La stratégie Decathlon expliquée par son directeur général Maroc, Borja Sanchez

INTERVIEW. Decathlon Maroc ambitionne de développer son sourcing local, et de l'élargir à d'autres filières que l'habillement. Avec le made in Morocco, il vise trois territoires de conquête : le Maroc, l’Afrique, et le reste des pays en commençant par l’Europe. Le détail de la stratégie de l'enseigne d'origine française avec son directeur général Maroc, Borja Sanchez.

La stratégie Decathlon expliquée par son directeur général Maroc, Borja Sanchez

Le 16 février 2022 à 14h52

Modifié 16 février 2022 à 14h58

INTERVIEW. Decathlon Maroc ambitionne de développer son sourcing local, et de l'élargir à d'autres filières que l'habillement. Avec le made in Morocco, il vise trois territoires de conquête : le Maroc, l’Afrique, et le reste des pays en commençant par l’Europe. Le détail de la stratégie de l'enseigne d'origine française avec son directeur général Maroc, Borja Sanchez.

Discret, le groupe Decathlon Maroc est un des acteurs importants du secteur de la grande distribution des articles de sport et de loisirs. Il a réussi le pari de démocratiser l'accès à ces produits.

En treize ans de présence sur le marché marocain, le groupe a développé un réseau de 17 magasins, emploie 1.000 collaborateurs directs et 4.000 indirects, et enregistre un chiffre d'affaires de plus d'un milliard de dirhams. Ce chiffre aurait pu être plus important, sans les effets de la crise du Covid qui a freiné l'élan de l'enseigne française.

Et contrairement à l'idée reçue, la présence de Decathlon au Maroc ne date pas de 2009. Elle remonte à 1994 quand le groupe décide de sous-traiter une partie de sa production habillement, pour servir les différents pays de présence de l'enseigne française. Aujourd'hui, Decathlon sous-traite 300 MDH de production à des entreprises textile marocaines.

Son ambition future ? Selon Borja Sanchez, directeur général de Decathlon Maroc, il s'agit de développer davantage le volet industriel, en diversifiant l'offre made in Morocco dans d'autres secteurs que le textile, et de positionner le Maroc en tant que hub africain.

Médias24. Dans un contexte de pandémie, avec en 2020 trois mois de fermeture totale, la reprise a-t-elle été au rendez-vous en 2021 ? Et comment abordez-vous 2022 ?

Borja Sanchez. L’année 2020 a été une année certes difficile, qui a pris de court le monde entier et qui a remis en question nos prévisions et nos stratégies commerciales, mais nous avons su en tirer les leçons qu’il faut. Avec le recul, nous pouvons dire que nous avons pu limiter les dégâts et même transformer quelques difficultés en opportunités, ce qui nous a permis de rebondir. Sur les cinq dernières années, nous réalisions une croissance annuelle moyenne de 10% à 15%, mais le Covid a remis les compteurs à zéro. En 2021, nous avons terminé l'année avec un chiffre d'affaires d'un milliard de dirhams pour la partie retail, et de 300 MDH pour la partie production et sourcing local. Mais la véritable reprise d’activité économique est plutôt attendue en 2022. Nous espérons faire une belle croissance, notamment pour la partie e-commerce. Nous sommes optimistes et confiants. Cela dit, il est difficile de quantifier un objectif précis pour l'année en cours à ce stade. Le plus important pour nous est de continuer à adapter notre offre et nos prix aux exigences de nos clients. Je pense que nous avons encore du potentiel pour proposer une offre qui corresponde aux besoins locaux en misant sur l’augmentation du nombre d’articles de sports, la qualité et la compétitivité de nos produits. Nous avons aussi pour ambition d'avoir une activité de plus en plus verte et en phase avec les bases du développement durable.

- En treize ans de présence au Maroc, vous avez construit un réseau de 17 magasins. Comptez-vous en ouvrir d'autres ? 

- De nouveaux projets sont en effet en cours. Mais plus important que le nombre de magasins ou leur emplacement, il faut savoir aujourd'hui, que la donne a changé. Le retail ne se développe plus uniquement via les magasins. La pandémie a eu un effet accélérateur sur la tendance mondiale de la digitalisation et du e-commerce, imposant ainsi l’omnicanalité. Le même client peut désormais acheter aussi bien en magasin que sur le Net. D’autre part, les clients sont devenus plus exigeants et demandent de nouveau services. Cette mutation de la demande nous pousse à changer notre perception du retail pour être encore plus proche de nos clients.

