Pourquoi BMCI lance des CoCo Bonds sur le marché de la dette ?

La filiale marocaine de BNP Paribas va émettre entre le 13 et le 15 février des obligations subordonnées perpétuelles assorties de clauses d’absorption de pertes et de paiement des intérêts pour un montant de 750 millions de dirhams. Selon les analystes du marché, la banque n’a pourtant pas besoin de ce mécanisme qui est plus adapté aux établissements financiers qui souffrent d’un manque de fonds propres. Explications.

Ph. MEDIAS24

Pourquoi BMCI lance des CoCo Bonds sur le marché de la dette ?

Le 7 février 2023 à 15h11

Modifié 7 février 2023 à 15h52

La filiale marocaine de BNP Paribas va émettre entre le 13 et le 15 février des obligations subordonnées perpétuelles assorties de clauses d’absorption de pertes et de paiement des intérêts pour un montant de 750 millions de dirhams. Selon les analystes du marché, la banque n’a pourtant pas besoin de ce mécanisme qui est plus adapté aux établissements financiers qui souffrent d’un manque de fonds propres. Explications.

Ce n’est pas la première fois que ce genre de titres de dette est émis sur le marché marocain. Attijariwafa bank a été la première à activer ce levier de financement, en 2016 déjà. Elle a été suivie par Bank of Africa, Crédit Agricole du Maroc, CFG Bank. On compte depuis près d’une vingtaine d’émissions d’obligations subordonnées avec des clauses d’absorption de pertes et de paiement des intérêts.

Un levier de financement assez nouveau et très tendance, aussi bien au Maroc que sur les marchés internationaux, depuis que la réglementation bancaire est devenue assez sévère en matière de dotation en fonds propres.

Le principe de ces titres, qui sont assimilés à des CoCo Bonds (des obligations perpétuelles convertibles), est assez compliqué. Pour cela, ils sont réservés aux seuls investisseurs qualifiés (OPCVM, caisses de retraites, compagnies d’assurances…).

Ce sont d’abord des obligations perpétuelles. C’est-à-dire qu’elles donnent droit au seul paiement du coupon (les intérêts annuels) et leur principal n’est pas remboursable, sauf accord préalable de la Banque centrale, avec un préavis de cinq ans. Un caractère qui leur donne cette qualité de quasi-fonds propres et viennent donc en renforcement du ratio de solvabilité de la banque, notamment de ce que l’on appelle dans le jargon bancaire, les capitaux durs qui agissent sur le Tier1, ce fameux ratio que les banques centrales surveillent de très près.

Un outil de dette complexe, risqué, mais très rémunérateur

En plus de ce caractère de dette assimilable à des fonds propres, ces titres que la BMCI compte émettre entre le 13 et le 15 février pour un montant de 750 millions de dirhams, contiennent deux clauses qui les rendent très risqués et quasiment assimilables à des actions : l’absorption de pertes et l’annulation de paiement des intérêts.

Celui qui acquiert ces titres s’expose ainsi à une dépréciation de leur valeur nominale, voire au non-paiement des intérêts annuels que toute obligation classique est censée produire. Et ce dès que le ratio Tier1 - qui mesure les fonds propres réglementaires de catégorie 1 par rapport aux engagements de la banque -, devient inférieur à 6%, soit 2 points de moins que le seuil réglementaire fixé par Bank Al Maghrib pour le Tier1 (8%).

Pour un investisseur, ces obligations comportent de gros risques qui font de lui presqu’un actionnaire de la banque, solidaire dans les pertes, mais avec l’avantage d’être prioritaire par rapport aux détenteurs de titres en capital dans le remboursement de sa dette en cas de liquidation de la banque.

