L’inflation alimentaire menace l’avenir de nos enfants (Banque mondiale)

La Banque mondiale vient de tirer la sonnette d’alarme sur les effets à long terme de l’inflation que connaît la région Mena, dont fait partie le Maroc, sur les capacités des générations futures. Une démonstration scientifique qui donne des sueurs froides. Et le Maroc n’échappe pas à la catastrophe. Synthèse.

L’inflation alimentaire menace l’avenir de nos enfants (Banque mondiale)

Le 6 avril 2023 à 16h42

Modifié 6 avril 2023 à 17h45

La Banque mondiale vient de tirer la sonnette d’alarme sur les effets à long terme de l’inflation que connaît la région Mena, dont fait partie le Maroc, sur les capacités des générations futures. Une démonstration scientifique qui donne des sueurs froides. Et le Maroc n’échappe pas à la catastrophe. Synthèse.

La branche Mena de la Banque mondiale vient d’organiser un débat ce jeudi 6 avril sur les effets à long terme de la hausse des prix et de l’insécurité alimentaire dans la région Mena. Un débat qui fait suite à la publication le même jour de son bulletin d’information économique pour le mois d’avril, qu’elle a intitulé Destins bouleversés.

L’approche de la Banque mondiale sort des sentiers battus des lectures économiques et monétaires que nous faisions jusque-là du phénomène de l’inflation, surtout de sa composante alimentaire. La banque s’est penchée en effet sur l’impact de cette inflation alimentaire qui frappe le monde, la région Mena, et le Maroc pour ce qui nous concerne, sur les générations futures. Une transmission qui se fait par le biais de l’alimentation, facteur clé, selon les experts de la banque, de la qualité du capital humain dans un pays, et de facto sur le développement futur d’un pays.

Dans son intervention, Roberta Gatti, économiste en chef pour la région Mena de la Banque mondiale et autrice du rapport, souligne d’abord que l’inflation, qu’elle soit passagère ou structurelle, produit les mêmes dégâts à des échelles bien sûr différentes. Des dégâts, précise-t-elle, qui sont irréversibles. Par quel biais ? Celui de la malnutrition des enfants de moins de cinq ans, qui peut augmenter le risque de leur retard de croissance et impacter de manière durable leur résultat scolaire, leur insertion au marché de travail, leur productivité, leur revenu… Bref, l’efficacité du capital humain de demain.

Des effets irréversibles sur les capacités des générations futures

"Même des augmentations temporaires des prix des denrées alimentaires peuvent avoir des effets à long terme sur la région, causant des dommages irréversibles en particulier chez les enfants. Le rapport fait valoir que la hausse des prix des denrées alimentaires depuis février 2022 pourrait avoir augmenté le risque de retard de croissance pour des centaines de milliers de nouveau-nés dans la région. Les auteurs nous disent que d’éminents chercheurs ont constaté que non seulement la malnutrition mène à des résultats inférieurs aux examens et à des années de scolarité en moins, mais lorsque ces enfants grandissent, ils ont des revenus inférieurs et un état de santé moins bon à l’âge adulte. De plus, les effets sont intergénérationnels — les enfants de ces adultes peuvent également être affectés", souligne Farid Belhaj, vice-président MENA de la Banque mondiale, dans le préambule de ce rapport choc.

Dans la région MENA, le phénomène est plus prononcé puisque la population de ces pays est très jeune (la deuxième population la plus jeune après celle du continent africain), et part déjà d’une situation inquiétante en matière de malnutrition des enfants et d’insécurité alimentaire. Ajoutez à cela la nature du climat dans la région, où la majorité des pays dépendent des importations agricoles, ou font face à une baisse de la production à cause des vagues de sécheresse, ce qui a accentué davantage l’inflation alimentaire. Celle-ci a atteint 29% en glissement annuel entre mars et décembre 2022, ce qui est nettement supérieur à l’inflation globale de la région (19,4 %).