Ce qui nous guide aujourd’hui, c’est d'être capable de proposer une expérience client, surtout quand il se déplace jusqu’à nos points de vente. Nous essayons donc de proposer des magasins de vente plus grands et plus accueillants, pour que l’expérience client soit différente. Nous pensons qu’il n’y a pas de valeur ajoutée à avoir des magasins où il n’y a que des produits. Cette typologie de magasins sera en difficulté par rapport aux nouveaux modèles de consommation.

le secteur du retail est en phase de réflexion profonde sur son modèle, avec pour question fondamentale : "Comment faire sortir les personnes de chez elles pour venir au magasin ?" Le produit seul n’est plus suffisant pour attirer les clients dans les magasins

-  Envisagez-vous de freiner l’ouverture de magasins physiques, et de privilégier le canal digital ?

- Nous envisageons de développer parallèlement les deux canaux, physique et digital. Aujourd'hui, nous n’avons pas de règles écrites qui nous dictent ce qu’il faut faire. Nous testons et nous explorons de nouveaux modèles et concepts. Nous proposons de nouveaux formats et de nouveaux services et, à la fin, c’est le client qui décide.

Avec cette pandémie qui a imposé la fermeture complète pendant plusieurs semaines, c'est tout le secteur du retail qui est en phase de réflexion profonde sur son modèle, avec pour question fondamentale : "Comment faire sortir les personnes de chez elles pour venir au magasin ?" Le produit seul n’est plus suffisant pour attirer les clients dans les magasins.

Je pense que le client, à l’avenir, va chercher beaucoup plus une expérience, donc des magasins expérientiels, plutôt que des magasins classiques comme ce que nous avions jusque-là. Ces magasins expérientiels seront en rupture avec les modèles du passé. Dans notre vision, cela se traduit par le fait de proposer des zones tests, des showrooms, faire des cours, faire des évènements… nous sommes en pleine réflexion pour proposer de nouvelles choses à nos clients.

- Concrètement, Decathlon prépare-t-il de nouveaux formats de magasins à tester au Maroc ? Lesquels ? 

- Nous avons donné un avant-goût avec le magasin de Ain Diab, qui est notre plus grand magasin en Afrique. Il ouvre à 8h du matin pour accueillir les personnes qui souhaitent venir tôt. On leur propose un espace de restauration à l’intérieur du magasin, des espaces pour la pratique du sport, des évènements, des cours, des points de rencontre autour du sport...

- Cela suppose des magasins de plus en plus grands. Cela ne va-t-il pas à l’encontre de votre stratégie des dernières années qui visait à placer Decathlon à l’intérieur des villes en misant sur des magasins de petite taille ? D'ailleurs l'objectif de 26 magasins, annoncé en 2016 pour 2020, n’a pas été atteint... est-il toujours d’actualité ?

- Les stratégies et les objectifs sont, partout dans le monde, dictés par le marché et le contexte. Nous ne pouvons pas ignorer que ces deux facteurs ont fondamentalement changé ces dernières années, et que la pandémie a eu un effet de stop and go qui impose écoute, agilité et adaptabilité. Ce n’est pas le nombre de magasins qui est aujourd’hui important ; c’est notre capacité à mieux servir le client avec une offre adaptée et une plus grande accessibilité.

En 2016, nous avons lancé l’activité e-commerce. Même si aujourd’hui au Maroc la consommation e-commerce reste en retard par rapport au reste du monde, elle se développe énormément. Il y a une forte pénétration des Smartphones qui deviennent un canal de consommation incontournable.

Certaines étapes du développement du e-commerce se font en mode accéléré au Maroc et, sur cela, il faut être vigilant et agile. Nous devons avoir la capacité de bien écouter le client pour être en phase avec lui. C’est pour cela que parler d’un objectif en termes de nombre de magasins est difficile. Peut-être qu’au lieu de 26 magasins, nous en aurons moins, mais ils seront plus grands et plus « vivants » que ceux que nous avions imaginés en 2016.

- Qu’en est-il de votre couverture du territoire national ? Decathlon est-il présent dans toutes les régions ?

- Toutes les régions sont desservies grâce à notre plateforme e-commerce. Nous livrons partout au Maroc dans un délai maximum de cinq jours. Cela dit, nous envisageons de nous positionner physiquement dans certaines zones. Je pense que nous avons une bonne présence sur Casablanca, mais nous avons encore quelques ambitions sur Rabat. Sur les autres grandes villes, nous comptons renforcer notre maillage avec des formats mixtes.

- Quelle est la part du e-commerce dans votre chiffre d’affaires ?

