de conduire et exploiter de tels projets. Cela ne veut pas dire que c’est un savoir-faire facile à acquérir, car ces géants mondiaux capitalisent de longues années d’expérience qui leur donnent un avantage indéniable dans l’évaluation des risques et le respect des coûts et des délais de réalisation des projets.

Dans une conférence organisée par le Policy Center for the New South en mars dernier, l’expert français Marc-Antoine Eyl-Mazzega évoquait le cas de l’Egypte. Si le pays a réussi à construire des stations à un coût moins élevé, en recourant à ses propres industriels, le coût d’exploitation s’est avéré plus important en raison d'un manque de savoir-faire dans le domaine.

Selon le professionnel marocain, le cahier des charges de la station de Casablanca ne comprend aucune obligation de transfert de technologie. En effet, une telle clause aurait pu dissuader les opérateurs internationaux de participer à l’appel à manifestation d’intérêt, étant donné qu’ils ne sont pas prêts à partager ce qui constitue leur avantage concurrentiel.

Néanmoins, d’après lui, au moins l'un des trois consortiums concurrents comprend un accord de transfert de technologie. En effet autant les Marocains ont besoin des étrangers pour la partie ingénierie et process, autant ces derniers ont besoin des Marocains pour la partie maritime.

Cet accord a été conclu entre les parties pour réaliser ce transfert de technologie dans les deux sens, à l’occasion de leur soumission pour la station de Casablanca, et explorer les possibilités d’alliance pour la conquête de marchés à l’international, notamment en Afrique.

De cette façon, notre source explique que comment le Maroc peut se doter du savoir-faire nécessaire en matière d’ingénierie des stations de dessalement d’eau de mer, notamment en impliquant dans ces projets les universités marocaines en ce qui concerne la recherche et la formation.

Des contraintes naturelles et énergétiques impactent le coût de l’eau dessalée au Maroc

La station de Sorek II en Israël produit l’eau dessalée la moins chère au monde avec 0,32 $/m3, alors qu’au niveau mondial il est très difficile de descendre en dessous de 0,5 $/m3. Le Maroc peut-il espérer atteindre des coûts aussi bas ?

Avec 200 millions de m3, Sorek II est l'une des plus grandes stations existantes et profite d’économies d’échelle conséquentes. Mais, selon un expert de la question sollicité par Médias24, même si la station de Casablanca dès sa première tranche est d’une taille similaire, il n'y a aucune chance d’atteindre un prix aussi bas au Maroc ; car la station de Sorek II fonctionne avec une énergie thermique très peu chère, et la construction sur sa partie maritime ne comprenait pas les risques et les coûts financiers qu’il y a au Maroc.

Au Maroc il est prévu de faire fonctionner les stations de dessalement d’eau de mer avec des énergies renouvelables. En effet, l’énergie est l’autre composante importante des projets de dessalement, qui sont particulièrement énergivores. En effet, la consommation d’énergie constitue 40% du coût de dessalement. C’est donc l’une des variables sur lesquelles il faut compter à l’avenir si le Maroc veut faire baisser son coût de production d’eau dessalée.

Le coût dépend également de la qualité et de la durée de vie des équipements utilisés. Les membranes par exemple sont des composants clés dans cette industrie. Les meilleurs équipementiers sont américains. Leurs produits sont chers, mais ils ont une durée de vie plus importante et garantissent une meilleure qualité. Ce genre de choix et le savoir-faire dans la gestion et l’exploitation de la centrale peuvent en effet faire la différence en matière de coût du m3 dessalé.

Dans le cahier des charges de la station de Casablanca, obligation est faite aux développeurs du consortium de rester pendant toute la durée du contrat - 30 ans - dans le capital de la société qui assurera l’exploitation de la station. C’est une mesure qui vise à éviter des cas tels que celui de la station d’Agadir où la société exploitante Abengoa avait cédé le projet en raison de ses déboires financiers.

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