Comment le Maroc protège ses ongulés sauvages menacés d'extinction

Les programmes de réintroduction de la mégafaune sahélo-saharienne dans son milieu naturel sont essentiels pour éviter sa disparition définitive. Efficaces, ces techniques viennent renforcer les plans d’actions nationaux de conservation des ongulés sauvages, mis en place par l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF).

Un groupe d'Addax au Parc national Souss-Massa

Comment le Maroc protège ses ongulés sauvages menacés d'extinction

Le 15 mars 2023 à 9h53

Modifié 15 mars 2023 à 15h47

Les programmes de réintroduction de la mégafaune sahélo-saharienne dans son milieu naturel sont essentiels pour éviter sa disparition définitive. Efficaces, ces techniques viennent renforcer les plans d’actions nationaux de conservation des ongulés sauvages, mis en place par l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF).

Sur le déclin depuis la fin du XXe siècle, la mégafaune sahélo-saharienne, notamment les ongulés sauvages, semble destinée à disparaître. Un scénario catastrophe sur les plans écologique et socio-économique, au regard de la chaîne alimentaire qui risque d’être rompue et de la précarité des populations dont le revenu dépend des activités économiques liées à cette faune.

La désertification due aux changements climatiques et le braconnage sont coupables de la perte des populations de mégafaune sahélo-saharienne. Le Maroc n’échappe malheureusement pas à ce constat, dont est consciente l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF). 

Face à l’urgence de conserver et de restaurer cette faune en vue de préserver la biodiversité dans cette région, l’ANEF organise à Agadir, du mardi 14 mars au jeudi 16 mars, le 3e séminaire régional sur la conservation et la restauration de la mégafaune sahélo-saharienne. 

Organisé en collaboration avec le secrétariat de la Convention des Nations unies sur les espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (CMS), ce séminaire, auquel participe une vingtaine de pays dont 16 de la région du Sahara et du Sahel, a pour vocation d’adopter un plan d’action qui sera présenté lors de la COP-14, prévue du 23 au 28 octobre 2023, en Ouzbékistan.

La mégafaune sahélo-saharienne traverse des frontières politiques entre les pays "qui impactent parfois de manière dramatique leurs cycles de vie annuels et leurs chances de survie individuelles, en raison des grandes différences entre les nations en matière de politique de conservation des espèces", regrette Abderrahim Houmy, directeur général de l’ANEF. 

Ainsi, ce plan d’actions contribuera à la conservation d’une faune, dont six espèces au Maroc. Le Royaume leur a d’ailleurs consacré plusieurs plans pour leur préservation, sous l’ombrelle de la stratégie "Forêt du Maroc 2020-2030".   

Mouflon et gazelle de Cuvier à l’état naturel

Parmi les huit espèces ciblées par l’action concertée relative à la convention CMS, six sont présentes dans le Royaume : l’Oryx Algazelle, l’Addax, la Gazelle Dama, la Gazelle de Cuvier, la Gazelle Dorcas et le Mouflon de Barbarie. Elles sont réparties entre des populations sauvages et d’autres en semi-captivité.

"Le Maroc dispose actuellement d’un grand effectif de Mouflons et de Gazelles de Cuvier à l’état naturel, d’une importante population de Gazelles Dama en semi-captivité et d’un stock conséquent d’Oryx en semi-captivité dans son aire de répartition", se félicite l’Agence nationale des eaux et forêts.  

Dans le détail, les populations sauvages se déclinent comme suit :

Des espèces qui n’aiment pas le froid 

"L’aire de répartition géographique de ces animaux dans le Royaume est principalement située au niveau de l’Anti-Atlas, loin des hauts plateaux, à cause du froid et de l’indisponibilité de couvert végétal", explique à Médias24 Koenraad De Smet, secrétaire du Conseil de direction de l’ONG Sahara Conservation Fund et ancien membre de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). 

En effet, d’après l’ANEF, les populations sauvages de Gazelles Dorcas sont observées au niveau de l’Oriental (Matarka, Tendrara et Chekkar), à Tata, Ouarzazate et Tafilalet, dans le nord de l’Atlas (Msabih Talaa), entre Tafilalet et Zagora (Parc national d'Irikki) et entre Assa et Tan Tan. Mais aussi dans l’Atlas Saharien (Tamlelt) et dans l’extrême Sud du pays.

Concernant le Mouflon de barbarie à l’état sauvage, il est présent de manière abondante dans les parcs nationaux du Toubkal, ceux du Haut Atlas oriental et de Dakhla (Aydar, Adrar Souttouf). Cette espèce est également observée dans le Moyen et l’Anti-Atlas, l’Atlas saharien, le haut, moyen et bas Drâa, ainsi que dans l’Oriental (Béni Snassen).

