Ce que pensent les experts en énergie de la production d’hydrogène vert au Maroc

Des experts en énergie sont longuement revenus, pour Médias24, sur la production d’hydrogène vert au Maroc, le modèle économique, le coût de production et les enjeux de cette industrie naissante. 

Ce que pensent les experts en énergie de la production d’hydrogène vert au Maroc

Le 14 juillet 2022 à 18h17

Modifié 15 juillet 2022 à 10h18

Des experts en énergie sont longuement revenus, pour Médias24, sur la production d’hydrogène vert au Maroc, le modèle économique, le coût de production et les enjeux de cette industrie naissante. 

Saïd Mouline, directeur général de l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE), nous explique que “la demande mondiale en hydrogène continuera de croître, alors que l’hydrogène gris (fabriqué à partir de gaz naturel) reste, quant à lui, le plus utilisé dans le monde à l’heure actuelle”.

Pour que l’hydrogène vert (fabriqué de manière décarbonée) soit compétitif face au gris, il faut que l’électricité qui le produit soit verte. “Cette année et pour la première fois, l’hydrogène vert est moins cher que l’hydrogène gris, parce que le prix du gaz a flambé et que celui des renouvelables a baissé”, poursuit Saïd Mouline. 

Selon lui, plusieurs pays ambitionnent d’importer de l’hydrogène vert. Le Maroc en a notamment besoin pour sa propre consommation. L’hydrogène vert permet de produire de l’ammoniac vert susceptible d’être utilisé localement dans l’industrie pour décarboner, mais aussi dans la mobilité et le stockage d’énergie.

“Tout cela nécessite un modèle économique. Notre pays peut passer d’importateur d’énergie grise à exportateur d’énergie verte. C’est ce qu’il faut viser. Nous en avons toutes les ressources et le potentiel”, soutient Saïd Mouline, suggérant qu’il faille également développer le transport de l’hydrogène, qui pourrait éventuellement être utilisé en tant que carburant pour les avions.

Un plan d’action en trois phases

De son côté, Badr Ikken, président du Green Innov Industry Investment, ex-directeur de l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN) et expert en énergie, rappelle que plusieurs études ont été réalisées pour élaborer la feuille de route et le plan d’action, “très clair pour la production d’hydrogène”.

La feuille de route a été publiée par le ministère de l'Energie et des mines en Août 2021. Le Maroc prévoit un investissement cumulé de 90 milliards de dirhams à l’horizon 2030 et 760 milliards de dirhams à l’horizon 2050. Voici un graphe qui schématise les principaux points de ce plan d'action :

Badr Ikken nous explique que selon les études élaborées, le Maroc devrait, dans une première phase (2020-2030), se concentrer sur l’utilisation des dérivés de l’hydrogène en tant que matière première, dont l’ammoniac vert pour la production des engrais.

“Le tiers de cette production serait dédié à la consommation nationale, notamment pour le secteur du phosphate et des engrais, et le reste sera exporté”, nous explique Badr Ikken. Le transport de l’ammoniac est beaucoup plus facile que celui de l’hydrogène, précise-t-il. 

La deuxième phase (2030-2040) consiste à exporter plus et d’autres dérivés d’hydrogène. “Sur le moyen terme, nous avons les combustibles synthétiques (diesel, méthanol, kérosène). Ce sont des vecteurs d’énergie plus faciles à transporter que l’hydrogène”, justifie Badr Ikken. La troisième phase (2040-2050) consiste à exporter des volumes importants d’hydrogène. 

Une filiale qui serait portée par le secteur privé

Pour mettre en œuvre le plan d’action de production d’hydrogène vert, une commission nationale de l’hydrogène et un cluster de l’hydrogène vert ont vu le jour. Ces deux entités vont devoir développer un schéma directeur concernant les infrastructures.

“L’Etat devrait s’occuper de la mise en place du cadre propice pour l’émergence de cette filiale (réglementaire, modèle économique, foncier) et ainsi, permettre au privé de se positionner”, estime Badr Ikken. Il en est convaincu : “C’est le secteur privé qui permettra de faire émerger la filiale de l’hydrogène vert” au Maroc.

Eviter les erreurs du passé en misant sur la coopération internationale

“Sur le plan économique, il sera sans doute fait appel à l’investissement privé international. Je pense que le partage des revenus nets pourrait se faire, à l’instar de ce que fait déjà l’ONHYM avec les explorateurs d’hydrocarbures, même si cela devrait être légèrement révisé car les bénéfices seront plus faibles, quoique sans doute plus stables”, estime de son côté le Pr Amin Bennouna, enseignant à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech et expert en énergie.

Il faut “éviter les erreurs commises par le passé. La coopération internationale est importante. Les premiers projets devraient en effet être soutenus par d’autres pays, comme ceux de l’Europe par exemple”, reprend Badr Ikken. Il cite le cas de l’Allemagne qui a mis en place le programme H2Global.