- Ça représente très peu. Nous sommes autour de 3% de chiffres d’affaires réalisé par le canal digital (90 MDH), mais cette part est amenée à évoluer rapidement. Dans certains pays où Decathlon est présent, nous avons un taux de 40% des ventes sur le digital. Ce qui nous laisse une belle marge potentielle de croissance.

- Comment comptez-vous augmenter la part du e-commerce dans vos ventes ?

Pour nous, il est question de donner le pouvoir de décision aux clients. Aujourd’hui, il y a 90% du commerce qui se fait dans l’informel, car c'est une décision du client. C’est à nous de le convaincre qu’il mérite un produit accessible, de meilleure qualité, au meilleur prix, avec en plus des avantages et des services de fidélité.

- Vous avez évoqué l’informel, qui n'est que l'un de vos concurrents. Comment évolue votre part de marché par rapport à la concurrence ?

- Pour vous donner une réponse concrète en termes de part de marché, nous avons besoin de connaître combien pèse le marché de l’équipement sportif au Maroc et comment il est composé. Une donnée que nous n’avons pas aujourd’hui.

Si on parle d’un marché spécifique comme celui du vélo, c’est facile de le quantifier. Mais si on parle du vêtement sportif, d’un survêtement, quel est le marché ? Le vêtement sportif est vendu par Decathlon, mais aussi par tous les groupes retail de l’habillement, par les magasins informels… C’est une problématique à laquelle nous faisons face, car nous n’avons pas une donnée fiable sur l’estimation de marché du sport.

- En fait, vous avez peu ou pas de concurrents directs, mais beaucoup vous concurrencent sur des segments particuliers… 

- Exactement. Il y a des acteurs qui ciblent la même typologie de clients sur des niches ou des segments où est présent Décathlon. Pour cerner l’ensemble du marché, il faut prendre un panel important, pas uniquement des entreprises de sport. Il y a certains réseaux d’équipement sportifs avec lesquels on se croise sur des segments donnés, et on se complète sur d’autres. Decathlon ne se concentre pas sur ça, nous sommes concentrés sur l’accessibilité. C’est notre bataille. Et nous avons pour preuve tous les partenariats que nous avons aujourd’hui avec les grandes surfaces telles que Marjane qui propose nos produits, ou encore avec de grandes marques internationales d’équipement de sport auxquelles nous réservons désormais des corners à leurs couleurs, pour proposer leurs produits directement sur nos points de vente. Le magasin de Casablanca Ain Diab en est un exemple concret.

- Vous voulez parler de l’accessibilité prix, car au final c’est ce qui fait la différence pour les clients... 

- L’accessibilité pour nous, c’est la proximité et le rapport qualité-prix. Nous menons cette bataille qui est aussi une bataille de prix. Nous sommes fiers d’avoir aussi bien la maman du quartier qui vient au magasin pour acheter un sac-à-dos à son fils pour l’école, qu’un chef d’entreprise qui vient pour acheter une série de golf.

 

Nous sommes passés de 3% de produits made in Morocco en 2019, à 13% aujourd’hui. 90% de cette production est fabriquée chez nos partenaires

- Comment arrivez-vous à proposer ce rapport qualité-prix, qui est l’un des facteurs clé du succès de Decathlon au Maroc, et qui attire les clients marocains de tous bords ? Est-ce en misant sur la production locale par exemple ?  

- Pour nous, il était important d’adapter les prix au pouvoir d’achat des Marocains. Ces prix sont possibles grâce à la stratégie d’intégration verticale de Decathlon qui optimise les coûts, réalise des designs simples, et permet au final d’avoir des produits de bonne qualité à prix abordable. Nous avons certains produits que nous arrivons à produire localement et que nous maîtrisons bien, les autres nous continuons de les importer.

- Que produisez-vous localement, et que représente le sourcing local sur l'ensemble de vos produits ? 

- A ce titre, la crise Covid a joué un rôle d’accélérateur. Nous sommes passés de 3% de produits made in Morocco en 2019, à 13% aujourd’hui. Ce qui représente, comme précisé au début, un chiffre d'affaires de 300 MDH. 90% de cette production est fabriquée chez nos partenaires. Le reste dans notre usine propre. La plupart des produits relèvent du segment de l’habillement. J’espère que nous arriverons à toucher d’autres segments bientôt. Nous y travaillons sérieusement avec toutes les parties prenantes publiques et privées, et nous avons des projets ambitieux dans ce sens.

- Quels sont les segments en projet pour un sourcing local ?

