Ce que nous disent les chiffres des crédits à l’entreprise

L’écart entre les crédits de trésorerie et les crédits à l’équipement continue de se creuser depuis 2020, avec une explosion des prêts à court terme face à une décélération du financement de l’investissement. Analyse d’un phénomène monétaire très révélateur du comportement des entreprises et de l'économie au cours des trois dernières années.

Ph. MEDIAS24

Ce que nous disent les chiffres des crédits à l’entreprise

Le 2 janvier 2023 à 19h04

Modifié 2 janvier 2023 à 19h04

L’écart entre les crédits de trésorerie et les crédits à l’équipement continue de se creuser depuis 2020, avec une explosion des prêts à court terme face à une décélération du financement de l’investissement. Analyse d’un phénomène monétaire très révélateur du comportement des entreprises et de l'économie au cours des trois dernières années.

La lecture des statistiques du crédit bancaire de ces trois dernières années est révélatrice du comportement des entreprises marocaines et de l’économie du pays de manière générale.

Alors qu'en janvier 2020 (année zéro du Covid), les crédits à l’équipement et les crédits de trésorerie (comprenant les comptes débiteurs) étaient tous les deux au même niveau, avec des encours respectifs de 181 et 183 milliards de dirhams, la tendance a complètement changé depuis. Elle rompt avec celle observée depuis 2017 où les crédits à l’équipement, qui servent à financer l’investissement, avaient pris le dessus sur les crédits à court terme.

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Le graphique ci-dessus qui matche la courbe d’évolution des deux catégories de crédits est en cela très révélateur de cet "effet de ciseau" qu’un banquier consulté par Médias24 qualifie d’inédit dans l’histoire monétaire du pays.

Un effet de ciseau où l’on voit de manière très claire une forte explosion des crédits de trésorerie, dont l’encours a progressé entre janvier 2020 et novembre 2022 de 76 milliards de dirhams pour se fixer à 259 milliards. Au moment où les crédits à l’équipement se sont réduits de 10 milliards de dirhams sur la même période pour s’établir à 177 milliards de dirhams à fin novembre 2022.

"Ces données montrent un changement net de la demande au niveau du marché bancaire. Si les crédits de trésorerie ont connu cette évolution exponentielle, c’est qu’il y avait une forte demande, contrairement aux crédits à l’équipement qui n’étaient pas très demandés. Car les banques ne font finalement que répondre à la demande des entreprises. Et cette demande était tout particulièrement orientée vers les crédits de trésorerie", explique notre source bancaire, active dans le marché des entreprises.

Le feu Covid éteint par les crédits de trésorerie

Mais cette évolution n’a pas une explication uniforme, comme le signale notre banquier. Deux phases sont à distinguer.

En 2020 et 2021, les banques devaient répondre au contexte de la crise du Covid-19 qui a généré d’énormes besoins en financement de trésorerie pour les entreprises en tout genre. Avec le confinement au niveau national et mondial, l’arrêt des chaînes de production, la baisse de la consommation, nombre de secteurs ont vu leur activité stopper net ou du moins ralentir de manière brusque.

"Il y avait le feu en la demeure. En 2020 et en 2021, on avait des comptes clients qui ne bougeaient pas, avec des encaissements qui se sont réduits de manière importante. Mais, en face, ces mêmes entreprises avaient des charges à honorer, puisque le mot d’ordre au niveau étatique et même au niveau de instances représentatives des banques et des entreprises était d’éviter les faillites, pour maintenir à flot ces entreprises, sauvegarder le tissu industriel et les emplois, mais aussi la solidité du système financier. D’où l’explosion de la demande en crédits de trésorerie qui répondait à cet impératif", relate notre banquier.

Et cette progression de la demande a trouvé, toujours selon le récit de notre interlocuteur, une réponse favorable de la part des banques, qui étaient au front pour mettre en place la stratégie des pouvoirs publics et du conseil de crise qui réunissait le gouvernement, les opérateurs privés et les banquiers.

Pour soutenir cet "effort de guerre", l’Etat a déployé une batterie de mesures afin de permettre aux banques de financer la trésorerie des entreprises et éviter le pire : voir le Covid tuer nos entreprises. Ainsi, entre avril 2020 et décembre 2021, plus de 60 milliards de dirhams de crédits de trésorerie ont été distribués sous forme de crédits Oxygène et Relance, des prêts garantis par l’Etat dont l’objectif était justement d’éteindre le feu et de permettre aux opérateurs privés de tenir le coup…

Cet hélicoptère monétaire déployé par l’Etat, à travers la CCG et les banques, explique pour beaucoup cette évolution des crédits de trésorerie qui ont dépassé dès avril 2020 la barre des 200 milliards de dirhams - une première. Un dispositif exceptionnel auquel il faut ajouter les "dossiers classiques de financement qui atterrissaient et le renouvellement des lignes qui se fait de manière régulière, qui ne passent pas forcément par le mécanisme de garantie de l’Etat", tient à préciser notre source.