"Ces hausses démesurées des prix alimentaires, même si elles sont temporaires, peuvent avoir des effets à long terme. On estime que la hausse des prix alimentaires liée à la guerre en Ukraine pourrait avoir augmenté de 17% à 24% le risque de retard de croissance dans les pays en développement de la région MENA", estime Roberta Gatti.

Conséquence directe, selon elle : il faut s’attendre dans le futur à des résultats scolaires médiocres des enfants frappés directement par cette inflation, mais aussi à des revenus plus faibles et à des problèmes de santé accrus à l’âge adulte.

Et ce n’est pas tout, puisque cet effet est transgénérationnel : "Les enfants d’adultes ayant souffert d’un retard de croissance à la naissance peuvent également en souffrir eux-mêmes. La petite enfance se trouve au cœur des liens entre l’inflation des prix alimentaires et ses incidences à long terme, alors que l’état de la santé et de la nutrition des enfants dans la région était déjà un sujet de préoccupation pour les responsables politiques avant la crise alimentaire actuelle."

Cette inflation, même dans l’hypothèse qu’elle soit temporaire, a déjà causé donc d’énormes dégâts. "La prévalence de l’insécurité alimentaire dans la région n’a cessé d’augmenter, passant d’environ 11,8% en 2006 à 17,6% en 2023", selon l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la région. Un phénomène qui selon les termes du rapport "bouleverse les destins"… D’où cet appel lancé par la Banque mondiale aux gouvernements, aux ONG, à la société civile de prendre très au sérieux cette menace et de l’affronter immédiatement avant qu’elle ne se transforme en une grande crise.

"Les déficiences nutritionnelles et sanitaires des enfants représentent un important défi pour l’action gouvernementale pour des raisons humanitaires, mais aussi économiques. Les enfants sous-alimentés deviennent des travailleurs moins productifs", explique Roberta Gatti. Car "bien que la lutte contre l’insécurité alimentaire nécessite des ressources considérables, le coût de l’inaction, cumulé sur de nombreuses générations futures, serait bien plus élevé", ajoute-t-elle.

Le cas du Maroc, de futures inégalités générationnelles entre les riches et les pauvres

Il est évident que les impacts cités plus hauts concernent une région hétérogène, composée de pays riches, ceux du Golfe, et d’autres à revenus intermédiaires, comme le Maroc ou l’Egypte, mais aussi des pays très fragiles qui souffrent d'un contexte de guerre ou d’instabilité politique comme le Liban, la Syrie ou le Yémen.

Le cas du Maroc n’est pas le plus critique, mais le Royaume est concerné directement par ce défi. La Banque mondiale note d’abord pour le cas du Maroc que l’inflation alimentaire est plus importante que l’inflation générale. Ce que Bank Al-Maghrib et le HCP avaient déjà pointé.

Autre argument : cette inflation touche d’abord les plus pauvres. Selon un sondage réalisé par la Banque mondiale, au Maroc, l’inflation telle qu'elle est perçue par les riches est inférieure de deux points à celle perçue par les plus pauvres. Ce sont donc les enfants des plus pauvres qui sont concernés, comme le souligne Roberta Gatti.

Et cette inflation risque d’exacerber encore plus les disparités entre ces deux strates de la population, dans leur quotidien mais aussi dans le futur.

L’autrice du rapport indique ainsi que le Maroc connaissait déjà un problème de retard de la croissance infantile. Selon elle, 15% des enfants marocains étaient concernés par ce phénomène avant même la pandémie du Covid-19 et de la guerre ukrainienne. Et dans cette moyenne, la différence entre riches et pauvres est flagrante, selon les chiffres présentés par Roberta Gatti : le taux de retard de croissance parmi les ménages les plus pauvres dépasse les 20%, tandis qu’il plafonne à 10% parmi les plus riches.

Si tel était le diagnostic avant la résurgence de l’inflation, la situation ne peut qu'empirer. Mais pour la mesurer, des études doivent encore être menées, aussi bien par les autorités marocaines qui fournissent les données de base sur l’enfance, que par les experts de la Banque mondiale qui traitent ces données dans leurs modèles de prévisions.