Disparu à l’état sauvage dans le pays, l’Oryx a été observé par le passé à 18 reprises entre Boujdour et Gueltat Zemmour. Depuis, des spécimens se trouvent à la frontière du Maroc avec la Mauritanie. D’autres ont été réintroduits dans trois réserves, au Parc national de Souss-Massa (Agadir), à Msissi (Tinghir) et Timokrarine (Boujdour). 

En danger critique à travers le monde, l’Addax est éteint à l’état sauvage dans le Royaume depuis les années 1950. Des spécimens de cette antilope sont actuellement regroupés dans trois enclos, en l’occurrence au Parc national de Souss-Massa, à Safya, du côté de Bir Guendouz, et à Laghchiwate, près de Smara.

La Gazelle de Cuvier vit en petits groupes de trois à huit individus composés de femelles. Les jeunes mâles sont exclus du groupe et vivent en bandes. Vulnérables au niveau national et international, les populations sauvages de Gazelles de Cuvier se trouvent dans l’Oriental (El Baten, Chekhar, Jerada), l’Anti-Atlas occidental et le versant sud du Haut Atlas central. Sans oublier le haut, moyen et bas Drâa. 

En danger critique aux quatre coins de la planète et éteinte à l’état sauvage au Maroc, la Gazelle Dama, dont la dernière population sauvage a été observée en 1993 au niveau de la zone frontalière avec l’Algérie, doit sa survie au Maroc à trois enclos.

Désertification et braconnage 

Ces espèces "ont toutes connu un déclin significatif de leur aire de répartition et de leur nombre", déplore Abderrahim Houmy. En cause, la perte d’habitat due à la désertification et aux changements climatiques, ainsi que le braconnage qui a également causé des ravages.

"La peau et les cornes des gazelles sauvages sont vendues comme souvenirs aux touristes. Leur viande est également prisée, notamment le cœur et le foie, fort appréciés à cause de vieilles croyances", s’insurge Koenraad De Smet. Car à en croire les spécialistes, un monde dépourvu de Gazelles Dorcas ou de Gazelles de Cuvier, entre autres, deviendrait méconnaissable. 

"La disparition de cette mégafaune risque de laisser un grand vide. On pense à tort que le Sahara est un endroit inhospitalier pour les animaux, mais en réalité, les régions désertiques sont le creuset d’une faune déterminante d’un point de vue écologique", explique Abdoul Razak Moussa Zabeirou, représentant de l’ONG Sahara Conservation.  

"La disparition de ces espèces pourrait avoir des effets néfastes sur la chaîne alimentaire et contribuer au déclin des populations de loups au Maroc, pour qui les gazelles sauvages sont des proies privilégiées", assure Koenraad De Smet. 

"Or s’il n’y a plus de gazelles, les loups vont manger de plus en plus de chevreaux car ils ne les rassasient que pendant deux jours, contrairement aux gazelles qui leur permettent de subvenir à leurs besoins nutritionnels beaucoup plus longtemps", poursuit-il. 

Au déséquilibre de la chaîne alimentaire s’ajoutent les conséquences socio-économiques. Bien que la préservation des habitats naturels et des écosystèmes qui soutiennent ces espèces ont des effets bénéfiques sur les communautés locales qui en dépendent, leur disparition peut également accroître la précarité de ces populations.

"Dans la réserve naturelle de l’Aïr et du Ténéré, située au nord du Niger, la disparition des Addax a eu un impact sur le plan économique, puisque la zone accueille de moins en moins de touristes, ce qui a pour effet d’appauvrir les populations locales dont l’activité touristique représentait une importante source de revenus", affirme Abdoul Razak Moussa Zabeirou. 

Le maintien des populations, objectif primordial

Pour préserver cette mégafaune, un patrimoine naturel ancestral, l’ANEF s’appuie sur un cadre législatif solide comprenant : 

- la loi 29.05 relative à la conservation de la faune et de la flore sauvage et au contrôle de leur commerce ;  

- la loi 22.07 sur les aires protégées ;  

- la loi de la chasse qui établit la liste des espèces protégées interdites à la chasse et les territoires classés des réserves permanentes.

De surcroît, plusieurs programmes ont été lancés, dont le Programme de développement de populations semi-captives au niveau de l’ensemble des réserves, le Programme de conservation des populations sauvages (lutte contre le braconnage) et le Programme de renforcement par la réalisation d’opérations de renforcement dans la nature. 

