Reportage. Avec la commission de contrôle au marché de gros de Casablanca

Hausse des prix, baisse de la quantité et de la qualité des produits, transactions en chute… tous les acteurs du marché déplorent la conjoncture actuelle qu’ils subissent dans leur activité. Mais la spéculation est un autre facteur qui peut également accentuer cette hausse.

Reportage. Avec la commission de contrôle au marché de gros de Casablanca

Le 11 février 2023 à 11h54

Modifié 11 février 2023 à 19h55

Hausse des prix, baisse de la quantité et de la qualité des produits, transactions en chute… tous les acteurs du marché déplorent la conjoncture actuelle qu’ils subissent dans leur activité. Mais la spéculation est un autre facteur qui peut également accentuer cette hausse.

En l’espace de dix mois, les prix moyens des fruits et légumes au détail ont augmenté partout dans le Royaume. Les facteurs entrainant cette hausse sont nombreux: conditions météorologiques défavorables, rendements en baissé, déséquilibre entre l’offre et la demande... ainsi que la spéculation et la multiplicité des intermédiaires qui font grimper les prix des fruits et légumes.

S'il est difficile d'agir sur des impondérables comme les conditions climatiques, la spéculation, elle, est un facteur qui peut être circonscrit. Les commissions de contrôle, qui sont sur le terrain tout au long de l'année, ont pour directives d'intensifier leur travail, notamment à l'approche du mois sacré du Ramadan, au niveau de l'ensemble des régions, préfectures et provinces et préfectures d'arrondissements du Royaume sous la supervision effective des walis et des gouverneurs.

Ce travail a déjà commencé dans toutes les régions. Des opérations coup-de-poing partout dans le Royaume ont permis de débusquer des opérations de spéculation à l'image d'un entrepôt à Khénifra contenant 140 tonnes de pomme de terre stockées hors du circuit de distribution.

Médias24 a accompagné la commission préfectorale mixte de contrôle de la qualité et des prix des produits alimentaires au niveau de la préfecture d'arrondissement de Moulay Rachid  qui effectuait une mission d'inspection au Marché de gros de Casablanca.

Au marché de gros de Casablanca

Il est 10 heures passées, ce jeudi 9 février. La halle du marché de gros de fruits et légumes de Casablanca est en ébullition. Dans cet espace communément appelé par les habitués "marché d’Agadir" les va-et-vient sont incessants.

La soixantaine passée, Mohammed a les yeux rivés sur un carnet où il note scrupuleusement des transactions de moins en moins nombreuses. Le coude posé sur des caisses de tomates qu’il vend au prix de 270 DH la cagette de 30 kg, soit 9 DH/kilo.  Il nous explique que "ce tarif est élevé par rapport à il y a quelques mois. Il est vrai qu’il y a toujours eu une hausse des prix en janvier-février. Mais jamais à ce point ».

"Le froid a retardé le mûrissement des tomates dans la région Souss-Massa et la sécheresse a impacté les rendements. Par conséquent, la quantité produite a été drastiquement réduite, alors que la demande est toujours aussi importante", souligne-t-il avec une pointe d’amertume. "Plusieurs détaillants achètent les cagettes de tomates, les recouvrent de plastique et les laissent murir au soleil", ajoute-t-il.

« En 30 ans de métier, je n’ai jamais vu ça », s’étonne-t-il, avant de souligner que la tomate ne fait pas exception.

"Les pommes de terre coûtent au kilo 6,50 à 7 DH, contre 5 à 6 DH chez l’agriculteur. Les oignons coûtent 8,50 DH à terre et 9 DH au marché de gros de Casablanca. Les fèves se vendent à 7 DH le kilo", énumère-t-il. Et ce n’est pas tout. "En plus, la qualité du produit laisse à désirer !"

"Les facteurs qui ont impacté le prix des légumes sont structurels, à l’image de la hausse du prix du gasoil et du coût de la main-d’œuvre, au même titre que les intrants agricoles (semences, engrais, fertilisant…)", assure à Médias24 Jaafar Essabbane, directeur du marché de gros de fruits et légumes à Casablanca, qui est sous l'autorité de la Société de développement local (SDL) Casa Prestations. 

"Les facteurs conjoncturels sont symbolisés par les conditions climatiques défavorables, notamment la vague de froid du mois de janvier, qui n’a pas favorisé le mûrissement de la majorité des produits", estime notre interlocuteur, accompagné des membres de la Commission préfectorale mixte, dont le rôle est de suivre l’état d’approvisionnement des marchés de la ville.

Une vague de froid succédant à la sécheresse 

Les conditions météorologiques ont en effet rarement été aussi défavorables. Car la vague de froid du mois de janvier a succédé à une sécheresse qui a obligé le ministère de l’Agriculture à réduire les superficies irriguées pour assurer l’approvisionnement en eau potable dans les régions touchées par un déficit pluviométrique.  

Combinée à la flambée des prix des intrants agricoles (semences, engrais azotés, fertilisants, produits phytosanitaires…), cette décision a favorisé une baisse de la production et des rendements par hectare. "Plusieurs agriculteurs, dont je fais partie, n’ont pas pu semer les pommes de terre et les carottes à cause d’une pénurie de semence, en dépit de l’intervention du ministère de l’Agriculture", regrette Abdelfattah Lamzaouri, représentant des commerçants du marché de gros. 

