En ordre dispersé, l’opposition inefficace face à la majorité

Faible numériquement, l’opposition n’a jamais été aussi dispersée. Chacune de ses composantes joue sa propre partition, créant un désordre politique qui offre au gouvernement une autoroute pour faire dérouler son programme et ses politiques.

En ordre dispersé, l’opposition inefficace face à la majorité

Le 25 avril 2023 à 16h17

Modifié 25 avril 2023 à 16h17

Faible numériquement, l’opposition n’a jamais été aussi dispersée. Chacune de ses composantes joue sa propre partition, créant un désordre politique qui offre au gouvernement une autoroute pour faire dérouler son programme et ses politiques.

Quelques jours après l’ouverture de la dernière session parlementaire de la saison 2022-2023, le paysage politique continue de reproduire le même schéma qui s’est dégagé des élections législatives de septembre 2021 : une majorité, composée de trois partis, forte numériquement, face à une opposition plus dispersée que jamais et qui n’arrive toujours pas à faire entendre sa voix.

Passée la première année de grâce du gouvernement, les opportunités pour que l’opposition monte au créneau et s’impose dans le débat public étaient pourtant là. Il s’agit en l’occurrence du sujet de la cherté de la vie, de l’inflation galopante qui a dépassé en février la barre des 10%, de l’envolée des prix des produits alimentaires à la veille du ramadan… Des sujets sur toutes les lèvres, qui préoccupent les citoyens, toutes couches sociales confondues, mais que l’opposition n’a pas su traduire en un rendez-vous politique pour exister, comme nous le dit un politologue consulté par Médias24.

Une opposition de personnes plus qu’une opposition partisane

"Il y a eu des tentatives de s’emparer du sujet, à travers la lettre ouverte du PPS au chef du gouvernement ou les sorties populistes de Mohamed Ouzzine, le secrétaire général du Mouvement populaire (MP). Mais nous n’avons pas vu un vrai travail politique d’opposition, structuré, pragmatique, qui mobilise les citoyens autour d’un discours bien construit pour peser dans la balance de la décision politique. Nous sommes plus face à une opposition de personnes (Nabil Benabdellah et Mohamed Ouzzine) que face à une opposition partisane, porteuse d’un discours politique fort, d’alternatives basées sur des données fiables et concrètes", explique notre politologue.

D’où, ajoute-t-il, "la (non) réaction du gouvernement et des partis de la majorité, qui considèrent davantage ses sorties comme une envie de ces leaders de surfer sur la vague, de caresser l’opinion publique dans le sens du poil, mais aussi comme des attaques personnelles, des tentatives de déstabilisation qui s’appuient sur des discours populistes, des données et des analyses peu exactes".

Pour lui, ce sujet de l’inflation, qui a fait bouger les paysages politiques dans le monde entier, a été un rendez-vous manqué par l’opposition au Maroc.

Un membre de l’opposition, contacté par Médias24, réfute ce discours, qui, dit-il, tente de vider la politique de son sens et décrédibilise l’action des partis. "L’opposition a des outils connus et limités. Il y a certes une division au sein même des rangs de l’opposition, un manque de coordination et un flou dans la position de certains partis, mais cela ne veut pas dire que tout est noir."

Il cite en cela l’initiative du PPS, qui a pour un temps sorti le débat sur la hausse des prix de la sphère des réseaux sociaux pour en faire un sujet politique de premier ordre.

Le PPS et le MP en tête de pont pour remplir le vide…

"Le PPS est l’un des rares partis qui font réellement de l’opposition. Malgré son faible poids numérique, il a une voix audible, et quand il s’exprime, c’est pour critiquer une situation donnée et surtout pour proposer des alternatives. La preuve par les réactions que la lettre ouverte au chef du gouvernement a suscitées et qui n’ont pas été à la hauteur du moment", ajoute notre source.

Quand on analyse le paysage politique, le PPS semble être le parti opposant le plus en vue. Dans ses sorties médiatiques, ses communiqués post-réunions du bureau politique, la prise de parole de son secrétaire général, mais aussi ses initiatives au Parlement (questions écrites, propositions de lois…). Mais son action en tant que parti reste peu efficace en l’absence d’une vraie coordination des différentes composantes de l’opposition.

Le MP a également connu une deuxième vie après l’élection à sa tête de Mohamed Ouzzine, devenue l’une des figures les plus suivies sur les réseaux sociaux grâce à sa gouaille, sa verve et son ton direct et décomplexé qui en font aujourd’hui la bête noire de la majorité.

Mais quand on analyse de plus près les choses, son discours ne résiste pas à l’épreuve des données, car les sorties tonitruantes du nouveau secrétaire général du MP sont souvent appuyées par des chiffres et des données peu exactes. Ce qui les rend peu crédibles et peu audibles.