La filière d’hydrogène pourrait booster celle du solaire

Il faudra également développer des modèles qui contribueront positivement à d’autres secteurs au Maroc

“Nous possédons un gisement renouvelable très important mais la demande locale est limitée ; nous avons donc besoin d’exporter.” La filière de l’hydrogène devrait permettre de booster celle du solaire et d’accélérer l’intégration industrielle, vu que le marché national “reste limité sur ce point par rapport à la consommation énergétique”.

“Nous avons la possibilité de développer encore plus les énergies renouvelables, dont le potentiel n’est pas exploité, ce qui permettra de réduire davantage le prix des énergies et d’accéder à l’électricité à bas coût”, ajoute Badr Ikken. 

Les atouts du Maroc

“Une étude réalisée par le World Energy Council a démontré que le Maroc faisait partie des six pays disposant du plus important potentiel de production d’hydrogène”, selon Badr Ikken. Le Maroc possède un important rayonnement solaire et plusieurs sites éoliens. Un mix très intéressant lorsque l’on sait que ces deux sources d’énergie peuvent être combinées.

“Le Maroc prévoit un dessalement d’eau de mer, lequel représentera seulement 0,2% du coût de production d’hydrogène vert. Ce processus permettra également de produire de l’eau dessalée à bas coût”, souligne Badr Ikken.  

Sur le front des compétences humaines, “dans le cas du solaire, les écoles d’ingénieurs et les universités ont été très réactives. Nous avons eu, très vite, des personnes qui ont pu se positionner rapidement, sans compter les groupes marocains comme OCP qui utilisent ce processus”.

Concernant l’ammoniac vert, “le Maroc saura l’exporter car il sait déjà l’importer”, explique Badr Ikken, soulignant que les mêmes infrastructures pourront être utilisées. “Je pense que la production d’hydrogène et d’azote pour l’ammoniac ne sera pas si compliquée”, croit-il savoir, rappelant le projet pilote qui sera lancé par OCP, l’UM6P et l’IRESEN pour la production d’ammoniac vert à hauteur de 4 MGW en 2023. 

Après ce projet pilote, “nous pourrons développer des projets avec des dizaines de mégawatts et passer facilement au gigawatt à partir de 2025”.

Dans un avenir qui serait moins carboné et plus “hydrogéné” qu’aujourd’hui, il est probable que, pour l’hydrogène vert, l’approvisionnement de proximité sera favorisé. Le Maroc deviendrait alors l’un des futurs grands fournisseurs de l’Europe, déclare Amin Bennouna. 

Mais avant de passer au gigawatt, quelques pilotes de taille intermédiaire (10 à 100 MW) devront être installés, avec des off-takers bien identifiés. "Il est hors de question de mettre en place une offre sans qu’une demande soit là, et non pas un marché potentiel”, précise Amin Bennouna. 

Le Maroc pourrait offrir des prix compétitifs

“Il faut savoir raison garder. Il y a beaucoup de pays dont le coût de production d’hydrogène vert est réputé concurrencer celui du Maroc (l’Arabie saoudite, l’Australie, le Chili, la Chine, les Etats-Unis et la Mauritanie, entre autres)”, explique Amine Bennouna.

Mais comme tout autre produit énergétique, la production massive d’hydrogène vert suppose aussi la mise en œuvre de son transport et l’organisation de sa distribution. Le voyage de l’hydrogène par voie maritime est beaucoup plus cher que celui du pétrole et, selon les dires récents de spécialistes, son transport par gazoduc est lui aussi un peu plus coûteux que celui du gaz naturel, poursuit-il.

Toutefois, le Maroc présente des conditions favorables en termes de ressources énergétiques renouvelables et d’infrastructures existantes, situées à proximité de l’Europe et de la mer, précise-t-il. 

Concernant la déclaration d’Odile Renaud-Basso, présidente de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), qui avait estimé que les coûts de production d’hydrogène au Maroc seraient parmi les plus compétitifs au monde, Amin Bennouna affirme que “la présidente de la BERD a bien parlé en tant que citoyenne européenne. Elle sous-entendait sans doute que, tout compte fait, l’hydrogène produit au Maroc serait la solution la plus compétitive pour l’Europe”.

“Avant la crise du gaz, on disait qu’en-dessous des 2 dollars le kilogramme, le prix de l’hydrogène était économiquement viable. Si la situation persiste même à 3 dollars, on peut être compétitif”, pense Badr Ikken. 

“Au Maroc, on peut facilement produire de l’hydrogène avec des coûts plus bas. Des simulations de l’IRESEN démontrent qu’on était à 1,8 dollar le kilogramme d’hydrogène. Le coût de transport serait également faible vu le positionnement géographique du Maroc" poursuit Badr Ikken. 

“Il faut y aller, certes, mais pas plus vite que la musique”, tempère Amin Bennouna. Selon lui, “les coûts de production du kilogramme d’hydrogène vert sont encore trop élevés. Ceux qui ont déjà planché sur le sujet ont eu du mal à trouver des preneurs d’hydrogène vert en grandes quantités aux coûts actuels. Il faut donc s’y préparer activement et sereinement, prendre le temps de bien faire les choses, sans empressement”.

 

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