Le tout, au moment où les crédits à l’équipement ont commencé à décélérer. Une tendance logique, explique notre source, car "le temps n’était pas à l’investissement".

Une fois la pandémie maîtrisée et le retour à la vie normale décrétée début 2022, toute la sphère économique espérait une relance de l’investissement et des crédits à l’équipement qui les accompagnent pour mettre le pays sur le chemin de la croissance et effacer les pertes de deux années successives de Covid.

Et c’est là où une deuxième phase est apparue, freinant cet élan, et accélérant la courbe d’évolution des crédits de trésorerie face à la décélération des crédits à l’équipement. Une phase marquée par la réapparition d’un monstre économique : l’inflation.

L’inflation entraîne de manière mécanique une inflation des crédits de trésorerie

"En 2022, la demande sur les crédits de trésorerie a continué d’augmenter de manière forte. Mais ce n’était pas lié aux creux de trésorerie que l’on a connus en 2020 et 2021, plutôt à la hausse des prix de pratiquement toutes les matières premières que le pays importe et à la révision à la hausse des enveloppes des marchés publics", confie notre source.

Entre novembre 2021 et novembre 2022, les crédits à la trésorerie ont connu en effet une progression de plus de 34 milliards de dirhams, soit une croissance de 15,5% sur une année. Cela n’est pas réellement dû à l’augmentation en nombre des dossiers de financement, mais plus au volume des crédits demandés.

C’est le cas du secteur de l’énergie, pétroliers et acteurs du secteur de l’électricité par exemple, qui ont vu leurs encours de crédits à l’importation augmenter en raison de la hausse des prix du pétrole, du gaz, du charbon…

Même tendance chez les industriels, de tous les secteurs, nous explique notre banquier.

"Un industriel dans l’agroalimentaire, qui avait l'habitude de faire des crédits à l’importation de 100 pour importer 10 containers de matières premières de l’étranger, devait en mettre 20 ou 30 de plus en moyenne pour s’approvisionner de la même quantité d’intrants. C’est ce qui explique en partie la hausse des encours des crédits de trésorerie."

Autre effet, les avances sur marchés et autres crédits de court terme liés aux marchés publics, qui ont vu leur volume augmenter également en raison du renchérissement des matières premières.

"L’inflation a été le principal moteur d’évolution des crédits à la trésorerie cette année 2022. Quand il y a inflation dans les prix des intrants, il y a forcément, et de manière mécanique, une inflation dans les crédits bancaires qui couvrent ces besoins", rappelle notre banquier.

Mais les crédits à l’investissement en 2022, qui étaient censés accompagner la relance, n’étaient pas non plus au rendez-vous, puisque leur encours a baissé de 84 milliards de dirhams sur une année.

Quand l’incertitude freine l’élan de l’investissement

Une source patronale tente de nuancer en avançant qu’il faut étudier la situation au cas par cas, secteur par secteur :

"Il y a eu une accélération de l’investissement en 2022, c’est indéniable. Plusieurs projets ont été lancés dans l’industrie tout particulièrement. Mais cela ne se reflète peut-être pas encore dans les statistiques monétaires puisque les déboursements ne se font pas d’un seul coup. Et une petite baisse de l’encours des crédits ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de distribution de prêts à l’équipement, mais que le volume distribué n’est pas encore arrivé à atteindre le volume d’avant Covid."

Et d’ajouter que si l’euphorie attendue en début d’année n’a pas eu lieu, cela est tout à fait normal, en raison de l’incertitude qui plane sur l’économie mondiale et nationale.

"Le mot qui revenait le plus dans tous les rapports nationaux et internationaux est l’incertitude. L’incertitude et le manque de visibilité génèrent un manque de confiance en l’avenir. Beaucoup de projets portés par des investisseurs nationaux comme étrangers ont été soit abandonnés soit mis en suspens en attendant que les choses s’éclaircissent", explique notre patron.

Un phénomène que confirme notre banquier d’entreprise qui affirme en effet que les dossiers d’investissement continuent d’être traités par les banques, mais que le volume distribué en 2022 n’arrive toujours pas à inverser la tendance de baisse de l’encours entamée depuis 2020.

"Les banques ne sont pas le principal déterminant de l’investissement contrairement à ce que l’on pense. Nous sommes là pour répondre à la demande du marché. Et la demande existe bel et bien, mais peut-être pas au niveau souhaité, en raison du contexte géopolitique et économique mondial marqué par l’incertitude", indique notre banquier.

Une incertitude qui continuera de marquer selon nos deux sources l’année 2023, impactant la décision d’investir et le rythme de réalisation des investissements déjà programmés.

Baisse du crédit bancaire et légère hausse des impayés en novembre 2022

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