Pour les Addax, l’objectif est d’abord le maintien de trois populations captives, au niveau des enclos de Rokein, situé au Parc national Souss-Massa (PNSM), de Leghchiwate près de Smara et de Safya, avant l’établissement d’une population à l’état sauvage, dans le Sud et Sud-Est du pays. 

La stratégie de conservation de l’Oryx est axée sur le maintien des populations avec l’amélioration de la gestion de trois populations captives aux PNSM, Timokrarine et Msissi. De même que l’établissement de deux populations à l’état sauvage dans le Sud et Sud-Est du Royaume. 

En ce qui concerne le Mouflon de Barbarie, il s’agit de développer des populations semi-captives à Tafoughalt, Amassine et Imarigha. En sus du maintien de deux populations à l’état sauvage dans le Haut Atlas occidental et oriental (pôles primaires) et de la préservation de pôles secondaires dans le Jbel Bounasser, l’Atlas Saharien, l’Anti-Atlas occidental, le bas Drâa, Aydar et l’Adrar Souttouf. 

Les objectifs stratégiques dans le cas de la Gazelle Dorcas consistent à maintenir et à assurer une gestion améliorée de deux enclos avec une population d’origine sauvage (Msabih Talaa et El Kheng Aferdou), avec le dédoublement vers d’autres enclos dans des régions écologiquement similaires. 

Concernant la Gazelle de Cuvier, l’objectif est de maintenir les populations à l’état sauvage, dans l’Oriental et l’Anti-Atlas occidental, considérés comme des pôles primaires. Les pôles secondaires dans le bas Drâa, la région de Khnifiss et le Haut Atlas occidental seront également maintenus. 

L’ANEF mise également sur le maintien de trois populations captives au niveau des enclos du Parc national d’Ifrane, de Tirnest et de Tergou (Oulmès). Idem pour la Gazelle Dama, avec le maintien de trois populations captives au niveau de Rmila, de Safia et de Msissi. A cela s’ajoute l’établissement de deux populations à l’état sauvage, dans les régions d’Errachidia et de Dakhla

Réintroduction d’Addax et sensibilisation

L’ensemble de ces objectifs entrent dans le cadre du Plan d’action national de conservation des ongulés sauvages, "un outil de planification et d’orientation qui concrétise la stratégie globale déployée pour toutes ces espèces", insiste le directeur général de l'ANEF.

En atteste le premier programme de réintroduction de l’Addax dans la nature à M’hamid El Ghizlane, lancé au cœur de l’ancienne aire d’habitat de l’espèce, à partir d’une population semi-captive située dans le Parc national de Souss-Massa. "A ce jour, 76 addax ont été réintroduits dans la réserve et trois individus ont été équipés de dispositifs de suivi GPS afin de soutenir le suivi post-lâcher et d’évaluer l’utilisation de l’espace et les déplacements", précise l’ANEF.

Le taux de survie est de 70%. Cinquante-cinq individus ont survécu, "y compris trois descendants nés en 2022. Vingt autres Addax ont récemment été transférés dans la réserve et attendent d’être réintroduits, dont treize ont été équipés de colliers GPS par satellite", annonce l’ANEF. 

L’objectif de ce projet est de restaurer une population stable d’Addax à travers un ancien bastion de l’espèce, facilitant le suivi de la conservation en fournissant des informations en temps quasi réel sur la position d’une majorité d’animaux introduits dans la réserve. "Le second mécanisme de suivi est direct, via les écogardes sur le terrain qui évaluent la réussite de la réintroduction", complète l’ANEF.  

Certes, les espèces introduites s’adaptent parfaitement à leur nouveau milieu naturel, même si dans certains cas, elles ont été supplémentées partiellement en alimentation. "En une semaine, ces espèces prennent la mesure de leur environnement, en faisant la différence par exemple entre les plantes toxiques et comestibles. C’est incroyable !", souligne Koenraad De Smet. 

"En revanche, elles sont au tout début des proies faciles pour les prédateurs comme les loups car elles n’ont pas l’habitude d’être chassées. Sauf lors de la mise bas. Le mâle guette une éventuelle menace pendant que la femelle met bas", ajoute-t-il. 

"La seconde problématique, ce sont les morsures de serpents qui s’introduisent dans les enclos. Les gazelles introduites n’y ont jamais été confrontées par le passé", conclut l’ancien expert de l’UICN, qui insiste sur l’importance de sensibiliser les populations.

En ce sens, des mesures ont été mises en place à travers des programmes d’éducation et de sensibilisation, qui visent à encourager les communautés locales à s’impliquer dans la conservation et la gestion durable de ces espèces.

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