Pour réussir sa levée, qui vise à consolider ses fonds propres de catégorie 1, BMCI offre d’ailleurs un taux de rémunération ultra généreux : un taux d’intérêt compris entre 5,91% et 6,91% selon les tranches de souscription, avec des primes de risque allant de 250 à 270 points de base. Une rémunération introuvable actuellement sur le marché, et qui dépasse même les très juteux rendement des OPCI étatiques (les fameux financements innovants lancés par le gouvernement) qui servent entre 5,80 et 5,90% aux investisseurs institutionnels.

Ce qui rend, selon un analyste spécialisé dans le secteur bancaire, cette opération "très alléchante".

"Aucun instrument financier n’offre autant de rendement sur le marché. La BMCI offre aux investisseurs un titre de bonne qualité avec un rendement extraordinaire. Cette opération aura un grand succès", prévoit-il.

Tous les analystes et spécialistes du marché, consultés par Médias24, s’accordent sur l’intérêt qui sera porté à cette levée. Mais certains s’interrogent sur les raisons qui poussent BMCI à recourir à ce type de Coco Bonds.

"Ce genre de levée est compréhensible dans les cas du CAM ou de la BOA, qui ont fortement besoin de renforcer leurs capitaux durs. Mais la BMCI n’a pas réellement besoin de cet instrument, c’est la banque de la place qui affiche l’un des meilleurs ratios de solvabilité. Pourquoi payer une dette aussi chère alors qu’elle pouvait lever des obligations subordonnées classiques, assimilables également à des fonds propres, sans mettre en jeu des clauses qui alourdissent sa charge d’intérêt ?", s’interroge un analyste de la place.

La BMCI a-t-elle vraiment besoin de renforcer ses capitaux durs ?

Quand on analyse de près la situation bilancielle de la BMCI, il paraît en effet que la banque n’a pas vraiment besoin de ce type de levée. Avec un ratio de solvabilité proche de 14% à la fin du premier semestre 2022 et un Tier1 de 10,5% à la même date, elle dépasse de très loin les exigences de la Banque centrale en termes de fonds propres réglementaires (12% pour le ratio de solvabilité et 8% pour le Tier1). L’intérêt de cette opération paraît donc peu clair, et la BMCI se contente, dans la notice d’information de l’opération visée par l’AMMC, de cette explication classique et commune à toutes les levées similaires réalisées depuis 2016 sur le marché de la dette :

"Par la présente émission, la Banque Marocaine pour le Commerce et l’Industrie vise à renforcer ses fonds propres réglementaires actuels et, par conséquent, renforcer son ratio de solvabilité et aussi à financer le développement de son activité. En effet, le renforcement des fonds propres de la BMCI va lui permettre de poursuivre le développement de son activité tout en répondant aux exigences réglementaires en termes de ratios prudentiels", explique la BMCI et sa banque conseil pour cette levée, RedMed.

Les analystes du marché sont assez divergents sur ce point. Pour certains, la BMCI jouit d’une mauvaise image sur la place, due aux grosses pannes de son système d’information qui ont fait fuir plusieurs clients et ont beaucoup affecté ses résultats opérationnels. Elle ne pouvait donc intéresser les investisseurs qu’en offrant des titres à un rendement très élevé.

"La BMCI a certes des ratios prudentiels très confortables, mais son image est détériorée sur la place. Les bugs répétitifs de son système d’information, la fuite des clients, l’instabilité de son top management et la mise récente en vente de sa société de gestion d’actifs sont autant d’éléments peu rassurants. La banque ne peut pas réussir dans ces conditions à faire des levées classiques ; elle devait offrir des primes de risques plus élevées que celles de ses consœurs pour pouvoir intéresser les investisseurs", suppose une de nos sources.

Un autre banquier d’affaires qui suit la valeur BMCI depuis une vingtaine d’années avance un autre avis, qu’un ancien haut cadre de la banque valide.