- C’est en effet le cas. Nous sommes en train de sourcer de nouveaux process, c’est ce que nous appelons le testing lourd. Nous regardons la possibilité de produire des sac-à-dos au Maroc, des produits en plastique et aussi des vélos. Pour le moment, nous sommes à la recherche des bons partenaires.

Nous voulons aussi fabriquer des chaussures localement. Sur ce segment, nous sommes en contact avec des investisseurs installés à Tanger. Si nous arrivons à concrétiser ces nouveaux segments et à les produire localement, nous aurons un taux de sourcing local beaucoup plus important en l’espace de deux ans seulement.

- Avez-vous un objectif en tête ?

- Nous annoncerons nos objectifs lorsque nous aurons trouvé les bons fournisseurs, capables d’assurer la qualité souhaitée et la régularité exigée à ce niveau. C’est notre priorité aujourd’hui. Le plus important pour nous est de trouver le partenaire industriel et d’assurer la disponibilité des composants. A partir de là, nous pourrons réaliser une croissance exponentielle par rapport à ce qui existe aujourd’hui.

- Pourquoi ne pas investir en propre ou augmenter la capacité de production de votre unité industrielle ?

- Plutôt que de produire en série et en grande quantité, notre vocation est de développer et de soutenir le tissu industriel local en faisons bénéficier des opérateurs marocains du savoir-faire, de la R&D et des bonnes pratiques de Decathlon à travers le monde. Notre unité industrielle est, en ce sens, beaucoup plus un centre d’excellence opérationnelle. Une sorte de laboratoire qui définit, la technique, la méthodologie, la technologie… qui seront utilisées par nos partenaires marocains dans le cadre d’un transfert de technologie et de compétences.

C’est un centre qui a pour vocation de définir comment on peut gagner en qualité et en coût dans un article, et de le rendre disponible sur le marché dans les meilleures conditions. Mais c’est aussi un centre qui exporte le savoir faire marocain vers les autres pays où nous sommes présents. Nous sommes fiers de dire aujourd’hui qu’il y a des produits qui ont été imaginés, développés et conçus au Maroc, et qui ont intégré le catalogue mondial de Decathlon.

Nous avons trois territoires de conquête avec le made in Morocco : le Maroc, l’Afrique et le reste des pays en commençant par l’Europe

- Qu'en est-il de l'Afrique subsaharienne dans le cadre de vos ambitions ? Considérez-vous le Maroc comme hub pour le reste du continent ?

- Aller à la conquête de l'Afrique est un objectif complexe, car nous parlons de 54 pays. Nous avons la chance que notre projet au Maroc ait fonctionné dès le départ. Cela a ouvert la voie à de nouvelles ambitions. Nous avons donc pris la décision d’entamer l’aventure africaine à partir du Maroc. Nous avons une équipe qui construit l’offre et la rend disponible dans tous les pays africains qui sont connectés au hub Maroc, à savoir la Tunisie, l’Algérie, l’Égypte, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la RDC. Et cette liste sera élargie à d’autres pays dans les prochaines années.

Nous avons commencé notre activité avec 20.000 m2 sur la zone logistique de Tanger Med. Il y a deux ans, nous avons procédé à un agrandissement pour atteindre presque 40.000 m2, avec pour objectif de doubler les quantités. Cette année, on va finir avec 21 millions de produits exportés. On compte continuer à grandir avec l’aventure africaine du Maroc vers l’Afrique.

Pour résumer, nous avons trois territoires de conquête avec le made in Morocco. D’abord le Maroc, l’Afrique et le reste des pays en commençant par l’Europe.

- Envisagez-vous de positionner le Maroc comme alternative de sourcing pour le marché européen ? 

- C’est déjà le cas ! Et la crise sanitaire qui a perturbé les flux commerciaux à travers le monde a donné un avantage certain au Maroc dans ce sens. L’Europe a besoin de rapidité et de proximité. Nous avons tous les atouts localement. Il y a un savoir-faire local, notamment sur la partie habillement. Il faut savoir dupliquer ce savoir-faire sur d’autres process industriels. Nous avons un avantage en plus, qui peut paraître secondaire, mais qui est important, c’est la confiance. Toutes les relations se construisent sur la confiance. Quand un responsable des achats en France décide de s'approvisionner de Chine, dans une langue étrangère sur un fuseau horaire différent, il rencontre des problèmes. Des problèmes qu’il ne trouvera pas au Maroc. C’est pour cela que je dis que nous avons tout ce qu'il faut pour approvisionner nos voisins européens, et jouer pleinement notre rôle de hub marocain vers l’Afrique, mais aussi vers l’Europe.

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