La seule estimation dont on dispose aujourd’hui concerne toute la région, et elle est très inquiétante si on la transpose au cas marocain. Car, selon Roberta Gatti, en 2022, les fœtus dans la région Mena ont été affectés par l’inflation avec un risque de 17% à 24% de retard de croissance. "Ce qui est vraiment très élevé", commente-t-elle.

"Les retards de croissance donnent des enfants minces, plus petits de taille par rapport à la moyenne de leur âge, avec des performances scolaires moins bonnes. Et ces impacts sont irréversibles", insiste-t-elle, réitérant la nécessité d’agir au plus vite.

Des aides monétaires aux plus pauvres sont urgentes

Comment ? Plusieurs solutions sont proposées par les experts de la Banque mondiale. La première étant l’activation immédiate d’un hélicoptère monétaire pour venir en aide aux plus pauvres, à travers des aides ciblées. La même solution qui avait été préconisée au moment du Covid-19.

"Le transfert de l’argent liquide pour les plus vulnérables est la solution à court terme qui paraît la plus efficace, surtout pour les pays importateurs de pétrole, où ces problèmes d’inflation sont plus graves. Il est nécessaire d’aider les plus pauvres, protéger l’enfant, mais aussi la mère, les femmes enceintes pour leur permettre de prendre soin de leurs enfants et d’elles-mêmes."

Autre solution proposée : l’accès égalitaire aux soins de santé, surtout, note Roberta Gatti, pour les pays qui souffrent de sécheresse chronique.

Farid Belhaj ne dit pas autre chose : "Il serait judicieux d’investir dans la résilience et de s’attaquer à l’insécurité alimentaire chronique avant qu’elle ne dégénère en véritable crise. Les mères jouent un rôle essentiel dans la période la plus cruciale que représente la vie in utero et la petite enfance, d’où l’importance des politiques de genre. La qualité des soins médicaux est importante. Des investissements médicaux correctifs peuvent se révéler nécessaires pour contrer les effets préjudiciables du mauvais statut nutritionnel et sanitaire qui caractérise les enfants dans la région MENA", écrit-il dans le préambule du rapport, appelant à des politiques non "complaisantes".

"Nos systèmes de santé publique, de garde d’enfants et de protection sociale sont-ils prêts à relever ces défis que l’on peut voir même à travers le brouillard de l’incertitude mondiale ? Dans un rapport de la même équipe publié précédemment, nous avons appris que la région était démunie face au choc de la Covid-19, malgré des auto-évaluations optimistes de l’état de préparation des systèmes de santé publique avant 2020. Ne répétons pas la même erreur en tombant dans la complaisance, alors que nous devons également relever les défis macroéconomiques criants. Agissons sans tarder pour éviter des coûts plus élevés à l’avenir."

Le rapport et son ton ne laissent pas de place au doute : l’inflation actuelle, au-delà de ses effets économiques et sociaux, risque de se transformer en une crise qui affectera les générations futures si rien n’est fait.

"Dès lors que les coûts humains et économiques de l’insécurité alimentaire augmentent avec le temps, la logique veut que la mise en œuvre de politiques de prévention et d’adaptation soit préférable à l’inaction, à savoir laisser les conséquences de l’insécurité alimentaire s’aggraver avec le temps. Certaines politiques, comme les transferts monétaires ou les aides en nature, peuvent être promulguées sans attendre pour endiguer les situations d’insécurité alimentaire aiguë. D’autres, comme les politiques visant à allonger le congé de maternité et à améliorer la garde d’enfants, les soins médicaux et les systèmes alimentaires, peuvent prendre plus de temps à mettre en œuvre", peut-on lire dans le rapport.

"En un mot, il est temps d’agir, même si l’attention des responsables politiques sera accaparée par les défis macroéconomiques immédiats que sont la faible croissance et l’inflation élevée", insistent les experts de la Banque mondiale.

Pour revoir le débat : Destins bouleversés : Bulletin d’information économique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord - YouTube

Lien pour télécharger le rapport :  Banque mondiale : Bulletin d'information économique de la région MENA

 

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