"Ouzzine joue sur la fibre populiste pour briller. C’est son objectif. Son action n’a pas un caractère structurel, sérieux. Il fait de l’opposition pour faire de l’opposition… Et oublie qu’il fait partie, malgré sa jeunesse, des figures politiques consommées que les Marocains connaissent bien", commente notre politologue, qui reconnaît toutefois que malgré les critiques que l’on peut adresser aussi bien au MP qu’au PPS, ces deux partis "remplissent un vide".

Ce qui est d’une grande importance, ajoute notre expert : "Avec le PPS et le MP, nous sommes en présence d’une opposition théâtrale, certes, un peu populiste et centrée sur les figures des leaders de ces deux partis, mais ces deux formations sont là, parlent, communiquent, ne ratent aucune occasion d’interpeller le gouvernement. Cette présence en soi est importante, car elle nous sort du vide politique qui s’est installé depuis 2021 et où l’on remarque que la seule tribune d’opposition réelle est devenue internet et les réseaux sociaux, avec tous les risques que cela comporte. Nous sommes face à une crise des corps intermédiaires, et ça, c’est dangereux dans ce contexte de tensions sociales."

L’UC et l’USFP aux abonnés absents

Mais l’opposition ne concentre pas seulement le PPS et le MP. Elle est composée d’autres partis, comme l’USFP, l’UC, le PJD. Ceci dit, ces trois partis sont, pour chacun d’entre eux, un cas à part entière.

L’UC est théoriquement dans l’opposition, mais elle témoigne un soutien au gouvernement en raison de sa proximité avec le RNI.

L’USFP, elle, est totalement absente du débat politique. Ce qui ne surprend pas grand monde. "L’USFP est un parti qui a l’opposition dans son ADN. Et son passage à l’opposition a été une occasion en or, pour ce parti historique, de se régénérer, surtout en la présence de sujets sociaux comme la baisse du pouvoir d’achat, la protection sociale, les réformes de l’éducation, de la santé, des retraites… Mais il semble que les leaders du parti soient encore attachés au gouvernement et évitent de froisser leur ancien allié, Aziz Akhannouch, espérant être un jour intégré dans les rangs de la majorité", analyse un membre de l’opposition qui se dit déçu de cette "posture ambiguë" de l’USFP.

Le PJD : une opposition centrée sur le terrain des valeurs

Reste le PJD, parti qui compte à peine 13 députés à la première chambre et ne vit encore que grâce aux sorties de son secrétaire général, Abdelilah Benkirane. Des sorties qui démontrent que le parti islamiste a choisi de faire une opposition au menu, concentrant tous ses efforts sur le terrain des valeurs, en s’attaquant à des sujets comme la réforme du Code pénal et de la Moudawana.

Une stratégie menée par Benkirane qui tente de rebâtir, comme il le dit lui-même, le parti de la lampe en revenant aux sources même de sa création : l’idéologie islamiste.

"Après s’être compromis après dix années aux affaires, le PJD essaie désormais de rappeler qui il est et de se présenter comme le seul protecteur des valeurs traditionnelles de la société. Les sorties de Benkirane ressemblent d’ailleurs plus à des prêches religieux qu’à des discours politiques", note notre politologue. Selon lui, cette stratégie peut se révéler payante lorsque des sujets relevant des libertés individuelles, du droit des femmes ou de la parité seront évoqués aussi bien dans le nouveau Code pénal que dans la nouvelle Moudawana.

"Benkirane sait que les Marocains sont fondamentalement conservateurs et ne pourront pas accepter que certaines choses passent. Il anticipe donc la vague de colère qui pourrait naître si le gouvernement essayait d’aller loin dans les réformes sociétales qui sont posées. Il joue plus sur un registre stratégique et long-termiste que tactique et politicien, car son objectif n’est pas de s’opposer au gouvernement Akhannouch – avec lequel il partage d’ailleurs beaucoup de choses, surtout sur les questions économiques –, mais de faire renaître le PJD de ses cendres, de le repositionner comme une carte indispensable du jeu politique. Et cette stratégie, ainsi que le discours qu’elle véhicule, ne s’adresse pas au gouvernement, mais à l’Etat au sens plus large du terme…", explique notre politologue.

Bref, en plus de sa faiblesse numérique, l’opposition est tout sauf un corps uni. Chaque parti qui la compose a ses propres objectifs, ses priorités, sa propre stratégie ou tactique, avec des discours et des positionnements différents. Pour le plus grand bonheur de la Troïka de la majorité (RNI-PAM-ISTIQLAL), qui n’a presque plus personne dans le champ partisan qui puisse agir comme un contre-poids. Ce qui lui permet de dérouler son programme et ses politiques sans avoir besoin de négocier, de faire des concessions. Une situation confortable au Parlement, mais pas politiquement, car face à cette opposition dispersée, inaudible, elle se retrouve dans un face-à-face dangereux et risqué avec la rue et les réseaux sociaux.

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