Pour lui, la seule raison qui peut pousser la banque à recourir à une telle levée, c’est de recréer de l’appétit sur son action, malmenée depuis plus de trois ans en Bourse. "L’argument du renforcement des fonds propres ne tient pas la route. La BMCI roule avec des capitaux propres de 7 milliards de dirhams, avec une des politiques de risque des plus prudentes de la place, qui est calée sur les normes très strictes de sa maison-mère. Elle traverse certes une mauvaise passe au niveau des résultats, mais sa situation bilancielle est extrêmement solide. Ce qui ne justifie pas une levée d’obligations perpétuelles avec les mécanismes d’absorption des pertes et d’annulation des intérêts. Elle est en tout cas très loin de descendre un jour sous les 6% pour que ces clauses soient déclenchées, surtout qu’elle jouit de l’appui de BNP, son principal actionnaire, en cas de problème", explique d’abord notre source.

Son avis sur la solidité de la BMCI est étayé par les chiffres de la banque, mais également par l’avis des agences de notation internationales. Ce mardi 6 février, Fitch Rating vient en effet d’émettre un avis très favorable sur la banque, en confirmant son AAA à long terme avec une perspective stable. Une notation qui est "au plus haut niveau sur l’échelle nationale", souligne Fitch.

Si avec toutes les difficultés que connaît le secteur bancaire marocain, notamment la montée des risques liés à la crise du Covid, le risque de taux et les poussées inflationnistes, la banque affiche un Tier1 de 10,5%, pourquoi donc émettre des titres avec des clauses de non-paiement ou de dépréciation de la valeur nominale ?

Pour notre banquier d’affaires, l’explication se trouve dans le marché actions et la valeur du titre BMCI.

Objectif : redorer le blason du titre en Bourse ?

"BMCI est un titre hyper dévalorisé sur la place casablancaise. Elle est revenue à un niveau de cours de 1998/1999. Ce qui n’est pas justifié, ni fondamentalement, ni techniquement. Et les actionnaires, aussi bien marocains qu’étrangers, ne peuvent accepter cette situation, surtout que la banque n’a pas distribué de dividendes en 2019 et a servi à peine 10 dirhams de dividendes l’année dernière. Cette levée vise d’abord à montrer à Bank Al Maghrib et à lui donner toutes les assurances que la banque est capable de distribuer plus de dividendes cette année. Ce qui va mécaniquement relever le niveau de cours de la valeur. Payer 6% d’intérêts pour rehausser la valeur de la banque est la seule justification possible et raisonnable pour expliquer cette levée", croit savoir notre source.

Le titre a perdu en effet 54% de sa valeur depuis 2018, suivant la chute vertigineuse des bénéfices de la banque, passés de plus de 600 MDH à 109 MDH à fin 2021. En trois ans, la valeur du titre a été divisée par deux, passant d’un pic de 800 dirhams en 2019 à 389 dirhams actuellement.

Pour une banque que l’on dit "en vente", selon les échos du marché, un tel niveau de valorisation n’est pas acceptable. Et la banque est prête à payer le prix d’une dette à plus de 6% pour redorer son blason en Bourse.

"Ces dernières années, on avait l’impression que la BMCI avait fait le choix de ne pas croître, de rester très prudente, de garder des parts de marchés très faibles, de ne pas être agressive commercialement, de se contenter de la niche corporate qui représente le plus gros de son portefeuille crédit. C’est un choix stratégique. La nouvelle stratégie de la banque à horizon 2024 vise à faire redémarrer la machine, et la banque en a les moyens, surtout qu’elle est en train de moderniser tout son système d’information. Quand on voit ses niveaux de fonds propres et la valeur de son actif net comparés à sa capitalisation boursière ou à ses engagements, on a l’impression que c’est une Ferrari qui roule à 60 km/h. Les derniers contacts que nous avons eus avec le management de la banque montrent que le bolide sera prêt à redémarrer à partir de 2025", signale notre source.

Pour bien vendre la mariée à terme ? C’est la question à plusieurs milliards de dirhams et dont la réponse se trouve à Paris, dans le cercle très restreint des patrons du géant européen BNP Paribas. A suivre…

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