De fait, "nous avons constaté une légère diminution de la quantité de fruits et légumes qui ont transité par le marché de gros, principalement dans le cas des fruits", affirme Jaafar Essabbane. 

"La quantité de légumes a baissé de 3%, mais dans le cas des tomates, la baisse est de l’ordre de 36% en comparaison à la même période l’année dernière. Alors que dans le cas de la pomme de terre, la baisse de rendement par hectare est de 50%, causant mécaniquement une hausse des prix", poursuit le directeur du marché de gros.

Face à cette situation, personne n’est épargné. Toutes les composantes de l’écosystème du marché de gros sont impactées. A l’image des loueurs de cagettes, au prix de 2 DH l’unité et par semaine. Adossé à des caisses en plastique entassées les unes sur les autres, sur cinq mètres de hauteur, Youssef Hamoumi déplore une baisse d’activité de l’ordre de 40% depuis début 2023.

Déséquilibre entre l’offre et la demande  

Ce recul de la quantité de légumes et de fruits qui transite par le marché de gros "a mis à mal le fragile équilibre entre l’offre et la demande", se désole le représentant des commerçants du marché de gros. Comme lui, une majorité des opérateurs interrogés estiment qu’il serait judicieux d'envisager  de "stopper les exportations de légumes car la demande au niveau du marché national est plus importante que l’offre".

La commission interministérielle de haut niveau chargée de la veille qui assurera jusqu’à la fin du mois de Ramadan a pris des mesures pour assurer la priorité de l’approvisionnement du marché national en produits agricoles en quantités suffisantes avant de recourir aux circuits d’exportation.

La hausse du litre de gasoil a aussi un effet important sur l’augmentation des prix de fruits et de légumes. "Le transport d’Agadir jusqu’à Casablanca coûtait à un commerçant de bananes 2.800 DH. Maintenant, il doit payer 4.000 DH. Transporter des oranges de Berkane jusqu’à Casablanca coûtait 4.000 DH. Désormais, le prix est fixé à 8.000 DH", assure un transporteur dont le camion vient à peine dêtre déchargé de cagette doignons en provenance de Fès.

"Les 1.500 DH de subventions accordées aux transporteurs ne suffisent pas à compenser la hausse des prix du gasoil", note-t-il. 

Trois types d’intermédiaires

En dehors du marché de gros de Casablanca, la hausse des prix des produits alimentaires est généralement liée aux intermédiaires et autres spéculateurs.

C'est à ce niveau qu'intervient le rôle de la commission "qui veille à lutter contre toute forme de spéculation qui pourrait affecter le pouvoir d’achat du consommateur", indique Hassan El Hassar, chef de division des affaires économiques et du développement local à la préfecture des arrondissements Moulay Rachid.

"Si un intermédiaire achète 200 kg de tomates, il ne va pas revendre le kilo avec une marge bénéficiaire de 1 DH. Il lui faut au moins gagner 2 ou 3 DH/kg", nous expose un primeur.

Il existe deux types d’intermédiaires. Les premiers jouent un rôle de rabatteurs. "En tant que grossiste, il m’est impossible d’écouler 10 tonnes de tomates ou 500 cagettes de fèves, tout seul, en moins de 6 heures", dit Mohammed. "Raison pour laquelle j’engage des intermédiaires qui se partagent la quantité et se chargent de la vendre sur la base d’un prix que je leur fixe. Tout gain supplémentaire leur appartient."

Le second type d’intermédiaires sont en revanche des spécialistes de la spéculation. Ils traversent la centaine de mètres en pente qui séparent le marché d’Agadir du marché couvert, pour acheter des produits qu’ils revendent jusqu’à 5 DH plus cher par cagette.

Sur le marché de gros couvert, les produits achetés à partir du marché d’Agadir sont jetés à même le sol. Ils sont triés et parfois emballés. "Tout y est vendu beaucoup plus cher aux grandes surfaces et à certains particuliers notamment”, nous assure un des intermédiaires que nous avons rencontrés.

Mais combattre ces intermédiaires est-il une solution pour atténuer la flambée des prix de fruits et de légumes ? "Cela fait sept ans que je travaille sur ce marché. Les intermédiaires ont toujours existé, mais il n’ont jamais impacté les prix à ce point", nous assure un grossiste.

Toutefois, certains opérateurs ont pointé du doigt les spéculateurs qui sévissent entre le marché de gros et les marchés de quartiers, s’assurant au passage des marges bénéficiaires très juteuses.

Pour Jawad, grossiste et fils d’agriculteur, au-delà des intermédiaires, les nouveaux horaires de fermeture et d’ouverture du marché ont également eu un effet négatif sur les prix pratiqués. "Avant l’instauration des nouveaux horaires, les prix baissaient en fin de journée, ce qui n’est plus le cas actuellement",  témoigne-t-il.

Depuis une semaine, le marché de gros ouvre ses portes de 3 heures du matin à 14 heures. Une nouvelle mesure destinée à couper l’herbe sous le pied "des intermédiaires et spéculateurs", assure de son coté Jaafar Essabbane, le directeur du marché.

"Les personnes qui sont contre ce changement d’horaire sont des spéculateurs qui ont l’habitude d’arriver avant tout le monde et d’acheter les meilleurs produits pour les revendre beaucoup plus cher" ajoute-t-il, tout en confiant que "d’ici au mois de mars, les tarifs vont progressivement baisser du fait de températures plus clémentes et donc d’un approvisionnement plus important".

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